Drôle de glissement de sens de la presse mainstream qui, comme un seul homme, évoque systématiquement le prétendu antisémitisme du parti de Jeremy Corbyn et y voit une des raisons de la victoire écrasante du parti conservateur et du Premier ministre en poste, le dingo Boris Johnson.
Dans cette élection, tout tournait évidemment autour du Brexit : la droite (les Tories) promettaient une séparation fin janvier 2020, tandis que les travaillistes axaient leur campagne sur une hausse des dépenses publiques, un programme social « très radical » selon Le Monde. Le résultat de cette élection dite « historique » a littéralement mis la journaliste en émoi orbital :
On croyait Le Monde de centre gauche, social-démocrate de bon aloi, on le découvre à droite, ou en tout cas pas du tout de gauche, et même violemment antisocial. D’où vient cette joie hystérique mal contenue dans un titre qui ne ressemble pas au journal ? La réponse est dans le second paragraphe :
« On l’aime ou on le déteste, avec sa fausse allure brouillonne, son mépris des détails et surtout pour son slogan “Get Brexit done” (“réalisons le Brexit”), simpliste, répété ad nauseam durant toute la campagne des élections générales au Royaume-Uni. Pour autant, Boris Johnson a magistralement réussi son pari. Son camp conservateur a remporté une victoire historique, jeudi 12 décembre, avec 365 sièges à la Chambres des communes (selon les résultats définitifs), soit 39 sièges au-delà de la majorité absolue (326), une avance jamais vue depuis 1987, lors de la troisième victoire d’affilée du parti sous le leadership de Margaret Thatcher. [...]
Le Parti travailliste, deuxième force politique du pays, subit en revanche une véritable débâcle, avec 32,2 % des voix contre 40 % en 2017, n’obtenant que 203 sièges, contre 262 dans le Parlement sortant. Il paie lourdement le flou de son message sur le Brexit – le parti s’engageait à renégocier l’accord de divorce puis à organiser un référendum –, un programme très radical (plus de 400 milliards de livres sterling de dépenses publiques supplémentaires, environ 482 milliards d’euros) et surtout, l’image très dégradée de son chef, Jeremy Corbyn, accusé de n’avoir pas assez lutté contre l’antisémitisme rampant dans le parti. »
Le lobby sioniste anglais entre en scène
On se frotte les yeux : « et surtout, l’image très dégradée de son chef, Jeremy Corbyn, accusé de n’avoir pas assez lutté contre l’antisémitisme rampant dans le parti ». Comme si c’était l’antisémitisme prétendu de quelques membres du Labour qui avait déclenché cette défaite historique pour la gauche britannique... Il est certes clair que le lobby sioniste anglais n’a jamais pardonné à Corbyn de pencher plus du côté palestinien que du côté israélien, mais de là à faire croire que les Anglais ont voté contre l’antisémitisme... et donc pour le lobby sioniste, il y a une marge.
Pour ce qui le concerne, le lobby sioniste anglais a clairement voté contre Corbyn :
La justification de Corbyn ne servira à rien puisque le lobby a décidé qu’il était antisémite, c’est donc qu’il est antisémite :
« "La communauté juive est très anxieuse", ajoute-t-elle. Forte de près de 300 000 personnes entre l’Angleterre et le Pays de Galle, le vote des juifs britanniques peut faire la différence. "Beaucoup disent déjà qu’ils ne voteront pas pour lui car ils estiment qu’il n’a pas agi assez vite pour éradiquer ce problème d’antisémitisme au sein du Labour", poursuit la journaliste de France 24 . À quatre reprises lors de l’interview de Jeremy Corbyn sur la BBC, le journaliste lui a demandé s’il allait présenter ses excuses. À chaque fois, le chef du Labour a refusé. »
« Corbyn doit perdre »
Il y a deux jours, la même journaliste du Monde lançait les hostilités en appuyant sur l’amalgame Corbyn-antisémitisme et en laissant comprendre que le grand rabbin du Royaume-Uni n’était pas content :
L’article narre la souffrance des militants ou députés juifs du parti de Corbyn, à la fois forcés de partir sous la pression « antisémite » interne, et forcés de miser sur Boris Johnson pour éjecter Corbyn du parti... Démonstration :
« Ils sont réunis, ce dimanche matin, pour le lancement du livre Forced out (« expulsés »), et du documentaire du même nom, traitant des démissions de membres juifs – et non juifs – du Parti travailliste, se disant traumatisés par l’antisémitisme en son sein. Le sujet est d’une actualité brûlante, à quelques jours de l’élection générale du 12 décembre. Mais “il ne s’agit pas d’un événement anti-Labour”, précise d’emblée, un peu contre l’évidence, Judith Ornstein, auteure du livre, dont l’universitaire David Hirsh a tiré le documentaire.
Dans ce dernier, une dizaine d’ex-membres du Labour, juifs comme Dany Louise, conseillère municipale à Hastings, ou Dame Louise Ellman, ex-députée, mais aussi non juifs comme Joan Ryan et Ian Austin, également ex-députés, racontent pourquoi ils ont dû renoncer à leur engagement politique. Les mots sont durs, les témoignages émouvants. Harcèlement en ligne, députés et conseillers accusés d’être “sionistes”, collègues “obsédés par leur haine anti-Israël”, dans le cas de Dame Louise Ellman, passant leur temps à lui demander des comptes sur la politique israélienne. Cette députée, en fonction depuis la fin des années 1990, a démissionné en octobre, n’en pouvant plus d’être traitée de “raciste”.
À la fin de la projection, le débat s’engage. Dame Louise Ellman est dans la salle. “J’en suis arrivée à la conclusion que l’antisémitisme dans le parti ne cessera pas tant que M. Corbyn sera à sa tête”. L’assistance approuve. Egalement présente, Joan Ryan avoue qu’il “est terrible d’avoir à choisir entre deux peurs. Mais je ne peux pas négocier avec l’antisémitisme, je ne voterai pas pour Corbyn”, lâche l’ex-députée, qui rappelle avoir quitté le parti début 2019, pour son “antisémitisme institutionnalisé”. »
De l’Angleterre à la France et de Corbyn à Mélenchon
Une fois connus les résultats du vote, des voix se sont élevées dans le parti de Corbyn pour lui disputer son leadership. La presse s’est fait un régal de relayer ces attaques internes, avec de gros sous-entendus. Cela rappelle la très bourgeoise Clémentine Autain qui a tenté un coup de force sur La France insoumise après le résultat décevant des élections européennes pour Mélenchon et ses troupes. Elle avait dégainé sur France Inter :
« Ma conviction, c’est que nous gagnons quand nous sommes du côté de l’espérance, et pas quand nous sommes du côté du ressentiment ou de la haine. [...] Le mouvement a mis l’accent sur le clivage entre le “eux” et le “nous” qui ne me paraît ni juste, ni efficace. Cela revient à rejeter d’un bloc les élites, cela s’est traduit par un rejet global des médias et une prise de distance à l’égard du monde intellectuel. »
Même schéma donc en Angleterre où l’on entend des voix reprocher à Corbyn son positionnement trop social, trop antilibéral, trop anti-élites, et l’on comprend que ça glisse très vite vers les terres interdites...
Comme de bien entendu, le petit commissaire politique de France Inter Claude Askolovitch y a été de son analyse injurieuse :
Pour @JLMelenchon, Mr Corbyn a perdu parce qu’il était trop modéré, notamment face aux institutions juives. Lui Melenchon ne laissera pas le @Le_CRIF empêcher le bien. C'est une vue de l’esprit, ou bien une tentative de prendre de l’anti-juif dans sa besace mitée... Déchéance.
— claude askolovitch (@askolovitchC) December 13, 2019
Il a été aussitôt repris de volée par des esprits plus équilibrés :
Euh, on rappelle à @askolovitchC que c'est lui qui a lancé la fake-news sur le prétendu antisémitisme de Siné en 2008 et qui a fait exploser @Charlie_Hebdo_ . cc @sinemensuel @JLMelenchon
lire : https://t.co/jIkD9uZzEK pic.twitter.com/kwbxEWNrQ4
— Mathias Reymond (@mathreym) December 13, 2019
Critiquer le rôle délétère du CRIF dans la société française ce serait anti juif. Triste qu'un homme aussi éclairé que vous puisse affirmer une telle chose.
— Jean-Claude CAPRIN (@JeanCaprin) December 13, 2019
On comprend que ce petit commissaire se situe exactement sur la ligne du CRIF qui est devenu plus antimélenchoniste qu’antilepéniste. Askolovitch réagissait à un texte de Mélenchon diffusé sur son Facebook, dont voici la moelle :
« Corbyn a passé son temps à se faire insulter et tirer dans le dos par une poignée de députés blairistes. Au lieu de riposter, il a composé. Il a du subir sans secours la grossière accusation d’antisémitisme à travers le grand rabbin d’Angleterre et les divers réseaux d’influence du Likoud (parti d’extrême droite de Netanyahou en Israël). Au lieu de riposter, il a passé son temps à s’excuser et à donner des gages. Dans les deux cas il a affiché une faiblesse qui a inquiété les secteurs populaires. »
Mélenchon y critique l’esprit de « synthèse » qui a animé Corbyn dans cette campagne, esprit qu’il rapproche de celui qui a animé le PS des dernières années, et qui l’a mené à un autre désastre électoral en 2017.
Voici comment il termine sa diatribe :
« Tel est le prix pour les “synthèses” sous toutes les latitudes. Ceux qui voudraient nous y ramener en France perdent leur temps. En tous cas je n’y céderai jamais pour ma part. Retraite à point, Europe allemande et néolibérale, capitalisme vert, génuflexion devant les ukases arrogante des communautaristes du CRIF : c’est non. Et non c’est non. »
Conclusion : on ne peut plus être de gauche (sociale) aujourd’hui en Angleterre ou en France sans être taxé d’antisémitisme. Il ne reste plus que la gauche libérale (un bel oxymore) ou le national-sionisme... La gauche sociale est donc virtuellement interdite. Dire qu’il y a un siècle, le sionisme était de gauche... jusqu’à ce qu’il accepte l’argent de la Banque pour s’acheter Israël... en Palestine.