Barbara Lefebvre et Anne-Sophie Nogaret s’insurgent contre la tenue d’un coloque à Paris VII réunissant des « chercheurs en indigénisme » et dévoilent la manière avec laquelle le milieu universitaire français est saccagé par l’idéologie antirépublicaine des groupuscules d’extrême-gauche.
Barbara Lefebvre est professeur d’histoire-géographie. Elle est coauteur de Les Territoires perdus de la République (éd. Mille et une nuits, 2002). Anne-Sophie Nogaret est enseignante.
La dévastation intellectuelle conséquente à l’idéologie racialiste est apparue sur les campus américains au tournant des années 1970-1980. Pour notre malheur, elle arrive en Europe toute prête à l’emploi, dans des universités où le vide idéologique et politique a laissé le champ libre au militantisme identitariste des minorités. Un colloque organisé à l’université Paris VII fin septembre viendra encore une fois en administrer la preuve.
Portée outre-Atlantique par l’extrême gauche, puis par des groupes et des individus s’estimant les porte-paroles exclusifs de « minorités » de couleurs, de genres, d’obédiences spirituelles, etc., l’idéologie racialiste mère de ce désastre culturel a été largement décrite, et depuis longtemps, par nombre d’intellectuels américains – hélas trop rarement traduits en français – d’Allan Bloom au milieu des années 1980 jusqu’à l’ouvrage récemment publié par deux sociologues, Bradley Campbell & Jason Manning, The Rise of Victimhood culture (Springer, 2018).
Aux États-Unis est ainsi née l’inversion des modes ségrégatifs. Dans un pays qui vécut longtemps sur un système de discrimination légale, doit-on s’étonner ? Les antiracistes-racistes actuels se prétendent héritiers de la lutte pour les droits civiques des années 1960, qui visait en effet à combattre des situations bien réelles et à abolir les lois de ségrégation raciale. Une fois l’égalité des droits acquise fut mise en œuvre la discrimination positive, source d’effets pervers qui ont justifié sa profonde remise en cause, y compris par le président Obama. Mais ce n’était pas assez : il fallait suivre les traces de Malcom X plutôt que la sagesse d’un Luther-King, il fallait que les WASP payent, et sur plusieurs générations. Seuls des « blancs » adeptes de l’autoflagellation pourraient désormais échapper à l’opprobre du racialement-correct. Ils furent légion, ils se comptèrent par millions, jusqu’au point où cette haine de soi apparut pour ce qu’elle était : une pathologie collective suicidaire.
Le concept « d’appropriation culturelle » étant une des gouttes qui a fait déborder le vase de la bêtise du « progressisme racialiste »
Le concept « d’appropriation culturelle » étant une des gouttes qui a fait déborder le vase de la bêtise du « progressisme racialiste ». Des Américains de toutes origines commencèrent alors à reprendre leurs esprits, à sortir la tête de l’eau croupie de l’autodénigrement. Ironie du sort, au même moment, en France, nous plongeons à notre tour dans ce marigot, l’adaptant à notre sauce, réécrivant notre histoire commune à partir de récits mêlant histoire, mémoire et mythologie sur des thèmes obsessionnels tels que l’esclavage, le colonialisme, le génocide, l’homophobie, la misogynie, l’immigration. Il en ressort que la société française – traduire par « blanche », « de souche », « gauloise » etc. – serait intrinsèquement raciste.
Depuis une dizaine d’années, dans les départements universitaires français de Sciences humaines, nombre de chercheurs – inconnus du public éclairé, voire de leurs collègues universitaires renommés – reprennent les grandes théories des « gender studies » ou des « racial studies » élaborées aux États-Unis reprenant le vocabulaire abscons cher aux héritiers de Deleuze, Lacan, Foucault et Derrida, cette « French theory » influente sur les campus des années 1970-80. Certains sont docteurs en sociologie ou en sciences politiques. Beaucoup plus rares, mais plus inquiétants, d’autres sont normaliens. La plupart des fers de lance de cette idéologie sont des étudiants-doctorants qui voient leurs thèses validées par une poignée de professeurs d’université grenouillant dans la mouvance indigéniste. Tout ce petit monde, très sensible au discours des Indigènes de la République et du CCIF, publie des articles dans des revues secondaires voire anonymes et des livres chez des éditeurs militants plutôt qu’universitaires. Mais ce sont les petites rivières qui forment les grands fleuves.
Ils nous expliquent que ce qui compte, ce n’est pas tant le réel que les représentations mentales et sociales, qui à les lire seraient gravées dans le marbre… Commence ainsi la police de la pensée dont toutes les idéologies totalitaires ont porté la marque : on vous assigne à une identité en vous prêtant une pensée (et donc des comportements) induite par votre groupe d’appartenance, supposé ou réel. Vous devenez raciste par vos ascendants, sexiste parce que vous êtes un homme blanc hétérosexuel. Parallèlement, si vos ascendants furent esclaves, colonisés, exterminés ou si vous êtes née femme, vous êtes à jamais victime. Et comme il s’agit de représentations sociales, il convient d’éclairer votre lanterne, car pauvre bougre que vous êtes, vous êtes parfois victime ou bourreau par héritage sans le savoir ! Une poignée de maîtres-penseurs, Docteur-es PHD à l’appui, viennent ainsi révéler au grand jour vos tares et vos traumas. Trop d’impensés tueraient-ils la pensée ? Par la magie d’un simple logiciel de statistiques, ces soi-disant penseurs « analysent » vos discours et vos textes et produisent un nuage de mots administrant la preuve sémantique de vos obsessions mentales, racistes, sexistes, homophobes, enfin dévoilées.
L’avantage du concept d’« inconscient collectif » ou celui de « construction sociale » est qu’il permet d’attribuer toute pensée déviante à un tiers voire à un groupe social dans son entier. Ainsi les indigénistes recourent-ils systématiquement à l’essentialisation pour stigmatiser les « bourreaux ». Essentialisation que, ne craignant pas la contradiction, ils dénoncent tout aussi systématiquement dès qu’il s’agit des « victimes ».
Ainsi donc, à l’université Paris 7 aura lieu du 27 au 29 septembre 2018 un colloque intitulé « Racisme et discrimination raciale, de l’école à l’université » et qui rassemblera la crème de ces chercheurs en indigénisme et quelques-uns de leurs serveurs de soupe habituels. L’articulation de la notion de « race », ici subtilement passée par le prisme « discriminatoire », au système scolaire et académique français, de ce fait implicitement défini comme raciste, porte la marque de l’indigénisme.