Après sept années de laborieux efforts, l’assemblée générale des Nations unies a donné le jour au Traité sur le commerce des armements. L’objectif déclaré n’est pas de limiter les exportations et importations d’armes « conventionnelles », lourdes et légères, mais de les réglementer.
Parmi les principes sur lesquels se fonde le Traité se trouve en effet celui du « respect des intérêts légitimes des États à acheter des armes conventionnelles pour exercer le droit à l’autodéfense et pour les opérations de peacekeeping, et de produire, exporter, importer et transférer des armes conventionnelles ».
Les cent plus grandes industries guerrières du monde, dont 78 sont basées aux États-Unis et en Europe occidentale, pourront ainsi continuer à accroître leurs ventes, dont la valeur annuelle estimée approche les 500 milliards de dollars. Les principaux exportateurs sont les États-Unis, suivis par la Russie, l’Allemagne, la France et la Chine, qui a dépassé la Grande-Bretagne. Les principaux importateurs sont l’Inde, le Pakistan et les monarchies du Golfe. Forte croissance aussi pour les importations d’armes en Afrique du Nord, qui ont augmenté de 350 % en 2007-2012. Personne par contre ne connaît la valeur réelle des transferts internationaux d’armes, dont certains adviennent sur la base de transactions politiques. Parmi ceux-ci, par exemple, les 20 véhicules blindés de combat Puma, donnés par l’Italie aux gouvernants libyens « à titre gracieux » (c’est-à-dire payés avec l’argent public par les contribuables italiens).
À quoi sert alors le Traité ? Il faut dire avant tout que, bien qu’ayant été approuvé à une large majorité, il a fait l’objet d’’abstentions significatives, surtout celles de la Russie, de la Chine et de l’Inde. En outre, même après avoir été ratifié par les parlements nationaux (chose qui n’est pas du tout acquise, notamment aux États-Unis), le Traité ne sera pas contraignant mais constituera une sorte de code de conduite auquel les gouvernements devraient se tenir. La norme fondamentale est que les armes ne doivent pas être fournies à des États qui « minent la paix et la sécurité et commettent des violations du droit humanitaire international ». Comme l’assure le secrétaire d’’État étasunien John Kerry, le Traité contribuera à « réduire le risque que les transferts internationaux d’armes conventionnelles ne soient utilisés pour accomplir les pires crimes du monde, y inclus terrorisme, génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre ».
En d’autres termes, le Traité autorise la fourniture d’armes aux « gentils » mais interdit strictement de les fournir aux « méchants ». Reste à voir qui sont les uns et les autres. Si le Traité par exemple avait été approuvé par l’ONU en 2011, que ce serait-il passé ? Il aurait été employé pour justifier l’embargo draconien contre la fourniture d’armes au gouvernement libyen accusé de crimes contre l’humanité. En même temps il aurait servi à rendre légale la fourniture de bombes étasuniennes aux alliés (Italie comprise) qui avaient épuisé les leurs dès les premières semaines de bombardements.
Aujourd’hui, souligne la responsable d’Oxfam International pour le contrôle des armements, se faisant le porte-parole d’une idée répandue dans l’éventail pacifiste qui défend le Traité, il peut contribuer à réduire la tragédie de la guerre civile en Syrie, puisque « la Russie soutient que les ventes d’armes au gouvernement sont autorisées car il n’y a aucun embargo ». Elle oublie cependant le flux croissant d’armes, confirmé par la récente enquête du New York Times (Il Manifesto, 27 mars), qui sont livrées au « rebelles » à travers un réseau international organisé par la CIA, qui implique la Turquie, la Jordanie et la Croatie.
Dans cette logique, un autre des principes sur lesquels est fondé le Traité, à savoir « le droit de tous les États à l’autodéfense individuelle et collective reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations unies », peut être interprété de manière à justifier l’embargo des armes au gouvernement syrien et, en même temps, leur livraison aux « rebelles », en assurant que ceux-ci les utilisent pour l’« autodéfense ». Différents défenseurs du Traité affirment que sont bannies les ventes d’armes non seulement aux États mais aussi aux groupes qui les utilisent dans des actions qui violent les droits humains, mais qu’elles peuvent être fournies ouvertement et légalement aux « mouvements de libération qui luttent contre des gouvernements abusifs ». Comme, précisément, le gouvernement syrien que les USA et l’OTAN considèrent comme illégal, pendant qu’eux-mêmes arment et entraînent le « mouvement de libération », en grande partie infiltré de l’étranger.
Les industries guerrières pourront ainsi continuer à faire des affaires en or : il suffit qu’elles vendent les armes à ceux qui les utilisent pour « le droit à l’autodéfense et pour les opérations de peacekeeping ».
Manlio Dinucci
Source : édition de jeudi 4 avril de Il Manifesto
Traduction : Marie-Ange Patrizio