C’est un thread qui nous explique de l’intérieur comment fonctionne la formation très accélérée des nouveaux profs dans la France en voie de néolibéralisation. On les appelle les contractuels. Même scénario à La Poste où les fonctionnaires sont peu à peu remplacés par des contractuels. Nous avons passé en gras les points qui nous semblaient informatifs, ou importants.
Grosse envie de raconter ici mon expérience de prof contractuelle de cette année.
Mercenaire de l'éduc nat : A THREAD (1/ ?) https://t.co/5XgfQy3yS1— Ellie Mac Peter (@Ellie_Mac_Peter) July 6, 2023
Tout commence avec une schtroumfette qui voulait devenir prof (moi, donc). D’histoire ou de lettres classiques et modernes, je savais pas trop. Au lycée je suis frénétiquement des tas de profs sur Twitter.
Ils n’arrêtent pas de râler m’enfin j’ai tout de même envie de faire le même boulot qu’eux. J’ai 15 ans et je Tweet sur les « pedagogos ». Régulièrement, @lombregrise vient me ramasser en mp pour me dire de faire ça sous pseudo et pas mon vrai nom (ancien compte).
Bref, je grandis, je pars en prepa, je tape 3 ans, et je gratte HEC sur concours et l’ens sur dossier. Mes parents me tannent pour que je parte chez les commerciaux. Mais je veux toujours devenir prof (rho la débile).
M1 d’histoire : tb, j’arrive en m2. Là oh surprise : j’ai plus cours à partir de janvier. Je dois avancer mon mémoire. Mais il est bien avancé et aussi j’ai besoin d’argent. Et là je découvre les contractuels.
Rappel : pour être prof, il faut un concours qui s’obtient à bac +5. Mais pour être contractuel 3 ça suffit. Moi bêtement je pensais que ça devait être dans la bonne matière. Je fais donc une demande pour être prof d’histoire. On est en janvier.
En moins de 24h on m’appelle. Remplacement long. Congé mat. 16h / sem + des perms. Cool. Problème : c’est en français et latin. Ah. Mais c’est pas mes matières à moi ça. Zuteuh. J’explique. Je ne me sens pas légitime.
Je décline. Je ne suis pas à l’aise. On me remotive au téléphone. Personne d’autre ! Et puis j’ai une licence de lettres modernes (grattée en equivalence en sortant de AL). Le latin ? J’en ai fait de la 5e à la khâgne et je l’ai passé aux oraux.
Je finis donc par accepter. Je rencontre la prof qui s’en va. Je dois récupérer ses ouailles jusqu’à la fin de l’année. Elle est adorable, elle m’explique bien où elle en est. Moi, je compulse frénétiquement toutes mes anciennes grammaires latines.
3 semaines plus tard, je rentre en poste. J’ai des cours tout prêts. Petite boule au ventre : c’est ma première vraie expérience. J’ai 2 classes de 3e qui passent le dnb. Je flippe.
Coup de pot, ce n’est pas ma première exp. En dehors des heures de cours particuliers, j’ai fait un stage d’observation en lycée l’année d’avant. J’avais des term (à 20 ans c’est périlleux). Mais leur vrai prof était la pour surveiller. Là je suis solo.
Énorme coup de chance : mes élèves sont adorables. On bosse bien. J’arrive à les intéresser (ou presque) à la grammaire latine en leur expliquant que moi aussi j’ai ramé et ça les fait rire.
Autre coup de pot : mes collègues sont des amours. J’ai 22 ans, je suis la plus jeune de ma super salle des profs et ils me donnent plein de conseils. Je suis super bien tombée.
Les grands absents de cette histoire : le rectorat. Non parce que j’ai été recrutée de façon on ne peut plus expeditive. On m’a à peine demandé une pièce d’identité. Ça fait un mois que je suis devant les gamins.
Au bout d’un mois donc je suis (enfin) convoquée à une réunion d’information pour devenir prof. Ah. Mais je suis déjà en poste moi ! On me demande d’apporter des bricoles : mes diplômes, une pièce d’identité, un extrait de casier.
AH BAH IL EST PLUTOT TEMPS D’Y PENSER ! Je suis devant les mômes depuis 1 mois et personne sait qui je suis. Flippant. Bon. J’y vais. Ça dure 3 heures.
C’est lunaire. Il y a de tout. Des reconversions pros un peu improbables. Des drh qui partent enseigner la physique chimie en lycée. Pôle emploi envoie des gens et propose des formations pour devenir prof... En 3 mois !
Moi je pense fort à mes collègues qui ont passé le capes et qui se mangent inspection sur inspection gratuitement. On leur prend la tête pour des broutilles. Pendant ce temps je suis prof sans que personne ne me demande rien.
La réunion dure des plombes. En plus je ne suis pas concernée : je suis DEJA en poste. On m’explique que j’ai été recrutée via une procédure d’urgence. Ah. Ils veulent bien quand même deux trois papiers à moi.
Un mois plus tard, je suis reconvoquée. Un entretien individuel au rectorat. Je demande à mes collègues : cékoi ? « Tu vas voir, c’est chiant ». Je me pointe la peur au ventre. Y vont peut être me poser des questions giga compliquées de grammaire ? Je révise dans le couloir.
Je me retrouve devant un jury de 3 personnes. Et là : pas de questions sur mon parcours ou ma matière. En fait ils veulent juste vérifier que je ne suis pas débile. Ou totalement dangereuse. C’est des mises en situation et des questions de gestion de classe.
En gros on me demande : « si un élève met le bazar vous faites quoi » et il faut éviter de répondre « je lui éclate sa tête dans la porte ».
L’ensemble duré 15 minutes. Au revoir m’sieurs dames.
Je gagne un beau papier qui me donne le droit d’être prof.
Je retourne bosser. 1 semaine. On me rappelle. BWAAAAA, VOUS AVEZ PAS PASSÉ LA VISITE MEDICALE. Gné ? Il faut aller voir un médecin agréé pour obtenir une autorisation d’exercer. Ah bon. Faisons ça alors. On me donne une liste de médecins agréés.
Ils sont tous bookés jusqu’en 2027. Je rame. Au moment où je commençais à envisager d’aller en Moselle pour une consultation de médecine générale, on m’en propose un supplémentaire dans Paris. Il est disponible en une semaine : victoire.
Je me pointe. Je rentre dans la pièce. Échange réel.
bonjour vous êtes malade ?
non.
d’accord.
50 balles plus tard, j’obtiens un certificat médical de bonne santé physique et mentale VALABLE À VIE.
Je suis donc en bonne santé jusqu’à ce que mort s’ensuive. Parfait. Avec l’impression d’avoir payé une taxe médiévale, je donne le machin à mon chef d’établissement.
Je vais enfin pouvoir bosser tranquillement.
Les cours, ça se passe. Les élèves sont des amours, je bosse beaucoup en amont, mes collègues sont aidants.
Non, le vrai truc chiant, c’est les études dirigées.
Le concept c’est de mettre les mômes dans une salle pour leur faire faire leurs devoirs. Ils ont pas envie, ils font du bruit, faut leur dire d’arrêter tout en ayant rien à leur raconter. Seuls moments où je rame salement au niveau de la discipline.
Maintenant comme c’est un sujet tendu : combien suis-je payée ?
Réponse : pas lourd. Et puis déjà, en retard. J’ai mis plus de 2 mois à me faire payer mon premier mois de salaire. Ils en ont rien à foutre à l’en c’est impressionnant.
La réponse est : 1300 net pour 14h de cours plus 4 études par semaine. En un mot : des clopinettes. On comprend pourquoi l’en adore recruter des contractuels. J’aurais du partir chez les commerciaux et bosser pour McKingsey.
Mon bilan de tout ça : j’ai malgré tout adoré mon expérience, mes élèves, et je compte passer les concours bientôt. Mais ces recrutements improbables, je vous le dis, ça va mal finir.
Comment devenir contractuel