« L’attentat avait également provoqué le retrait des troupes syriennes et ouvert la voie à des années de confrontation entre les différents courants politiques du pays. Le Hezbollah, mouvement armé chiite soutenu par l’Iran, a toujours nié toute implication dans l’attaque à la camionnette piégée. » (Le Monde )
À qui a profité le crime ? À Israël, principalement : la Syrie, sous la pression internationale (et française), a dû quitter le Liban, le Hezbollah a été placé dans une position défensive et le Liban, depuis, est ingouvernable, puisque son fragile équilibre politique a été détruit. Une aubaine pour le puissant voisin...
Sachant le nombre démentiel d’attentats sous faux drapeau commis par les Israéliens au Liban pendant des années, et depuis reconnus comme tels par le renseignement israélien « en personne », dont l’objectif était la désorganisation de son voisin du nord, on peut se poser la question de l’intérêt pour le Hezbollah et même les Syriens de se débarrasser de Rafic Hariri. Voyez ce paragraphe de Wikipédia :
« De 1979 à 1983, les services secrets israéliens mènent une campagne à large échelle d’attentats à la voiture piégée qui tua des centaines de Palestiniens et de Libanais, civils pour la plupart, revendiqués par le “Front pour la libération du Liban des étrangers” (FLLE). Le général israélien David Agmon indique qu’il s’agissait de “créer le chaos parmi les Palestiniens et les Syriens au Liban, sans laisser d’empreinte israélienne, pour leur donner l’impression qu’ils étaient constamment sous attaque et leur instiller un sentiment d’insécurité”. Le chroniqueur militaire israélien Ronen Bergman précise que l’objectif principal était de “pousser l’Organisation de libération de la Palestine à recourir au terrorisme pour fournir à Israël la justification d’une invasion du Liban”.
Voilà pour le contexte, et la probabilité très forte d’un attentat sous faux drapeau.
Le Premier ministre libanais sunnite était proche de Chirac ; l’attentat attribué aux Syriens a coupé une partie du soutien français au Liban, un soutien historique que les Israéliens avaient intérêt à briser. Car ce sont les Français qui ont sécurisé le départ pour Tunis d’Arafat et des fedayins palestiniens de Beyrouth en 1982, une protection que les Israéliens n’avaleront jamais. Vingt-trois ans plus tard, l’ami personnel de Chirac sera éliminé.
Les rapports étroits entre Hariri et Chirac
« Il partageait avec lui son savoir-faire avec le monde arabe au point que l’ancien président français défunt fait état dans ses mémoires de "liens indéfectibles" noués entre lui et la famille Hariri. Certes, Rafik Hariri n’a pu devenir Premier ministre, ni former un gouvernement au Liban sans l’aval de la puissance tutélaire de la Syrie. À l’époque, Hafez el-Assad, père de l’actuel président syrien, appliquait encore avec le pays des Cèdres le principe de "prendre... mais aussi donner". "Une politique avec laquelle Rafik Hariri était à l’aise, pourvu qu’il puisse gouverner", explique Rima Tarabay, d’autant qu’il entretenait des relations privilégiées avec le vice-président syrien Abdel Halim Khaddam, caution sunnite du régime alaouite au pouvoir à Damas.
Le Premier ministre de la reconstruction libanaise a ainsi "appris à son ami Chirac les règles du jeu proche-oriental, ou comment trouver l’équilibre et la stabilité". Un jeu parfaitement intégré par celui-ci au point que le président syrien ira jusqu’à lui confier son fils en personne. Toujours dans ses mémoires, Jacques Chirac raconte que Hafez el-Assad lui avait dit peu avant sa mort en 2000, "Bachar est comme ton fils, tu devras donc le traiter comme tel". » (France Info )
Tiens, la Syrie d’Assad (père) ne semblait pas vouloir se débarrasser d’Hariri...
Si l’on ne prend pas en compte toutes ces données, surtout au Liban, on simplifie le propos et on en arrive à des solutions simples : le Hezbollah et/ou la Syrie ont liquidé Hariri parce qu’il était trop proche des intérêts occidentaux. Et pourquoi pas des Israéliens ?
Cependant, quel intérêt avait le Hezbollah de briser ce lien politique synonyme de parapluie franco-syrien « anti-israélien » pour le Liban ? Le Monde ne va pas si loin et ne s’embarrasse pas de la complexité proche-orientale : il embraye sur la « justice » internationale, celle de La Haye, qui est la justice de l’Empire.
« Plus de quinze ans après l’assassinat de l’ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a rendu, mardi 18 août, son jugement à l’encontre de quatre membres du Hezbollah libanais, jugés par contumace. Trois d’entre eux ont été acquittés, et le quatrième a été condamné : sa peine sera prononcée à une date ultérieure et il encourt la prison à perpétuité. L’accusation et la défense peuvent toutes deux faire appel du jugement. »
Pour un attentat de cet envergure, il semble que ce soit des lampistes qui aient trinqué, mais des lampistes du Hezbollah :
« Mardi, le TSL, qui siège dans la banlieue de La Haye, aux Pays-Bas, a condamné Salim Ayyash, 56 ans. Il était accusé d’avoir dirigé l’équipe qui a perpétré l’attentat. Les accusations portées contre lui incluent “la commission d’un acte de terrorisme”, ainsi que « l’homicide intentionnel de Rafic Hariri » et de 21 autres personnes. Il était également accusé de “tentative d’homicide intentionnel” de 226 personnes. Dans une autre affaire, le tribunal l’a accusé en 2019 de “terrorisme” et de meurtre pour trois attaques meurtrières perpétrées contre des politiciens libanais en 2004 et 2005. »
Si le Hezbollah n’est pas tout blanc dans la guerre civile de basse intensité qui agite le Liban depuis la fin de la guerre civile proprement dite (1975-1990), pourquoi l’organisation chiite aurait éliminé Hariri, qui était certes un adversaire politique mais lié constitutionnellement au Hezbollah ? La réponse est simple, comme l’écrit Le Monde. Mais en politique, rien n’est jamais simple, surtout au Liban...
« Rafic Hariri, chef de file de la communauté sunnite qui avait des liens étroits avec les États-Unis, des pays occidentaux et des alliés sunnites dans le Golfe, était considéré comme une menace pour l’influence de l’Iran et de la Syrie au Liban. Son assassinat, le 14 février 2005 à Beyrouth lors d’un attentat à la voiture piégée qui a fait au total 22 morts et plus de 220 blessés, a plongé le Liban dans ce qui fut alors sa plus grande crise depuis la guerre civile de 1975-1990. »
Le verdict du TSL, après 15 ans d’enquête à charge pour la Syrie d’abord, et pour le Hezbollah ensuite, ne surprendra personne, et arrange les affaires israéliennes, qui veulent à tout prix faire de l’organisation politique chiite une organisation terroriste. Mais le Liban tient sur deux solides jambes, les chrétiens et les musulmans, et la jambe musulmane est principalement chiite. En éliminant le sunnite Hariri, les organisateurs de l’attentat ont peut-être voulu déclencher une guerre au cœur même des musulmans libanais...
« Le TSL avait été créé après une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU en 2007 sur l’établissement d’un tribunal international pour juger les assassins de M. Hariri. Le Hezbollah, allié de Damas et de Téhéran, avait, à l’époque, dénoncé une “violation de la souveraineté du Liban”. [...] Le 14 août, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a prévenu qu’il ne se sentirait pas concerné par le verdict : “Pour nous, ce sera comme si la décision n’avait pas été annoncée.” »
En attendant, la justice des vainqueurs a rendu son verdict. On attend celui de l’Histoire.