Pour Nicolas Ungemuth, la bulle médiatique créée par la sortie du dernier livre de Christine Angot, est incompréhensible au vu de la nullité criante de cette « oeuvre ».
Nicolas Ungemuth est rédacteur en chef adjoint culture au Figaro Magazine. Il est notamment l’auteur de Garageland (Hoëbeke), d’une biographie de David Bowie (Librio Musique) et du Roman du rock (Le Rocher).
C’est le genre d’intitulé de rubrique qu’on peut trouver dans la presse féminine : « Il vaut quoi le dernier Angot ? ». Une interrogation à laquelle n’importe quel individu sensé répondrait : « Ben il est nul comme les autres, pourquoi cette question ? » Cette évidence n’est pourtant pas du goût de tout le monde : le dernier ouvrage de « l’écrivaine » est traité comme un chef-d’œuvre par une grande partie de la presse, on en parle pour le Goncourt, et d’ailleurs, il est entré sur la première liste de ce prix décati (exercice : citez de mémoire les dix derniers prix Goncourt et détaillez leurs qualités. Vous avez quatre heures).
Avant de tâcher de trouver une explication à cet engouement délirant, il faut évoquer le livre. Christine Angot y parle de sa mère, comment elle a rencontré son père, comment elle a eu sa fille -elle, Christine Angot, à propos de qui d’autre pourrait-elle bien écrire ?! -, alors que ce père vivait avec une autre femme avec laquelle il a eu des enfants. Et puis, page 156, au cas où ses lecteurs ne seraient toujours pas au courant, elle explique que le géniteur la « sodomisait » régulièrement (c’est le quatrième roman évoquant l’inceste, d’autres parlaient de son expérience homosexuelle ou de ses aventures torrides avec des rappeurs oubliés du XXe siècle). Elle en a voulu à sa mère de ne pas avoir réagi, sa mère a culpabilisé. Puis Christine Angot (puisque dans le livre, l’héroïne s’appelle Christine Schwartz puis Angot) a culpabilisé de l’avoir fait culpabiliser. Voilà, c’est fini, comme dirait Jean-Louis Aubert. Alors ?
Alors, il faut évoquer la difficulté terrible à entamer, puis à finir ce livre : aucun être humain -lecteur occasionnel ou régulier- n’est préparé à une écriture aussi spectaculairement catastrophique, à un vocabulaire aussi pauvre, à une ponctuation aussi mal employée. Ce n’est pas un livre dur à lire comme peuvent l’être, au hasard, Normance de Louis-Ferdinand Céline, Finnegan’s Wake de James Joyce ou Exterminateur de William Burroughs : c’est un livre dur à lire tant il est mauvais. Certaines phrases, d’ailleurs, sont incompréhensibles : « Leur famille habitait Paris depuis des générations, dans le dix-septième arrondissement, près du parc Monceau, était issue de Normandie. » (repérée par Frédéric Beigbeder pour le Figaro Magazine)… Ou cet échange insane « Lui : J’aimerais beaucoup que tu viennes t’installer à Paris, et qu’on continue à se voir. Tu réfléchiras, Rachel ? - Elle : Moi aussi j’aimerais Pierre. » Aimerait-elle Pierre, ou aimerait-elle s’installer à Paris si une virgule l’y autorisait ? Mystère. Un peu plus loin, il y a aussi cette phrase exceptionnelle : « Il venait de perdre sa mère. Elle lui a écrit une gentille lettre. » Pour continuer d’achever le lecteur déjà sévèrement torturé, le livre de Christine Angot est constitué pour deux tiers de dialogues tellement affligeants que l’ouvrage prend des airs de pièce de théâtre logorrhéique écrite par un enfant vaguement demeuré :
« –Pierre !
– Oui.
– … Tu m’aimes ?
– Regarde-moi.
– Je te regarde.
– Je t’aime Rachel.
– Moi aussi, tu sais. »
Ou, page 21 :
« – Eh bien cette chanson.
– Oui.
– Cigarettes, whisky et p’tites pépées…
– … Oui…
– Eh bien…
– Pierre… Je ne dirai rien. »