Malgré le soutien de deux maires successifs, un couple de maraîchers a dû renoncer à son installation sur cette petite île du golfe du Morbihan. Le site reste abandonné aux ronces, aux touristes et aux résidences secondaires.
Sous un ciel azur, les touristes se pressent à vélo vers les plages de l’île d’Arz. Le long de la route, les ronciers fleurissent sous le soleil de juillet. Jean-François Bato se taille un chemin à travers les buissons épineux. Des herbes folles ondoient sous la brise maritime. Le paysan ne peut réprimer un pincement de cœur. « Tout ce travail pour rien. » Il y a un an, cette parcelle fraîchement défrichée et labourée était prête à accueillir tomates, concombres et fraisiers. Aujourd’hui, la nature a repris ses droits.
En décembre 2014, Jean-François Bato, Aude Salmon et leurs deux enfants déménagent sur la petite île du Morbihan. Leur projet : produire des légumes, du miel et des plantes médicinales. Le tout en agriculture biologique et en vente directe. Moins d’un an plus tard, ils quittent les lieux, écœurés et abattus, laissant derrière eux un projet de vie et une population déchirée. Que s’est-il passé entre temps ? Voici le récit d’une « installation ratée », que Claudine Visayze, la correspondante sur l’île du journal le Télégramme, a justement titré « Les tunnels de la discorde ».
- Située dans le golfe du Morbihan, l’île d’Arz mesure à peine 4 kilomètres de long et abrite 250 habitants à l’année
Début 2014, Daniel Lorcy, alors maire de l’Île-d’Arz, lance un appel à projet pour installer des maraîchers. « Il n’y avait presque plus de paysans sur l’île, alors qu’ils sont essentiels pour entretenir les paysages et le lien social », explique-t-il. Pour lutter contre l’enfrichement et dynamiser la vie locale, la municipalité a d’ores et déjà préempté deux hectares de terres fertiles, situées non loin du rivage dans un espace remarquable et donc inconstructible au titre de la loi littoral. Mais le préfet de l’époque donne son accord de principe et Daniel Lorcy fonce, « trop vite » diront certains. Il sélectionne Jean-François Bato et Aude Salmon, leur met à disposition les parcelles, un petit atelier, et leur promet un forage.
« Tout se passait bien, ça partait sur de bonnes fondations »
La petite famille déménage quelques mois plus tard, et commence le travail sans attendre. « Les terres étaient couvertes de ronciers de plus de 2 mètres de haut », se rappelle Jean-François Bato. Mais rien ne semble pouvoir entamer leur motivation, contagieuse. Et quand Daniel Lorcy quitte son poste d’édile après une défaite inattendue aux élections municipales, sa successeuse, Marie-Hélène Stéphany, réitère son soutien. « Tout se passait bien, ça partait sur de bonnes fondations », raconte-t-elle.
- Les parcelles qui auraient dû accueillir les maraîchers partent aujourd’hui en friche
Pourtant, ces « bonnes fondations » vont se révéler sableuses. Au printemps 2015, les maraîchers installent un premier petit tunnel sur leur parcelle, pour produire des légumes d’été (concombre, tomates). Une installation « essentielle » à la viabilité du projet, explique Maëlla Peden, technicienne pour le Groupement des agriculteurs biologiques (Gab56) : « Pour protéger les plants du mildiou, des espèces invasives et pour produire des légumes à temps pour la saison estivale, il n’y a pas d’autres choix que le tunnel. » Les maraîchers prévoient donc l’implantation de cinq structures de 4 mètres de haut sur près de 2 000 m2, avec des haies bocagères pour « cacher » les serres.
Mais immédiatement, une voisine monte au créneau. Annick Denis possède une belle maison familiale (qu’elle occupe comme résidence secondaire) à proximité des tunnels. Elle crie au scandale, regroupe autour d’elle une quinzaine d’opposants, et crée l’Association pour le respect et la protection des paysages de l’île d’Arz. La majorité des Ildarais se disent pourtant favorables au projet, et le font savoir : une pétition, « Bienvenue aux maraîchers », remporte près de 400 signatures. Mme Denis contacte alors les Amis des chemins de ronde, une association morbihannaise connue comme « la police de la loi littoral », qui décide de déposer un recours contre la mairie. Motif : les tunnels, situés en zone protégée, ne seraient pas légaux. « On nous a accusés de défendre les intérêts privés, mais c’est faux, insiste la présidente de l’association, Marie-Armelle Échard. Nous avons défendu les paysages remarquables de l’île d’Arz. »