Le 4 juillet 2017, soit le jour de la fête nationale américaine, la République populaire démocratique de Corée (RPDC) a procédé au tir d’un missile balistique de type Hwasong-14 : elle affirme avoir lancé avec succès, pour la première fois, un missile balistique intercontinental (acronyme anglais : ICBM). Si les experts étrangers discutent la portée de ce tir, de nouveau unanimement critiqué par les États-Unis et les pays occidentaux car contrevenant aux sanctions des Nations unies, il marque en tout cas un nouveau progrès dans le programme balistique nord-coréen, posant de nouveau la question de l’efficacité de la politique de sanctions pour empêcher le développement des programmes balistiques et nucléaires de la RPD de Corée.
Selon les autorités nord-coréennes, le lancement, décidé et supervisé par le Maréchal Kim Jong-un, aurait permis à l’engin d’atteindre une altitude de 2 802 km. Il aurait volé sur une distance de 933 km, avant de tomber dans la mer de l’Est. Toujours selon les médias de la RPDC, la Corée du Nord, puissance nucléaire, serait désormais dotée d’ICBM lui permettant de « frapper tout endroit au monde ».
Si les militaires occidentaux ont été très prudents sur la portée de ce tir, la Russie, d’après les données paramétriques, estime qu’il s’agit d’un tir de portée intermédiaire – soit une catégorie immédiatement inférieure à celle des missiles de type ICBM, dont la portée est supérieure à 5 600 kilomètres. Pour sa part, David Wright de l’Union of Concerned Scientists, estime, avec d’autres experts, la portée du missile nord-coréen à 6 700 kilomètres, ce qui permettrait à la RPDC d’atteindre l’Alaska. Dans tous les cas, les progrès du programme balistique nord-coréen sont réels, et ceux-ci se sont manifestement accélérés sous l’impulsion du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un depuis son arrivée au pouvoir en 2011.
Sur les motivations des programmes balistiques et nucléaires de la RPDC, l’historienne Juliette Morillot observe, dans un entretien à 20 minutes, que leur développement procède d’un sentiment légitime d’insécurité des Nord-Coréens face à la politique américaine, aujourd’hui marquée par l’imprévisibilité de l’administration Trump :
« La Corée du Nord se sent menacée par les Américains, et de fait, elle l’est. En atteste il y a quelques semaines l’annonce par Trump de l’envoi d’un porte-avions américain dans la zone. Kim Jong-un craint que Donald Trump, qui a 28.000 soldats américains postés sur le sol sud-coréen, ne décide d’envoyer ses troupes envahir la Corée du Nord. D’ailleurs, entre Donald Trump et Kim Jong-un, c’est bien Donald Trump qui est le plus imprévisible des deux. »
Pour Europe 1 et le JDD, le journaliste Vivien Vergnaud souligne que la poursuite du programme balistique nord-coréen s’inscrit dans « un contexte de menaces répressives » :
« La Corée du Nord réalise des tirs de missiles balistiques dans un contexte de menaces répressives, qu’elles viennent des sanctions des Nations Unies portées par les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud. »
Pour l’auteur Philippe Pons, les programmes militaires nord-coréens ne s’inscrivent ainsi plus dans une logique de négociation (qui consisterait à les arrêter, voire les démanteler, en contrepartie notamment de garanties de sécurité), mais « relèvent d’une nécessité stratégique » :
« Les programmes nucléaires et balistiques nord-coréens ne sont plus une monnaie d’échange dans une négociation : ils relèvent d’une nécessité stratégique. »
Comme le soulignent des experts nord-américains cités par Laurent Barthélémy (bureau de l’AFP à Washington), il convient que l’administration américaine prenne acte de l’échec de la politique de sanctions et se fixe d’autres objectifs de négociation que ceux, désormais dépassés, d’une dénucléarisation de la péninsule coréenne :
« Pour un certain nombre d’experts américains, les États-Unis n’ont plus d’autre choix aujourd’hui que de prendre acte des progrès de Pyongyang, et de rechercher désormais des objectifs moins ambitieux qu’un abandon pur et simple de son programme de missiles nucléaires.
“Aujourd’hui, la fenêtre pour négocier une dénucléarisation de la péninsule coréenne”, objectif traditionnel de l’administration américaine, “est close”, a déclaré à l’AFP Jeffrey Lewis, un chercheur de l’Institut Middlebury des études internationales, dont le siège est en Californie.
Washington doit prendre acte des progrès nord-coréens et désormais chercher à “réduire la tension” avec Pyongyang, “tout en renforçant la dissuasion” face aux armes nucléaires du régime, explique-t-il.
“Ça ne sert à rien de faire pression pour empêcher le passage d’un seuil déjà franchi”, a renchéri Adam Mount, un expert du cercle de réflexion Center for American progress, à Washington. »
Cette position réaliste et raisonnable est celle de Moscou et Pékin, qui relançaient le même jour (avant le tir nord-coréen) leur proposition que Washington et Séoul suspendent leurs manœuvres militaires dans la péninsule coréenne, en contrepartie d’un gel (et non d’un démantèlement) de ses programmes balistiques et nucléaires militaires par Pyongyang. La Chine, qui préside par ailleurs le Conseil de sécurité des Nations unies au mois de juillet, a affirmé, par la voix de son ambassadeur aux Nations unies Liu Jeyi, la nécessité de diminuer les tensions pour empêcher des conséquences « désastreuses », en revenant à la table des négociations :
« Si les tensions s’enveniment... Tôt ou tard, cela va devenir hors de contrôle et les conséquences seront désastreuses (...) Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre trop longtemps sans que le dialogue ait lieu. »
Mais Donald Trump, qui a réagi par un tweet de colère au tir balistique nord-coréen (« La Corée du Nord vient juste de lancer un autre missile. Ce type n’a-t-il rien de mieux à faire de sa vie ? ») est-il prêt à agir de manière raisonnable ? Formons le vœu que la communauté internationale saura l’en convaincre, pour la paix et la prospérité non seulement de l’Asie du Nord-Est, mais aussi les nôtres, au regard des conséquences effroyables qu’aurait un affrontement militaire entre ces deux puissances nucléaires que sont la Corée du Nord et les États-Unis.