C’est la mine un peu honteuse mais à la fois gourmande qu’à la Rédaction d’E&R nous vénérions ce grand acteur dont les nombreuses et célèbres saillies émaillant une liste interminable de films devenus mythiques étaient capables de repousser toutes les limites.
On imagine avec quel plaisir les scénaristes ont placé dans la bouche de Jean-Pierre Marielle de telles sorties, et quel amusement celui-ci devait trouver à les jouer si naturellement. Jean-Pierre Marielle était un grand acteur, formé par le théâtre, là où on ne triche pas. Mais si les personnages qu’il campait semblaient si vrais c’est parce qu’il les incarnait : sa gouaille moqueuse, sa voix profonde, son amour bien franchouillard des femmes, de la ripaille et du vin, ses propos grivois, ses boutades bienveillamment antisémites, toutes choses d’un temps révolu qui nous manque.
Né le 12 avril 1932 à Dijon d’une famille atypique, grand-père vigneron, père musicien accompagnateur de films muets, mère qui dirigeait une fabrique de lingerie. « La Bourgogne, ha ça c’est mon pays. Je suis bourguignon d’origine. Famille de vignerons, de paysans cultivateur. Voilà, moi je suis d’origine paysanne » rappelait-il dans une de ses dernières interviews avant que la maladie d’Alzheimer ne fasse son œuvre funeste (interview Télérama, mars 2012 – ci-dessous).
Bon sang ne saurait donc mentir ! Voici probablement ce qui fit que Marielle sut incarner mieux que quiconque cette grivoiserie bien gauloise, cette goguenardise populaire, cette appétence naturelle à la bombance et au bon vin, cette fausse méchanceté moqueuse qui fait des Français qu’on dit râleurs et racistes le peuple le plus accueillant et le plus gentil parmi les peuples.
Élève du Conservatoire de Paris aux côtés de Jean-Paul Belmondo, Bruno Cremer, Claude Rich, Françoise Fabian ou Jean Rochefort, il débute avec Molière en 1953. Sa bande d’amis du théâtre se forme, on y retrouve aussi Pierre Vernier, Michel Beaune, Guy Bedos (avec qui il fait du cabaret), Bernard Fresson, Delphine Seyrig, Michael Lonsdale, Claude Brasseur...
Ignoré par la Nouvelle Vague, il devient un acteur du burlesque et du boulevard. Avec plus de 90 films à son actif, il joue sous la direction d’un très grand nombre de personnalités : Audiard, Blier, Molinaro, Mocky, Sautet, Tavernier, Patrice Leconte, Claude Miller, Claude Lelouch, Bertrand Blier, Yves Angelo, Jean-Daniel Verhaeghe, etc. Et on aura à la Rédaction E&R une pensée particulière pour Joël Séria qui lui offrit des rôles magnifiques : Charlie et ses deux nénettes (1973), Les Galettes de Pont-Aven (1975), Comme la lune (1977), Les Deux Crocodiles (1987) ...
Mais son plus grand trophée, celui qui pour nous vaut tous les autres, est de n’en avoir presque point eus. Nominé sept fois aux César il n’en remporta aucun : « Les César ? J’en ai rien à foutre ! ».
Silence, on tourne !
Écoutez Madame, pour l’instant, nous, y a qu’un truc qui nous fait bander, hein, c’est le beaujolais, voilà, la blanquette de veau, le roquefort, la frangipane, le tabac brun et le calme. Vous connaissez ce mot ? Calmos. Calmos !
Dans Calmos, ce film farouchement anti-féministe de 1976 – en pleine époque d’hystérie féministe qui pourtant nous semble bien innocente face aux délires genrés d’aujourd’hui – Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort n’aspirent qu’à fuir le sexe faible. Un film iconoclaste que Bertrand Blier reniera bien plus tard, par manque de courage. Dommage.
Dans L’Entourloupe (1979), Jean-Pierre Marielle campe ce vendeur ambulant roublard qui parcourt la France profonde pour placer des encyclopédies inutiles. Un de ses voyageurs-représentants-placiers, comme on les appelait encore à l’époque, se plaint de devoir arpenter un secteur difficile pour les ventes :
Alors c’est moi qui descend là, bien sûr...Mais cessez donc de vous croire persécuté mon ami, les conditions climatiques de cette région ne sont pas inhérentes à l’antisémitisme ! Hé !, j’ajouterais que je ne vous ai pas engagé en dépit que vous soyez juif, hein, mais parce que vous êtes juif. Oui, je tablais sur certaines vertus ancestrales dont vous êtes malheureusement dépourvu. Vous êtes un déplorable vendeur, monsieur Bensimon !
(en aparté)... oui et en plus c’est un sale youpin !
Ces dialogues délicieux d’Audiard n’ont plus aucune chance de trouver leur place dans le cinéma d’aujourd’hui. L’extrait même est introuvable sur l’Internet. Nous vous proposons celui-ci, tout à fait admirable par ailleurs :
Retour en 1975 avec le grandiose Les Galettes de Pont-Aven de Joël Séria dont les passages touchant au sublime sont si nombreux que seul un visionnage religieux du film complet peut offrir cette palette d’émotions si particulières.
Peut-être ce film touchera-t-il d’abord les hommes plutôt que les femmes ? Et encore. Peut-être les générations biberonnées au piercing, aux tatouages ou à l’épilation, dressées à n’aimer que les femmes glabres, mutilées, remodelées, artificielles, ne ressentiront pas l’exquis et subtil émoi de Jean-Pierre Marielle face à la beauté d’un corps féminin et ses nombreux trésors. Les moins de 30 ans ne savent probablement même plus ce qu’est cette mousse merveilleuse qui renverse l’acteur. De quel monde désenchanté avons-nous accouché ?
Tourne-toi. Ah... comme elles sont belles ! Ah... approche. Je t’en supplie, Marie. Laisse moi toucher. Oh... comme elles sont fermes. On dirait des petites pommes.Ha non là vous n’êtes pas raisonnable !
Oh, Marie, je t’en supplie, fais-moi voir ton minou. Fais-le moi voir. Oh nom de Dieu, quelle merveille ! On dirait de la mousse...
« Tu sens la pisse, toi. Pas l’eau bénite. ». Que nos pieux lecteurs, en particulier catholiques, nous excusent pour cet autre extrait. Mais ceux qui nous auront suivi jusque là sont bien français. Le mariage éclairé entre la fille aînée de l’Église et de bons gènes gaulois, en quelque sorte.
« Oh bordel... t’as eu raison de la prendre violette. Oh ça mitraille sec ! Oh putain j’en ai jamais eu d’aussi belle. Oh la vache, ça éclabousse... Tu sais me saper, toi. Et tu sais quoi dire pour me faire bander ! ». C’est encore Joël Séria, en 1977, qui offrit à l’acteur un rôle de grand looser magnifique face au minois d’une Sophie Daumier au destin tragique :
En 1991, Jean-Pierre Marielle retrouve un rôle dramatique dans Tous les Matins du monde. Il excellera d’ailleurs dans ce jeu d’acteur et cette palette d’interprétations plus sérieuses.
On appréciera aussi le tragique extrait suivant, bien que les musiciens regretteront qu’Alain Corneau lui fit jouer de la viole de gambe en gros plan malgré une évidente absence de maîtrise de l’instrument, ce qui entame la sincérité de l’action et écorne malheureusement l’émotion :
Destin d’un cinéma qui s’étiole, qui se médiocratise, Jean-Pierre Marielle enchaînera dans les années 90 puis 2000 un certain nombre de films mineurs. Le texte n’est plus là, on n’exploite plus les richesses particulières de l’acteur. Alors qu’avant on pouvait faire un chef d’oeuvre avec un scénario pauvre, aujourd’hui les dialogues ont atteint une telle indigence que plus rien ne rattrape plus rien.
On ne saurait trop, à cet égard, conseiller à nos lecteurs le visionnage de ce grand film Un Moment d’égarement (1977) qui lança une remarquable Agnès Soral adolescente, et où Jean-Pierre Marielle est servi par un texte riche, fin, travaillé, ciselé même. Puis notre lecteur enchaînera immédiatement avec l’innommable remake produit par le fils Thomas Langmann (dont le père Claude Berri avait réalisé le film originel) en 2015. François Cluzet fait son cirque, Vincent Cassel essaye de sauver les meubles, et les deux jeunes actrices se perdent dans un pitoyable jeu d’acteur servi par un texte inexistant où s’enchaînent les euh, les putains, et les non mais quoi... Quelle misère !
En 1996, dans Les Grands ducs, Marielle cabotine tristement avec ses complices Rochefort et Noiret qu’on a connus tous meilleurs :
Puis tout s’écroule dans Faut que ça danse (2006) ou La Fleur de l’âge (2012), ces comédies modernes insipides d’une médiocrité qui inspire et qui s’inspire de notre triste époque. C’est qu’il faut vendre, produire du rentable ! Dénuement de textes qui doivent composer avec un contenu qui ne doit indisposer personne (tolérance) et comprendre tout le monde (inclusivité) tout en infusant une petite musique idéologique qui ne peut faire bon ménage avec l’Art, sa liberté de ton, sa possibilité de transgresser, et sa faculté de tout dire et de tout faire. Tant que c’est bien dit et que c’est bien fait.
Jean-Pierre, ce soir nous te rendrons hommage. Nous mangerons une blanquette de veau, du roquefort et de la frangipane. Nous boirons du beaujolais, fumerons des Gauloises. Puis nous honorerons nos femmes.