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Comment la CIA et ses alliés ont piégé Obama dans l’opération d’armement des "rebelles" syriens

Le 19 juillet dernier, un délégué de l’administration Trump a annoncé la fin officielle de l’opération visant à armer et à entraîner des troupes anti-Assad mise sur pied par la CIA.

Cette nouvelle est bien accueillie dans un contexte où l’appareil militaire américain semblait bien décidé à rester en Syrie pour les prochaines années. Tel que documenté dans mon récent article le résultat le plus évident de cette opération mise en œuvre vers la fin 2011 aura été de procurer de l’armement à Al-Qaïda ainsi qu’aux innombrables factions extrémistes de la région, celles-ci étant rapidement venues à dominer les forces militaires opposées au gouvernement syrien de Bachar el-Assad.

La décision de l’administration Trump d’annoncer explicitement la fin de cette opération d’armement invite à analyser comment et pourquoi un tel plan – qui contrevient fondamentalement aux intérêts de la sécurité du peuple américain – a pu débuter et être poursuivi pour une si longue période de temps. La version préliminaire de ce programme débutant en 2011 est plus facile à élucider que sous la forme définitive qui sera effective deux ans plus tard, en 2013, et qui s’est arrêté – du moins officiellement – la semaine dernière.

Un des facteurs clé pour comprendre l’origine de ce plan d’intervention, c’est que celui-ci a démarré non pas pour répondre à une menace, mais bien parce qu’il répondait à une opportunité intéressante. Cette façon de vouloir passer à l’action à l’étranger de façon préventive et contournée, en vue d’une « victoire » américaine, s’est toujours révélée néfaste ; pensons par-exemple au cas du Vietnam ou à celui de l’Irak.

Dans ce cas-ci, l’opportunité en question était l’apparition de manifestations populaires contre le gouvernement Assad au printemps 2011. Les hauts responsables de la Sécurité nationale américaine, persuadés que celui-ci ne pourrait pas garder son poste et survivre à la montée de l’opposition, ont tenté de couper-court.

Un ancien employé du président Obama, Derek Chollet, indique dans son livre The Long Game que les conseillers d’Obama tentaient alors de le persuader du bien-fondé d’une « transition contrôlée » et le poussaient à demander publiquement le départ de Bachar el-Assad. De leur point de vue, il fallait appliquer des pressions externes au régime, cela incluant la distribution d’armement à l’opposition, afin de déloger Assad et le parti Baas.

Seulement, aucun stratège n’avait une assez bonne connaissance des dynamiques régionales pour s’apercevoir que c’était une ambition irréaliste, puisque le gouvernement syrien, à majorité alaouite, était fermement décidé à garder le pouvoir hors des mains de ses concurrents sectaires. De plus, les stratèges américains ont présumé, à tort, que l’Iran ne s’opposerait pas résolument à un renversement de son allié syrien par des factions soutenues par les États-Unis et ses alliés sunnites.

Ainsi, le facteur décisif qui poussa l’administration Obama à s’impliquer en Syrie fut l’insistance de ses partenaires de la région, dont les demandes commencèrent en automne 2011. La Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar désiraient mettre sur pied et équiper une opposition armée en sol syrien. La Turquie fut la plus revendicatrice à ce niveau, demandant à Washington de fournir de l’armement lourd, incluant des missiles anti-aériens et antichars aux troupes rebelles (encore non-existantes). Le pays a aussi proposé d’envahir lui-même la Syrie de ses troupes, à condition que les États-Unis fournissent une couverture aérienne.

Il est dans l’idéologie de la Défense nationale américaine –et tout particulièrement de son aile démocrate- de chercher à établir de solides alliances régionales. En théorie, elles sont de première importance afin d’établir une coordination internationale cohérente, fonctionnelle, et subventionnée par les États-Unis. Toutefois, en pratique, ces alliances ont maintes fois servi à l’ascension professionnelle des bureaucrates de la Défense, leur procurant pouvoir et prestige personnel.

En pareilles circonstances, au Moyen-Orient, l’argent dépensé en faveur des alliés américains a majoritairement été dirigé et concentré vers d’importantes bases militaires en Turquie, au Qatar et en Arabie Saoudite, permettant d’y planifier et d’y exécuter des opérations militaires de grande envergure. Pour le Pentagone et les hauts fonctionnaires, cela garantissait du même coup de faramineuses demandes en dépenses militaires. Or, le financement de n’importe quelle opération secrète ou les énormes contrats d’armement signés avec le royaume saoudien bénéficient depuis un bon moment déjà aux puissantes organisations dirigeant les États-Unis, ainsi qu’à leurs représentants politiques.

Le directeur de la CIA alors en poste, David Petraeus, était particulièrement intéressé à élaborer une opération secrète visant à armer et à entraîner l’opposition syrienne. De pair avec les bureaucrates supportant les visées des alliés américains, Hillary Clinton – reconnue pour son penchant pour les stratégies guerrières – se proposa pour diriger l’administration du projet, tout en réclamant de nouveau la zone d’exclusion aérienne tant désiré par la Turquie.

Malgré ces facteurs poussant la Maison-Blanche à s’affirmer dans une politique de changement de régime, Obama refusa de fournir tant l’artillerie lourde que la zone d’exclusion aérienne, ainsi que la participation officielle des États-Unis à l’armement des rebelles. Toutefois, il accepta qu’une opération secrète de la CIA ébauchée par Petraeus ait lieu. Des armes provenant du dépôt gouvernemental libyen à Benghazi seraient embarquées par bateau et livrées en zone de guerre. De cette façon, Obama comptait modérer les acteurs demandant une solution offensive en Syrie, sans toutefois impliquer officiellement son propre gouvernement.

L’opération de la CIA commença en octobre 2011 et se termina abruptement après l’attaque contre l’annexe de l’ambassade américaine à Benghazi en septembre 2012. Tel que révélé par une fuite d’un des membres de l’équipe présidentielle au New York Times, l’administration Obama savait alors que les armes livrées se retrouvaient finalement entre les mains de l’embranchement syrien d’Al-Qaïda, le front Al-Nosra. Pendant ce temps, les Turques, les Qataris et les Saoudiens armaient des groupes directement reliés à Al-Nosra à un rythme constant, tandis que la famille Saoud achetait de l’artillerie lourde en Europe de l’Est, avec l’intention claire d’en équiper une véritable armée.

Les signaux d’alarme auraient difficilement pu être plus éloquents. Incontestablement, la tentative de « transition modérée » dérapait. Pourtant, à cette même période, entre l’été et l’automne 2012, Clinton et Petraeus proposèrent une nouvelle phase à l’opération d’armement, celle-ci consistant à fournir des armes à certains groupes de factions rebelles « modérés » préalablement sélectionnés. Clinton réclama lors d’une réunion à la Maison-Blanche que l’administration s’investisse personnellement sur le terrain afin de convaincre les alliés sunnites de détourner l’armement des factions terroristes.

Obama refusa cette initiative, en rappelant le désastre ayant suivi l’aventure américaine en Afghanistan. Alors que le débat se poursuivait fin 2012 et début 2013, la CIA émit une série d’études – évidemment commandées par la Maison-Blanche – concernant les précédentes tentatives de former une armée d’insurgés en terrain étranger. Les conclusions de ce rapport étaient peu encourageantes, selon la confidence d’un sympathisant d’Obama au Times.

Au début du mois de Décembre 2010, Obama fit une erreur politique fatale. Il introduisit une « ligne rouge » à ne pas dépasser ; soit l’usage d’armement chimique létal en Syrie. Inévitablement, et en l’espace de quelques semaines, les rebelles prétendirent avoir été victimes d’une attaque au gaz sarin lancée par les forces gouvernementales à Homs. Bien que l’administration Obama enquêta rapidement pour découvrir que seuls des gaz lacrymogènes avaient été utilisés, cette première allégation rebelle fut bientôt suivie d’une série d’autres accusations d’utilisation de gaz chimiques entre mars et avril 2013, où les preuves fournies étaient tout aussi nébuleuses.

Sans surprise, les membres de la Défense, de concert avec leurs alliés sunnites, se précipitèrent sur l’occasion pour demander une nouvelle opération d’armement des factions « modérées ». Obama ne voulait toujours pas être entraîné plus loin dans le conflit syrien ; son administration émit même un communiqué à travers la Communauté du Renseignement américain, où était démontré que les preuves quant aux allégations d’usage d’armes chimiques par le gouvernement de Bachar el-Assad étaient insuffisantes pour conclure quoi que ce soit.

Puis, pour une seconde fois, Obama accepta un stratagème de la CIA destiné à armer les forces opposées à Assad, afin de satisfaire les besoins de ses alliés et conseillers, tout en évitant de s’impliquer directement dans cette guerre. Toutefois, alors que ce stratagème était resté au point mort pendant les semaines suivantes, les responsables de la Sécurité nationale évoquèrent une prétendue crise dans l’évolution du conflit pour resserrer l’étau et le pousser à agir. Le secrétaire d’État John Kerry et les officiers mécontents de la CIA s’arrangèrent pour qu’un commandant rebelle appelle en pleine réunion de la Maison-Blanche, pour annoncer que les forces du régime syrien, combinées à celle du Hezbollah, étaient sur le point de repousser les factions anti-Assad, et ce, de façon décisive.

Kerry avertit alors Obama qu’il serait tenu responsable par ses alliés du Golfe lors de la prochaine frappe de missiles par les forces d’Assad. Incidemment, quelque jours plus tard, la Maison-Blanche publia un rapport du Renseignement confirmant avec « grande assurance » que le « régime » syrien avait utilisé du gaz sarin de manière répétée. Simultanément, la Maison-Blanche annonça qu’elle fournirait une assistance directe à l’opposition modérée en Syrie, et confia au Times que cela inclurait la distribution de matériel militaire.

Ainsi, au moment où Washington aurait dû exercer des pressions sur ses alliées pour qu’ils cessent de déverser des armes dans un conflit renforçant systématiquement le pouvoir et l’influence d’Al-Qaida, l’administration Obama en décida autrement et se résigna officiellement à les appuyer dans leurs efforts. La raison de ce revirement était intelligible ; la toute-puissante Défense nationale et ses représentants politiques ont menacé Obama qu’il serait personnellement tenu responsable si jamais cet acharnement à assurer la lucrative guerre contre Bachar el-Assad venait à faillir.

La leçon à tirer de cette affaire est manifeste. Les hauts bureaucrates de la Défense nationale et leurs alliés du Moyen-Orient profitent mutuellement d’une alliance malsaine, et utilisent leur influence afin de pousser la Maison-Blanche à approuver des opérations qui menacent les réels intérêts du peuple américain – incluant le renforcement du terrorisme. La seule façon de désamorcer cette situation est d’y attirer l’attention du public, car cette regrettable collaboration a eu jusqu’ici du vent dans les voiles.

Gareth Porter

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