Les sanctions américaines qui touchent le secteur énergétique européen sont un véritable enjeu pour les Européens. Il s’agit pour ces derniers de s’unir et de parler d’une seule voix, estime Jean-Éric Branaa, spécialiste des États-Unis.
RT France : Rex Tillerson a déclaré que Donald Trump avait signé les sanctions « à contrecœur ». Pourquoi signer des sanctions dont il ne veut pas ?
Jean-Eric Branaa (J.-E. B.) : Parce qu’il y était obligé. Ces sanctions ont été votées par l’ensemble du Congrès, avec une majorité écrasante à la Chambre (où il ne manquait que cinq voix) et au Sénat (où il n’en manquait que deux). Le président des États-Unis n’avait donc que deux solutions pour refuser : soit mettre son veto, soit, si le Congrès était parti en vacances, faire ce qu’on appelle un pocket veto, et la loi serait tombée d’elle-même. Mais le Sénat reste en session quinze jours de plus : les dix jours données au président pour signer ne suffisent donc pas pour user du pocket veto. La majorité à avoir voté cette loi est énorme. S’il avait mis son veto, le texte serait revenu au Congrès et les Républicains avaient promis qu’ils passeraient outre. Il suffit en effet de 60% des sénateurs pour s’opposer au veto présidentiel. Comme ils ont été près de 95% en faveur de cette loi, cela aurait été une défaite cinglante pour Donald Trump. Il savait être pris au piège et incapable de faire autre chose que de signer la loi.
Trump a donc signé à contrecœur. Il voulait réchauffer les relations entre les États-Unis et la Russie, il l’a suffisamment dit durant sa campagne. Cela va être plus compliqué désormais : cette loi instaure de nouvelles sanctions, mais elle prévoit aussi un autre dispositif empêchant le président de revenir sur ces sanctions. Il sera obligé de demander au Congrès son autorisation s’il souhaite y mettre fin. Trump n’a donc plus la marge de manœuvre dont il disposait dans sa politique étrangère vis-à-vis de Vladimir Poutine. Et c’est bien ce qui a marqué ce dernier, qui a réagi en introduisant des sanctions contre les Etats-Unis.
Selon vous, la porte de la coopération avec la Russie s’est-elle totalement refermée ?
Non, elle n’est pas vraiment fermée. Donald Trump suit sa propre logique, qui est de tendre la main à la Russie. Il considère qu’elle est une des clés pour résoudre certains conflits, comme celui en Syrie, où une coopération est nécessaire. Cela va néanmoins être très difficile car le Congrès n’est pas du tout dans le même état d’esprit. Trump n’est plus le seul maître à bord. S’il devait y avoir un deuxième mandat Trump, il y aurait sans doute une embellie. Mais pour les trois ans à venir, tout cela va être très compliqué parce que le Congrès, lui, entend bien fermer les portes.
En revanche, je pense qu’une relation plus personnelle avec Vladimir Poutine va se développer. Le président russe a bien compris dans quelle situation se trouvait Donald Trump et l’état d’esprit de ce dernier à son égard. En conséquence, il y aurait une carte à jouer pour Poutine, sans toutefois donner trop de signes de son côté. En effet, il ne peut faire d’ouvertures s’il n’y en a pas du côté américain. C’est évident.
Les sanctions américaines, touchant le secteur énergétique européen, risquent de compliquer les relations des États-Unis avec l’Union européenne. Pensez-vous que cette dernière puisse adopter des contre-sanctions ?
C’est une vraie question. Les Européens ont du mal à parler d’une seule voix. La volonté de pays comme la France ou l’Allemagne prédomine mais, si l’on prend des pays comme la Pologne ou la Hongrie, on voit qu’il y a actuellement de vraies divisions en Europe. Donald Trump n’y est pas pour rien : il a essayé d’accentuer ces divisions entre Européens, étant conscient que des Européens unis pourraient décider de mesures de rétorsions face à la politique américaine. Une telle réponse semble, dans un premier temps, compliquée, mais je ne pense pas qu’elle soit impossible. C’est un véritable enjeu pour les Européens que d’arriver à être unis, à parler d’une seule voix.