Tous les journalistes sérieux savent que le ministre Robert Boulin a été assassiné, sauf (probablement) Laurent Joffrin et la rédaction du Canard enchaîné, mais ils ont sûrement leurs raisons. Ce crime d’État – ce qui est partiellement vrai puisque tout l’apparail d’État n’a pas participé à cette élimination politique – a été maquillé en suicide mais ce maquillage était tellement énorme qu’il a généré 38 ans de doutes et de troubles. Troubles chez les témoins directs, doutes dans la classe médiatico-politique.
La presse mainstream qui s’en est tenue longtemps à la version officielle a montré sa collusion avec le pouvoir politique, lui-même lié au pouvoir économico-financier. Dans de tels rets, la vérité ne pouvait émerger. Le mensonge a quand même tenu 38 ans, car aujourd’hui, la Pravda en personne, le journal Le Monde, celui qui donne le « la » de la bienpensance, reconnaît implicitement qu’il y a eu crime. Une reconnaissance indirecte, à travers le travail d’un authentique journaliste, Benoît Collombat.
Son enquête a été détaillée dans un Envoyé spécial, à partir des éléments que les enquêteurs sérieux précédents avaient compilés dans plusieurs livres. C’est par le livre que la vérité se perpétue. Tout le monde ne les lit pas, mais la vérité attend patiemment à l’intérieur, tapie, le moment de surgir dans l’espace public. Et ce jour est arrivé. On pense à la famille de Robert Boulin, qui n’a cessé de lutter pour imposer cette simple vérité, qui sautait aux yeux de tous les témoins qui ont dû la fermer, ou changer leur déposition : Robert Boulin a été assassiné le 29 ou 30 octobre 1979.
« Durant sa reconstitution, le journaliste révèle les zones d’ombre et les dysfonctionnements qui ont irrigué l’instruction de ce dossier, dès le début. Autopsie manquée, gendarmes dessaisis de l’affaire, pompiers mis en garde : autant d’éléments qui remettent en cause la fiabilité de la première investigation menée dans les années 1980.
Benoît Collombat entend aussi des témoins précieux, restés silencieux pendant plus de trente ans, à l’image de Bernard Pons, ancien secrétaire général du RPR entre 1979 et 1984, qui s’exprime pour la première fois sur le sujet, à 91 ans. En effet, la plupart des protagonistes de l’époque sont soit décédés, soit dans l’incapacité d’en parler. »
Cette propension qu’ont les hommes politiques de lâcher leurs vérités à l’automne de leur vie... C’est à la fois compréhensible et répréhensible : il y a certes la raison d’État, mais aussi la lâcheté. Ceux qui font profession de dire la vérité, toute la vérité, dans la mesure de leurs moyens intellectuels et dans les limites de la loi, ne souffrent pas de ce syndrome de la vérité tardive.
- Ministre populaire, Robert Boulin était pressenti pour le poste de Premier ministre de Giscard. Est-ce cela qui l’a tué ?
« Robert Boulin était devenu l’homme à abattre – celui qui en savait trop ? – dans un contexte politique tendu. Passé notamment par les ministères stratégiques du Budget et des Finances, l’homme était au courant des financements plus ou moins licites des partis politiques. “Envoyé Spécial” revient à ce propos sur les affaires de corruption liées à de gros contrats de la Françafrique sur le nucléaire, l’armement ou encore le pétrole. Robert Boulin devait avoir eu connaissance de cet argent sale. Il aurait même, dit-on, conservé des dossiers à propos de ces contrats ; dossiers restés bien évidemment introuvables. »
En espérant que Le Monde accède à autant de lucidité – même tardive – sur les événements du 11 Septembre et l’assassinat de JFK...
L’émission entière d’Envoyé Spécial du 26 octobre 2017 est ici. La partie sur Robert Boulin commence à 53’05.