La relation entre Paris et Téhéran est-elle menacée par la crise libanaise ? Le Hezbollah, main de l’Iran dans le pays, est sous pression américaine, et la France, qui le défend jusque-là, pourrait une nouvelle fois s’aligner sur Washington. Réponses avec Ardavan Amir-Aslani, spécialiste de la région.
Paris et Téhéran sont deux nations de premier plan au Liban. Si la France, présente par son histoire, a perdu de son influence en raison notamment de sa politique en Syrie, elle y a tout de même fait un retour remarqué ces dernières semaines. En effet, la venue d’Emmanuel Macron le 6 août, après l’explosion du port de Beyrouth, et avant cela celle de son ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian les 22 et 23 juillet derniers, ont redonné une place à la France dans un Liban en crise totale.
Quant à l’Iran, son influence se trouve au cœur même du pouvoir libanais par l’intermédiaire du Hezbollah. L’organisation chiite y est en effet une force politique incontournable. Cependant, le Hezbollah n’a pu maintenir un gouvernement impopulaire qu’il avait décisivement contribué à mettre en place. Aujourd’hui menacé par Washington, qui cherche à lui imposer des sanctions dans le but de déstabiliser Téhéran, sa responsabilité dans la tragique explosion du port de Beyrouth a de surcroît été pointée du doigt.
Une telle situation délicate fragilisera-t-elle la relation franco-iranienne, déjà menacée par la faiblesse de Paris pour défendre l’accord nucléaire face aux pressions américaines ?
« Je ne pense pas. Il y a eu d’ailleurs au début une tentative de pointer du doigt le Hezbollah. Dix jours plus tard, il s’en sort assez bien puisque l’on n’en parle plus. Le Hezbollah n’est pas sorti affaibli et reste armé comme il l’était avant la tragédie. »
Ardavan Amir-Aslani, avocat d’affaires franco-iranien, cofondateur du cabinet Cohen Amir-Aslani et auteur d’ouvrages traitant de géopolitique au Moyen-Orient, réfute la thèse qui considère que les conséquences de l’explosion du port entraînent une détérioration entre Paris et Téhéran et envisage plutôt l’inverse :
« La France a même eu une attitude assez étonnante puisqu’elle a demandé aux États-Unis d’enlever les sanctions qui frappaient le Hezbollah, ce qui a été d’ailleurs un peu mal compris par Israël. Au contraire, je pense que cette affaire peut rapprocher l’Iran et la France sur la question libanaise. »
En effet, 72 heures après la catastrophe qui a fait près de 180 morts et 6500 blessés, Emmanuel Macron aurait, selon l’Élysée, déclaré à Donald Trump que les sanctions décidées par Washington contre le Hezbollah pouvaient être contre-productives. Le mardi 9 juillet, Washington avait résolu de sanctionner pour la première fois des députés du Hezbollah libanais, considérant que le Hezbollah était un mouvement terroriste et devant donc être traité comme tel. Une position différente du droit international et de la réalité, selon Ardavan Amir-Alani :
« Les États-Unis, même s’ils essayent de transposer l’extraterritorialité de leur droit, ne peuvent pas changer certaines situations de fait. Le Hezbollah est un parti de gouvernement, un parti élu au Liban. On peut ne pas aimer la chose, mais c’est une réalité. La branche militaire est considérée comme terroriste par le droit international mais pas la branche politique. »
Cependant, les États-Unis ne sont pas le seul pays à ne pas faire de distinction entre la branche militaire et la branche politique. En effet, les partenaires européens de la France, notamment dans les dossiers iraniens, ont plié face aux pressions américaines et israéliennes. En mars 2019, le Royaume-Uni avait inscrit le mouvement chiite sur sa liste terroriste, suivi par l’Allemagne le 1er mai 2020. La France, elle, pourra-t-elle résister à cette mode ?
« Je ne le pense pas. Je pense qu’à terme, les mêmes pressions qui se sont exercées sur Londres et sur Berlin s’exerceront sur Paris. Et la France devra s’aligner. »
Cette décision d’imposer des sanctions au Hezbollah s’explique parce que l’administration Trump considère que l’organisation chiite est une émanation du pouvoir de Téhéran. Ainsi, elle cherche à tout prix à faire plier son ennemi, en élargissant sa campagne de « pression maximale » contre l’Iran et ses alliés. Pour autant, comme le rappelle l’invité de Sputnik, le Hezbollah est bien plus que cela pour un certain nombre de Libanais :
« Le Hezbollah a acheté sa libanité – si j’ose dire – au Liban ne serait-ce qu’avec l’association du Hezbollah avec les chrétiens du Liban, notamment avec les maronites personnifiés par le Président Michel Aoun et encore avec la guerre de 2006 avec Israël où le Hezbollah a acheté sa libanité en faisant obstacle aux irruptions quotidiennes de l’aviation israélienne sur le territoire libanais. »
C’est ce facteur, cette libanité, encore prise en compte par le Quai d’Orsay, qui permet aussi à la France de garder un pied dans le pays du Cèdre. Ardavan Amir-Aslani, qui considère que la France a « abandonné le Liban depuis des années », appelle de ses vœux un retour en force de l’ancienne puissance mandataire : « Je pense que cela serait bienvenu pour rééquilibrer les forces en présence. »
Mais plus encore, une présence accrue au Levant serait, pour la diplomatie française, synonyme d’une meilleure compréhension de la question iranienne dans la région. Le Liban, porte d’entrée de la France au Moyen-Orient ?