Deux rapports récents indiquent qu’Israël pourrait faire face à des conséquences catastrophiques s’il échoue à mettre un terme au mauvais traitement à l’égard des Palestiniens sous son autorité, que ce soit dans les territoires occupés ou en Israël même.
Les recherches de la Rand Corporation montrent qu’Israël pourrait perdre 250 milliards de dollars la prochaine décennie s’il échoue à faire la paix avec les Palestiniens et si la violence revient. Par contre, mettre fin à l’occupation pourrait rapporter un dividende de plus de 120 milliards de dollars dans les coffres de la nation.
Déjà le ministre israélien des Finances prédit un avenir plus sombre encore si Israël ne se réinvente pas. Il sera probablement en faillite dans peu de décennies, selon le rapport du ministre des Finances, en raison de la croissance rapide de deux groupes improductifs.
D’ici 2059, la moitié de la population sera soit juive ultra-orthodoxe, préférant la prière au travail, soit membre de la minorité des Palestiniens d’Israël, la plupart étant en échec à cause de leur système d’éducation séparé puis exclus d’une bonne part de l’économie.
Les deux rapports devraient déclencher un raz-de-marée d’inquiétude en Israël mais ils ont à peine ridé la surface de l’eau. Le statu quo – de l’occupation et du racisme endémique – semble encore toujours préférable à la plupart des Israéliens. Toute explication exige une analyse plus approfondie, que la Rand Corporation ou le ministre israélien des Finances ne semblent pas capables de produire.
Le rapport du ministre des Finances souligne qu’avec une population croissante qui n’est pas convenablement préparée à une économie moderne mondialisée, la charge de l’impôt retombe de plus en plus sur une classe moyenne qui rapetisse. Il est à craindre que ceci ne crée un cercle vicieux. Les Israéliens nantis ont souvent un second passeport. Submergés par la nécessité de pallier le manque à gagner, ils s’en iront, plongent Israël dans une dette irréversible.
En dépit de ce scénario apocalyptique, Israël semble tout sauf prêt à entreprendre l’urgente restructuration que nécessite le sauvetage de son économie. Le sionisme, idéologie officielle d’Israël, est fondée sur les principes de base de la séparation ethnique, de la judaïsation du territoire et du travail hébreu. Il a toujours dépendu de la marginalisation – dans le meilleur des cas – voire de l’exclusion – au pire – des non juifs.
Tout effort pour démanteler l’échafaudage d’un état juif créerait une crise politique. Les réformes peuvent se produire, mais elles auraient sans doute lieu trop graduellement que pour faire aucune différence.
Le rapport Rand lui aussi tire la sonnette d’alarme. Il note que les deux peuples bénéficieraient de la paix, bien que la motivation soit plus forte pour les Palestiniens. L’intégration dans le Moyen-Orient verrait une augmentation moyenne des salaires de 5 % seulement pour les Israéliens, comparée à 36 % pour les Palestiniens. Mais alors que des économistes ont été capables de quantifier les bénéfices de la fin de l’occupation, il est beaucoup plus difficile d’en évaluer les coûts en shekels et en dollars.
Ces six dernières décennies, une élite économique a émergé en Israël, dont le prestige, le pouvoir et l’aisance sont basés sur l’occupation. Les officiers de carrière ont de gros salaires et bénéficient dès la quarantaine de généreuses pensions. Aujourd’hui, de plus en plus de ces officiers vivent dans les colonies. Les hauts gradés de l’armée sont l’ultime groupe de pression et ils ne relâcheront pas leur mainmise sur les territoires occupés sans combat, qu’ils sont bien placés pour remporter.
Ils renforceront ceux du secteur des technologies de pointe, qui sont devenus la machine de l’économie israélienne. Ceux-là ont compris que les territoires occupés étaient le laboratoire idéal pour développer et tester le hardware et le software militaires.
L’excellence israélienne concerne l’armement, les systèmes de surveillance, les stratégies de confinement, la collecte de données biométriques, le contrôle des foules et la guerre psychologique : tous domaines éminemment commercialisables. Le savoir-faire israélien est devenu indispensable à l’appétit mondialisé de « sécurité nationale »
Cette expertise s’exhibait ce mois-ci à une foire de l’armement de Tel Aviv qui a attiré des milliers de responsables de la sécurité dans le monde, attirés par l’argument commercial que les systèmes offerts étaient « testés sur le terrain ». En finir avec l’occupation signifierait sacrifier tout cela et se retrouver un tout petit état anonyme sans exportations notables.
Et enfin les colons sont parmi les secteurs les plus engagés et les plus bénéficiaires idéologiquement de la population d’Israël. S’ils étaient expulsés, ils importeraient en Israël leur cohésion de groupe et leur profond ressentiment. Aucun dirigeant israélien ne veut déclencher une guerre civile qui pourrait mettre en pièces le sens de l’unité déjà si fragile au sein de la population juive.
La réalité est que la perception qu’ont la plupart des Israéliens de leurs intérêts nationaux, à la fois en tant qu’état juif et que puissance militaire, est intimement liée à une occupation permanente et à l’exclusion de la minorité palestinienne d’une véritable citoyenneté.
S’il faut tirer une conclusion de ces deux rapport, elle sera forcément pessimiste.
L’économie intérieure israélienne va sans doute s’affaiblir progressivement, à la fois à cause des ultra-orthodoxes et des forces de travail palestiniennes qui sont sous-utilisées. Résultat : les intérêts et les activités économiques israéliens vont sans doute se recentrer davantage encore sur les territoires occupés.
Loin d’inciter les Israéliens à repenser leur politique d’oppression envers les Palestiniens, les œillères idéologiques qu’impose le sionisme pourraient les pousser à poursuivre les bénéfices de l’occupation encore plus agressivement.
Si le monde observateur veut réellement la paix, les idées économiques rêvées ne suffiront pas. Le temps de la simple carotte est passé. Il faut aussi le bâton.