Jusqu’en 1992 la Corée du Nord, comme d’autres pays de l’orbite soviétique comme Cuba ou le Viêt-Nam, bénéficiait de tarifs préférentiels sur les importations de pétrole en provenance d’URSS. Avec l’effondrement de cette dernière, ces aides furent brutalement interrompues et la Corée du Nord accéléra donc son programme nucléaire civil afin de remplacer ses centrales thermiques gourmandes en pétrole par des centrales nucléaires au graphite de technologie soviétique.
Ces mesures étaient d’autant plus urgentes que l’agriculture hautement mécanisée et largement planifiée de ce pays dépendait davantage qu’ailleurs de carburant, engrais et pesticides dérivés du pétrole et du gaz naturel. La réussite nord-coréenne en matière de production agricole menaçait donc de se transformer en catastrophe humanitaire.
Le pays était depuis 1985 signataire du Traité de non-prolifération, devait se conformer aux dispositions de ce traité à l’horizon 1992, puis soumettre un rapport et enfin se plier à des inspections de l’Agence internationale à l’énergie atomique. Cette dernière dénonce alors des « incohérences » dans le rapport fourni et une probable existence de plutonium non déclaré, puis demande aux autorités nord-coréennes de donner à ses inspecteurs un accès complet à ses installations nucléaires, demande qui lui est refusée, suite à quoi Pyongyang se retire du TNP.
Après de longs mois de négociations, la Corée du Nord accepte finalement ces « activités d’inspection » en échange de la suspension des exercices militaires conjoints « Team Spirit » (esprit d’équipe) entre les États-Unis et la Corée du Sud. Rappelons que jusqu’en 1989 la Corée du Sud était une dictature militaire contrôlée par les États-Unis qui y disposaient, et disposent toujours, de bases militaires. Le régime « démocratique [1] » qui fut ensuite instauré continua de tolérer ces bases malgré de nombreux incidents et protestations populaires.
Craignant à juste titre que le programme nucléaire civil nord-coréen comporte un volet militaire, tout en constatant le caractère urgent d’un approvisionnement régulier du pays en pétrole, l’administration Clinton propose en 1994 un accord cadre (« Agreed Framework ») à Pyongyang, prévoyant un gel du développement, puis un remplacement de ses réacteurs au graphite existants et en cours de construction par des réacteurs à eau légère moins susceptibles d’alimenter en plutonium un programme de mise au point d’armes nucléaires.
En contrepartie de l’arrêt du programme existant et du respect par la Corée du Nord du TNP, les États-Unis proposent notamment de lui livrer 500 000 tonnes de mazout lourd par an pour alimenter ses centrales thermiques, en attendant la livraison et l’installation des réacteurs à eau légère que le pays rembourserait sans intérêts dans un délai de 20 ans.
Durant les négociations, la Corée du Nord affiche clairement une volonté de renouer des relations pacifiques avec son ancien ennemi, tandis que les États-Unis semblent davantage préoccupés par la non-prolifération nucléaire, sans toutefois insister sur l’apaisement. En outre, le Washington Post rapportait en 2005 que des membres de l’administration Clinton affirmaient en privé qu’ils s’attendaient à ce que le gouvernement nord-coréen s’effondre avant la mise en œuvre des accords [2].
Quoi qu’il en soit, il est avéré que le Congrès états-unien ne prit pas les mesures financières et logistiques nécessaires pour livrer en quantité et en temps voulus le mazout à la Corée du Nord, qui avait planifié son économie en conséquence : les pénuries s’aggravent, le pays manque cruellement d’énergie et donne la priorité à l’armée pour l’approvisionnement en carburant.
En 1996 le secteur agricole nord-coréen est littéralement à l’arrêt faute d’énergie, ce qui entraîne une famine dont il est difficile de déterminer l’ampleur car peu de journalistes étrangers sont sur place, mais il est certain que les victimes se comptent par dizaines de milliers.
Le cynisme de l’administration Clinton et plus généralement de la politique étrangère de Washington se révèle alors au grand jour à qui veut bien ouvrir les yeux, tandis que la presse inféodée aux États-Unis se borne à attribuer la responsabilité de cette tragédie à Pyongyang seule.
Le grand géologue pétrolier Jean Laherrère insiste souvent sur le fait qu’ « un graphique parle davantage que mille mots ».
Dans ce cas précis, son graphique mettant en parallèle la consommation de pétrole et la production agricole de la Corée du Nord dans les années 1990 illustre malheureusement très bien la catastrophe que représente une pénurie de pétrole pour un pays dont l’agriculture est très mécanisée et planifiée.
- Corée du Nord : consommation de pétrole (en rose) et production agricole (en bleu).
Source : hubbertpeak.com
On imagine plus facilement l’horreur vécue par la population de Corée du Nord dans ces années sombres, alors que le cynisme des autorités états-uniennes faisait également des dizaines de milliers de victimes en Irak, qui ne pouvait pas importer de lait en poudre prétendument à cause du danger des armes chimiques.