"Inutile", "contre-productif", "complètement dépassé" : les experts en cybersécurité n’avaient pas de mots assez durs mardi contre le blocage par le gouvernement français de cinq sites djihadistes, selon eux un pur effet d’annonce sans le moindre impact sur la propagande terroriste.
Comme le permet désormais la loi, le ministère de l’Intérieur a demandé aux grands fournisseurs d’accès internet de bloquer ces sites pour apologie du terrorisme.
Les internautes sont redirigés vers une page d’avertissement ou une mention de "site inaccessible".
Efficacité zéro, selon les experts, car de nombreuses techniques de contournement existent, sans besoin de grandes connaissances techniques : consultation du contenu dans la mémoire de Google, utilisation de réseaux qui permettent de surfer anonymement, modification des paramètres d’accès internet ou encore consultation de sites "miroirs" qui se font connaître par les réseaux sociaux.
"Non seulement tous ces sites étaient peu influents, mais les comptes Twitter de l’État islamique sont toujours actifs. La propagande passe par les réseaux sociaux, pas par les sites. Et le gouvernement n’a aucune prise sur Twitter", souligne le journaliste David Thomson, auteur de "Les Français djihadistes" (2014).
Impossible d’empêcher la propagande
"Il est impossible aujourd’hui d’empêcher la propagande djihadiste sur internet. La loi sur le blocage des sites provient d’une analyse de la situation d’il y a trois ans. Elle n’est plus du tout la même avec les réseaux sociaux", affirme-t-il.
"Depuis cet été, Twitter, Facebook ou Youtube censurent davantage ces sites mais pour les djihadistes c’est devenu un argument de propagande. Certains comptes Twitter se sont fait censurer plus de cent fois. Quand un compte est désactivé, un autre renaît aussitôt. La cyber-propagande est là, il faut vivre avec", conclut-il.
"Ce blocage ne change rien pour une personne motivée", renchérit l’expert et blogueur militant de la liberté informatique Olivier Laurelli. "Cela équivaut à cacher la poussière sous le tapis. Internet n’a pas été conçu pour être censuré."
"Les autorités n’ont demandé le blocage qu’aux 4 ou 5 gros fournisseurs d’accès internet : ceux qui utilisent d’autres fournisseurs ont accès aux sites. De plus on peut toujours échanger leur contenu sur Facebook... Pour bloquer ces sites il faudrait un internet à l’iranienne, centralisé", ironise-t-il.
"On se passe d’un juge pour ces blocages, on bafoue la Constitution : c’est une victoire pour les terroristes. Le problème n’est pas internet", plaide-t-il.
Même jugement sévère pour le journaliste Jean-Marc Manach, spécialiste de la surveillance informatique. "Plein de gens ont alerté le gouvernement sur le fait qu’il est simple de contourner la censure. Ils ont choisi cinq sites alors qu’ils ont indiqué que 50 à 100 posent problème... Mais les services de renseignements veulent pouvoir traquer ceux qui vont sur ces sites", fait-il remarquer.
Effet d’annonce
"Les politiques veulent montrer qu’ils prennent des mesures, c’est un effet d’annonce, mais qui fait à ces sites une publicité mondiale", critique-t-il.
Pour lui, "on ne combat pas une idée dangereuse par la censure, mais en en parlant, en y répondant".
Moins sévère, Gérôme Billois, expert en cybersécurité chez Solucom, voit dans ces mesures un outil pédagogique. "Le blocage n’est pas complètement fonctionnel, mais cette mesure signale que ce contenu est illégal, n’est pas tolérable. Cela participe d’une logique de sensibilisation", note-t-il.