Pour une fois, nous allons éviter l’hommage bateau – Jean-Pierre n’aurait pas aimé – et la recopie honteuse des nécros de la presse mainstream pour présenter le grand partant du jour (ou de la semaine) sous un jour un peu nouveau. Nous partons pour cela de trois sources : le livre de Mocky sur lui-même, M comme Mocky, une espèce de bio assez lourdement romancée, les films qu’on a vus de lui, et ses passages télé assez remarqués.
Auteur d’une filmographie chaotique, et peut-être à cause de ça, Mocky avait une dent contre le milieu et le système du cinéma français. Il dénonçait en privé la mainmise de la gauche bien-pensante sur les aides à la production, la privatisation des avances, ce qui est aujourd’hui banal mais qui n’est toujours pas résolu. Un cinéma antigauchiste n’est par exemple pas soutenable, à moins d’avoir des sous hors milieu. Des sous, Mocky n"en avait pas, il faisait avec ses maigres budgets, ses fonds de tiroirs et ses boutons de culotte. Il n’avait pas l’entregent politique et les réseaux de remontée de grisbi comme une Varda, qui vient elle de disparaître, avec son cinéma mode. Mais ses films avaient le charme de la France d’autrefois, celle des années 60-70, un peu rebelle, un peu voyoute. Un peu bordélique aussi, comme ses productions. Mocky excellait surtout dans ses colères et ses coups de balance, ses exagérations et sa tendance à la mythomanie. À l’entendre, il avait sauté toutes les actrices. Mais sa mise à l’écart du Système ne venait pas de son goût des jolis culs, très partagé chez les réalisateurs et les producteurs, plutôt du choix de ses thèmes.
Dans les années 60 il s’est attaqué à l’Église avec Un drôle de paroissien, l’histoire de Bourvil qui pille des troncs. Quand Mocky tenait une star, c’est la star qui fixait les choses, pauvreté oblige. Pour ce film, Francis Blanche était moins cher que de Funès (Mocky voulait le duo Bourvil-De Funès), dont l’agent réclamait 10 millions (d’anciens francs) pour tenir un premier rôle. 15 fois plus que Blanche : injouable. De Funès qui amènera La Zizanie à Fechner, au grand dam de Mocky qui revendiquait le projet. Le cinéma, c’est l’histoire d’histoires qui changent en cours de route, au gré des soutiens et des renoncements, des coups de bol et des coups de pelle. À l’arrivée, le film n’est pas forcément ce qui était prévu mais il sort quand même.
Le Paroissien, sorti dans trois salles seulement, dont la célèbre du Marignan, fait un petit carton. Les deux semaines d’exploitation prévues sont élargies, mais beaucoup de salles ne prendront pas le risque de commander les bobines. Mocky, qui avait réussi à avoir Bourvil, alors une énorme vedette, en concevra une rancœur jamais éteinte. Mais son film avait été préparé en 15 jours et tourné en trois semaines seulement... Vite fait, mal fait ! Des défauts énormes mais des éclats de charme, le miracle de la grâce, parfois, sur l’écran. Les grands comédiens qui venaient tourner pour le dixième de leur cachet chez Mocky s’amusaient, faisaient leur petit numéro, et tout le monde était content. Le public ne se précipitera pas dans les salles pour autant.
Voici un exemple de tournage à la Mocky :
« Le mauvais œil est sur nous. On a recruté un figurant qui ne dessoûle pas. On l’écarte et il part en nous maudissant. Pendant tout le tournage, on obtient des plans bousillés. À la projection des rushs, on voit des rais de lumière sur la pellicule. Le film est comme traversé de feux follets. Un mauvais sort ? Le figurant ivrogne est un sorcier du village. En l’apprenant, je commence à craindre d’autres pépins. »
On l’a compris, le tournage de La Cité de l’indicible peur part en couille. Mais le pire est à venir : son héroïne et maîtresse se barre avec un malotru !
« Durant le tournage, mes rapports réalisateur-actrice se sont détériorés avec Véronique. Le film terminé, elle disparaît. Partie avec sa valise. Pas seule. Sur le tan-sad de la moto du garde-chasse. Je rentre chez moi fou de rage. Personne. Le lendemain, Francis Blanche m’appelle et me prévient que ma femme est à l’hôpital Bichat, les deux jambes brisées. M s’était gaufré avec sa moto. Pourquoi a-t-elle été avec lui ? Elle n’était pas amoureuse de lui. »
Oui mais ça c’est les gonzesses, parfois faut pas chercher à comprendre. Dans sa bio, Mocky, au milieu de tonnes d’actrices toutes plus folles de lui, a au moins l’honnêteté de raconter ses galères. Après le tournage, tout le monde le lâche : le producteur, l’auteur, l’acteur... C’est la Bérézina.
« J’avais tourné dans l’enthousiasme et tout finit en débandade. La critique descend le film. Les lecteurs inconditionnels de Jean Ray me maudissent. L’auteur n’est plus là pour témoigner à ma décharge. [...] Le public déserte. [...] Même Bourvil ne m’a pas soutenu. Nous sommes fâchés. Brouille aussi avec Raymond Queneau qui me reproche de ne pas m’être battu bec et ongles contre les coupes et le charcutage du film dont il avait écrit les dialogues (sans en être crédité au générique). »
C’est dur mais ça résume bien l’entreprise Mocky : de grandes ambitions, de petits moyens et une inscription en dur sur la liste noire. Il fera alors des films sur des sujets emmerdants pour la bienséance, on ne disait pas encore la bien-pensance. Aujourd’hui c’est bateau mais avant 68, c’était assez osé. Pourtant, Mocky a eu tous les grands acteurs de l’époque, ils ont tous tourné pour lui, Rich, Bourvil, Blanche, Serrault, Brasseur (père), Poiret, Maillan, Bacri (jeune), Cowl, Noiret, Arditi, Carmet, Marielle, Dombasle, Constantin, Moreau, Deneuve, Azema, Birkin...
Son cinéma deviendra de plus en plus antisocial, se moquant de la bourgeoisie, des ses mœurs, de ses hypocrisies. On voit bien qui il visait à travers elle, le milieu du cinéma qui ne l’a jamais considéré comme un grand. Et puis, Mocky est en butte avec les médias, les critiques le démolissent en permanence, c’est même devenu un sport national : on va voir un Mocky, on reste un quart d’heure, on se tire en douce et on défouraille dans la presse.
C’est quand il s’attaquera au marché naissant du film de cul pour bourgeois que la carrière de Mocky va connaître une embellie, on pense aux Saisons du plaisir, même si l’affiche marrante et cochonne y sera pour beaucoup. Il fait 100 000 entrées mais la malédiction s’abat à nouveau sur lui : interdit aux moins de 18 ans ! Et même déclaré indésirable ! Avec un scénar pour une fois bien écrit, en collaboration avec Patrick Rambaud d’Actuel, qui touchera un Goncourt 10 ans plus tard avec La Bataille, l’histoire d’une bataille de Napoléon, ou plutôt d’une boucherie. Mockey perdra, lui, beaucoup de batailles mais restera plutôt digne dans un métier qui le devenait de moins en moins.
On va terminer cet hommage foutraque par un paragraphe de Mocky sur ce métier de « putes » :
« J’ai vu des mères faire antichambre, prêtes à prostituer leurs filles pour un casting... Comme s’ils jouissaient d’un privilège de caste, les producteurs profitent de la situation et soumettent les débutantes au droit de cuissage. Certains réalisateurs l’exercent aussi. L’un deux, marié à une célèbre chroniqueuse de la TV, auditionnait à domicile. Il ouvrait sa porte, la bite sortant de sa robe de chambre. Des dizaines de candidates ont défilé dans son appartement.
[...] Aujourd’hui le couchage est complètement déritualisé et il n’y a plus guère que les consentantes. L’acte sexuel est tellement banalisé par le changement rapide de partenaire, tellement normalisé dans le libre-échangisme gratuit. La vedette peut essayer tous les corps de métier, techniciens, éclairagistes... Alors, le producteur ou un autre... »
En guise de conclusion, on se remémorera ici cette très juste phrase de Mocky lui-même, et qui résume parfaitement toute son oeuvre cinématographique : "La rapidité, c’est prendre le risque que la qualité soit dans le défaut".
Mocky chez Ruquier en 2013 :
Quand Mocky ne fait plus de cinéma :
Les Ballets écarlates, le film dont la télé n’a pas voulu (on se demande bien pourquoi) :