Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

Bullshit jobs, les boulots à la con

« Une forme d’emploi rémunéré qui est si totalement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié n’arrive pas à justifier son existence » : c’est ainsi que l’anthropologue David Graeber définit les bullshit jobs. Ces « jobs à la con » représenteraient d’après lui près de 40 % des emplois exercés dans nos sociétés. Comment peut-on expliquer cette absurdité économique et sociale ?

 

En 2013, David Graeber, professeur d’anthropologie à la London School of Economics, militant anarchiste et figure de proue d’Occupy Wall Street, publie un court article intitulé « On the phenomenon of bullshit jobs » dans Strike ! Magazine. Il y affirme que dans nos sociétés occidentales contemporaines, de nombreux emplois sont dénués de sens et d’utilité : ce sont les bullshit jobs.

 

[...]

JPEG - 116.6 ko
David Graeber (à gauche) lors d’Occupy Wall Street

 

Dans cet essai, Graeber affirme – enquêtes statistiques à l’appui – que 40 % de la population active, dans nos sociétés, penseraient avoir un « job à la con ». 40 % des personnes interrogées pensent donc que leur métier ne sert à rien, voire parfois qu’il est franchement nuisible. Ce chiffre impressionnant suscite de nombreuses interrogations : dans une société dont les principaux objectifs sont le profit et la croissance économique, comment peut-on seulement imaginer que des gens puissent être payés à ne rien faire d’utile ? C’est impossible, se dit-on d’abord. Les sondés se sont forcément trompés, peut-être ne connaissent-ils tout simplement pas la finalité de leur travail ; ils ne sont qu’un maillon dans la chaîne de production, pourrait-on objecter.

Passons sur le caractère aliénant, déjà pointé par Adam Smith et Karl Marx, d’une spécialisation trop extrême des tâches. Mais si l’on prend l’exemple convoqué par Graeber, d’une employée forcée de trier des trombones par couleur, et s’apercevant plus tard que sa supérieure les utilise sans prêter attention à leur couleur, l’on est forcé de se rendre compte qu’en plus d’être répétitive, ennuyeuse et dénuée d’un quelconque intérêt, la besogne qu’on lui avait imposée se révèle complètement inutile.

[...]

Mais il existe cependant bien des exemples moins frappants, mais plus répandus, de « jobs à la con » : « consultants en ressources humaines, coordinateurs en communication, chercheurs en relations publiques, stratégistes financiers, avocats d’affaires » par exemple, pour reprendre la liste des plus suggestifs d’entre eux qu’énumère David Graeber dans la préface de son ouvrage.

Il existe aussi des emplois qui ne sont qu’à moitié des bullshit jobs, remarque l’anthropologue américain. De plus en plus d’employés, en effet, sont censés travailler parfois quarante heures par semaine, alors qu’ils n’en ont besoin que de la moitié pour remplir correctement leur tâche – ce qui les oblige à trouver de quoi s’occuper durant le reste du temps, pour donner l’impression qu’ils servent à quelque chose, et ainsi justifier leur emploi auprès de leur supérieur hiérarchique.

 

[...]

L’anthropologue Marshall Sahlins montrait en 1972 dans son ouvrage Âge de pierre, âge d’abondance que les peuples primitifs consacraient en fait peu de temps, seulement quelques heures par jour, à subvenir à leurs besoins. Aujourd’hui, alors que le progrès technique nous permettrait de produire largement de quoi vivre confortablement en travaillant peu, nous continuons pourtant à passer la majeure partie de notre vie à exercer des métiers parfois pénibles et inintéressants. Pourquoi ne nous consacrerions-nous pas à des loisirs plus agréables et plus épanouissants ? Quel mystère se cache derrière ce paradoxe apparent ?

La théorie économique mainstream propose une réponse simple : nous préférerions travailler plus, afin de produire et consommer davantage de biens, plutôt que de travailler moins en disposant de moins de richesses. L’accroissement de la productivité se traduirait donc, non pas par une diminution du temps de travail, mais au contraire par son augmentation, ou au moins par sa constance ou sa faible diminution (en termes techniques, on dit que l’effet de substitution l’emporte sur l’effet de revenu, ou au moins qu’il le compense quasiment). Mais cette hypothèse est incompatible avec l’existence des bullshit jobs…

Pour David Graeber, la réponse est en effet tout autre : « la classe dirigeante s’est rendue compte qu’une population heureuse et productive avec du temps libre était un danger mortel », écrit-il dans son article originel. La remise en question du système capitaliste ne tarderait pas à germer dans l’esprit des travailleurs, si ceux-ci n’étaient pas trop accaparés par leur métier, auquel ils consacrent la plus grande partie de leur temps.

Lire l’article entier sur lvsl.fr

 

À revoir, la note de lecture de Michel Drac à propos de l’ouvrage de David Graeber :

 

Vers un retour du sens, sur E&R :

 






Alerter

87 Commentaires

AVERTISSEMENT !

Eu égard au climat délétère actuel, nous ne validerons plus aucun commentaire ne respectant pas de manière stricte la charte E&R :

- Aucun message à caractère raciste ou contrevenant à la loi
- Aucun appel à la violence ou à la haine, ni d'insultes
- Commentaire rédigé en bon français et sans fautes d'orthographe

Quoi qu'il advienne, les modérateurs n'auront en aucune manière à justifier leurs décisions.

Tous les commentaires appartiennent à leurs auteurs respectifs et ne sauraient engager la responsabilité de l'association Egalité & Réconciliation ou ses représentants.

Suivre les commentaires sur cet article

Afficher les commentaires précédents
  • #2340220
    Le 10 décembre 2019 à 21:58 par oklez
    Bullshit jobs, les boulots à la con

    Ce "Graeber" m’a l’air de maitriser également le sculptage de fumée.

     

    Répondre à ce message

  • #2340310
    Le 11 décembre 2019 à 01:13 par Atao
    Bullshit jobs, les boulots à la con

    J’ai lu ce livre. Il est excellent. Il pose une question rarement posée de nos jours : quelle vie (quel travail, quelle vie privé, quelle vie publique ou collective) a le plus de sens ? Et il démontre à mon avis que la quête suprème dans la vie ce n’est pas la survie (qui n’est qu’un moyen) mais le sens. Guy Débord a donné un triste mais authentique exemple que c’est le sens qui l’emporte sur la survie. La vie de Jesus n’est elle pas aussi une parfaite illustration d’une vie axée sur le sens ?

     

    Répondre à ce message

    • #2340886
      Le Décembre 2019 à 22:06 par Un français pragmatique
      Bullshit jobs, les boulots à la con

      Le parallèle avec le christianisme est parlant car l’idéal du célibat (prêtres, moines mais même pour les laïcs) est par essence une insulte faite à l’idée d’une humanité tournée vers la survie, elle montre aux hommes que c’est le sens qui prime sur la préservation de l’espèce

       
  • #2340361
    Le 11 décembre 2019 à 06:42 par Office space
    Bullshit jobs, les boulots à la con

    La réponse n’est pas aussi compliquée qu’on pourrait le croire : de tout temps, il y a toujours eu des dominants et des dominés. Les dominés font marcher le monde tout comme les français moyens font fonctionner la France, car il ne s’agit ni des grandes fortunes qui ne paient pas d’impôt, ni ceux qui nont rien et à qui l’on ne peut rien prendre qui apportent quelque chose.

    Une fois compris cela, c’est déjà difficile de s’imaginer travailler, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un "bullshit job" soit un travail de merde, pour la faire courte. C’est à se demander si le contrat social est toujours valable : consacrer sa vie à rester un moyen et faire marcher le pays et enrichir les plus riches avec du temps de travail en surplus ou du remplissage. Ça fait déjà longtemps que je l’ai compris en prenant la diagonale.

    Le film "24 heures, c’est déjà trop" ou "office space" traite très bien du sujet, un boulot de merde qui ne sert à rien et auquel il faut se prostituer pour garder sa place, aussi idiot et dégradant soit-il

     

    Répondre à ce message

  • #2340394
    Le 11 décembre 2019 à 09:00 par toto
    Bullshit jobs, les boulots à la con

    Le fait même que France Culture assure la promotion des idées de Graeber prouve que ce type sert l’agenda du Système. D’ailleurs c’est simple à comprendre, on accepte de dévoiler une partie de la réalité d’un Système failli (les bullshit jobs) en guise de teasing pour mieux accréditer in fine l’idée du revenu universel garanti.

    A voir sur ce sujet la lumineuse critique de Vincent Cheynet :
    https://www.youtube.com/watch?v=qQG...

     

    Répondre à ce message

    • #2340910
      Le Décembre 2019 à 22:33 par rie
      Bullshit jobs, les boulots à la con

      Merci pour le rappel ! Vigilance oblige. Si c’est promu par le systeme ou media mainstream, alors ca sert le systeme.
      Une petite part de verite pour creer une ouverture chez les naifs puis encul...ge profond. Desole pour la vulgarite.

       
  • #2340416
    Le 11 décembre 2019 à 09:40 par Nyothan
    Bullshit jobs, les boulots à la con

    Je conseille à tous de lire Bureaucratie de David Graeber, une magnifique critique de nos sociétés neo-libérales, qui combinent le pire du libéralisme économique et le pire de l’étatisme soviétique.

    Surement l’homme d’extrême gauche le plus intelligent et honnête qui soit cela dit en passant.

     

    Répondre à ce message

    • #2340579
      Le Décembre 2019 à 14:04 par TeddyTed
      Bullshit jobs, les boulots à la con

      Justement, nous ne vivons pas dans une société purement libérale ou même "néo-libérale".
      Si nous vivions dans une vraie société libérale ou néo-libérale il n’y aurait pas de bullshits jobs (d’emplois inutiles). D’où la notion intéressante de "néo-féodalisme" expliquée par Michel drac à propos de ce dernier livre de Graber.

       
    • #2340683
      Le Décembre 2019 à 17:34 par Nyothan
      Bullshit jobs, les boulots à la con

      C’est ce que j’entends par neo-libéralisme personellement, mais je suis d’accord avec vous.

       
  • #2340423
    Le 11 décembre 2019 à 09:48 par Aveyes
    Bullshit jobs, les boulots à la con

    J’ ai un ami qui est un redoutable avocat d’affaires, ce sont des années d’étude et il n’a pas une minute à lui. C’est jongler avec les lois, conseiller, et gagner un paquet de fric.
    Je ne vois vraiment pas en quoi ce métier a été cité dans les exemples de bullshit jobs !
    Certes, on peut débattre de l’aspect éthique ou du caractère abscons de ces lois au final parfois relatives, mais de là à mettre ce métier aux cotés de "classeur de trombones" ou "vigile dans un musée vide"...

     

    Répondre à ce message

    • #2340588
      Le Décembre 2019 à 14:24 par TeddyTed
      Bullshit jobs, les boulots à la con

      Bah déjà s’il n’a pas une minute à lui, il faut qu’il se pose des questions (lol). D’autre part c’est un métier artificiel créé par un inutile et même néfaste empilement de codes (signe d’une société décadente). Le fait qu’il soit bien payé ne change rien à l’histoire.
      Pour schématiser et reconnaître les métiers vraiment utiles à la société, il y a un truc simple : imaginer une situation de chaos où les compteurs sont remis à zéro (ce qui peut arriver demain). Si tu es médecin, infirmier, soldat, agriculteur ou mécanicien tu resteras quelqu’un d’utile et tu pourras sauver ta peau et peut-être celle de ta famille. Si tu es avocat, VRP, ou employé de banque... t’es un inutile TOTAL, tu vas te retrouver tout en bas de la chaine alimentaire :)

       
    • #2340594
      Le Décembre 2019 à 14:38 par Droit ou Tordu
      Bullshit jobs, les boulots à la con

      et gagner un paquet de fric



      Tu as dit l’essentiel du métier et qu’est-ce que le droit face à l’argent ?
      Parles-en à Alain Soral. A part Damien Viguier et quelques rares
      autres face au Syndicat de la magistrature, la franc-maçonnerie qui tient le bouzin... Plus haut il y a les résolutions de l’ONU, etc.
      Quels sont ceux qui s’assoient sur le droit toujours à sens unique (sens pas vraiment horizontal) et ceux qui sont contraints de le respecter ?

       
  • #2340469
    Le 11 décembre 2019 à 11:14 par TeddyTed
    Bullshit jobs, les boulots à la con

    A lire aussi le livre "Absolument dé-bor-dée" de Zoé Shepard (pseudo). L’histoire vraie d’une jeune fonctionnaire embauchée après 8 ans d’études supérieures dans une administration de province.
    Plongée dans un univers où incompétence rime avec flagornerie, ses journées sont rythmées par des réunions où aucune décision n’est jamais prise, des rapports qu’elle doit rédiger en dix jours (quand deux heures suffisent), des pots de bienvenue, de départ, d’anniversaire.
    Sans oublier les séminaires « de formation », les heures à potiner à la cantine et à la machine à café ; les chefs « débordés » par les jeux en ligne et les préoccupantes interrogations de tous sur les destinations de vacances et autres RTT...
    Chargée de mission dans un service fourre-tout, truqueuse patentée de notes administratives, G.O. pour délégations étrangères et hocheuse de tête en réunion, Zoé Shepard raconte avec un humour mordant ses tribulations de fonctionnaire désespérée dans un univers bien pire que tout ce que vous pouviez imaginer.

     

    Répondre à ce message

  • #2340615
    Le 11 décembre 2019 à 15:05 par le censuré
    Bullshit jobs, les boulots à la con

    Objectif :
    Chômage + "bullshit job" + boulots remplaçable par informatique et/ou robotique doit etre égale à environ 80%
    ensuite vous aurrez ce qu’ils vous ont préparé :
    crise final, guerre total,
    pour le lancement officiel du N.W.O (ab chaos) :
    ≃ 80 % de l’humanité occupé et satisfait dans du virtuel
    ≃ 20 % formant la caste des travailleurs
    ≃ 1% d’élite

     

    Répondre à ce message

  • #2341136
    Le 12 décembre 2019 à 11:08 par sev
    Bullshit jobs, les boulots à la con

    Les ouvrages de David Graeber sont souvent très en pointe sur le constat effarant des conséquences pathologiques de notre civilisation qui n’en finit pas de s’auto congratuler pour ses "progrès".

    Graeber à, entre autres, écrit "Bureaucratie" (Ed. Babel) qui analyse et décrit le délire bureaucratique à la fois concret (avec toujours la paperasserie) et à présent virtuel (avec la numérisation systématique) de n’importe quelle démarche administrative qu’un citoyen américain doit faire pour être dans les normes.

    Cela à accouché d’une maladie collective qu’on peut nommer "normose" et dont les symptômes sont les mêmes que ceux décrits dans la vidéo incluse dans le présent article sur les boulots à la con.

    La fascination tout aussi pathologique pour la technologie envahissante, l’obsession des idéologues du progressisme (Babet, Alexandre...) qui continuent à nous expliquer que la technologie va forcément sauver le monde et corriger les effets néfastes de la modernité fait partie du programme médiatique organisé pour convertir les masses à ces croyances.

    Car la technologie a engendré la raréfaction du travail, inventé les "jobs à la con" et formaté les cerveaux à un unilatéralisme inquiétant (structure de pensée majoritairement gauche, c.à.d. fonction "hémisphère droit"). La raison, une notion nécessaire pour pondérer l’emballement des émotions, est devenu la valeur indépassable des scientistes et intellos médiatiques de tout bord dont les rémunérations ne dépendent plus que de cet évangile.

    Toute pensée combinant la raison et l’intuition, la théorie et l’empirisme ouvre des champs de compréhension bien plus vastes que n’importe quel expert ou théoricien pur et dur.

    Quant aux boulot à la con, ils sont forcément devenu pléthoriques et incontournables puisque notre société bute sur LE problème de notre époque : la démographie galopante mondiale. Les humains sont les seuls animaux qui ne respectent plus aucune lois naturelle. Transgresseurs en tout, obnubilés par le "sans limite", fascinés par la toute puissance et l’auto déterminisme (homo deus), l’ère des modernes fonce vers son propre anéantissement en refusant de revisiter sérieusement les Lois Naturelles du Vivant que toutes les civilisations antérieures observaient encore.

     

    Répondre à ce message

  • #2341366
    Le 12 décembre 2019 à 17:06 par Antoine lib
    Bullshit jobs, les boulots à la con

    La PUB étant LE royaume du bullshit job’s, de la branlette et de l’enculage de mouches pour tout et n’importe quoi, comme dans 99 francs, l’adjoint contrôleur aux petites cuillères du directeur de la création département influenceur secteur instagram à injection GTX.. Et confirmation de l’intérieur que plus tu montes dans la hierarchie, plus tu touches, et moins tu en branles une !

     

    Répondre à ce message

Afficher les commentaires précédents