L’émission La Marche de l’histoire s’attache à l’image des Rothschild. Rien que l’introduction « pincettes de 5 km et parapluie nucléaire » de France Inter prête à rire :
On peut s’en étonner mais les Français sont habitués depuis deux siècles à désigner la richesse par le nom de Rothschild.
Il faut vraiment prendre les Français pour des ânes. Évidemment que le nom de Rothschild est synonyme de richesse, de puissance et d’influence, cela a toujours été le but de la famille ! Pourquoi les responsables frileux de France Inter ne réduisent tout simplement pas la fonction de cette famille aux œuvres de charité du baron à Noël quand il invitait les petits pauvres du village dans le château de Ferrières ?
En fait, c’est ce qu’ils finiront par faire dans cette émission stupéfiante.
- Le hall du château de Ferrières donne une idée du reste
Le problème est : comment parler de la famille Rothschild sans parler de politique, d’argent, de cabinets ministériels, de diamants, de châteaux, de monnaie, d’or, de mariages, ou de sionisme ? C’est toute l’habileté de Jean Lebrun, animateur de l’émission :
« Il n’empêche, la machine à fantasmes fonctionne toujours »
C’est à l’historien Pierre Birnbaum qu’incombe la lourde tâche de livrer des faits sans tomber dans la moindre dérive antisémite – même inconsciente – ou dans le philosémitisme le plus aberrant, qu’on trouve régulièrement sur l’antenne de la station publique.
On commence donc en douceur par des infos tirées du livre de Jean Bouvier Les Rothschild, que nous avons déjà décortiqué ici. Malgré la terreur actuelle et les persécutions dès qu’on aborde le pouvoir sioniste en France, Jean Lebrun n’hésite pas à provoquer son invité en citant « le profil de singe » de James (de son vrai prénom Jacob), le fils parisien du patriarche Amschel. Une description reprise avec plus de tact par Stendhal dans Lucien Leuwen, son roman inachevé.
C’est seulement après 8’15 de blabla inoffensif que Lebrun lance le mot « antisémitisme » : c’est le même James chargé de la symbolique familiale qui subit les attaques des premiers socialistes, Proudhon, Toussenel ou Fourier. Birnbaum reprend alors les critiques de l’époque associant le banquier parisien au « roi des juifs » et au « capitalisme apatride ».
- Exemple de couverture de l’abominable journal de Drumont
C’est à 9’07 que nos deux amis vont quitter les rivages dangereux de la prolitique profonde pour entrer dans la légende Rothschild, des Rothschild patriotes qui donneront énormément d’argent à la France. On croit rêver, mais c’est peut-être la façon dont l’historien et l’animateur voient les fantastiques rentes d’État qui ont rendu la famille aussi riche et puissante...
« Ils apportent une aide financière à la France, ils donnent sans cesse des contributions financières gigantesques aussi bien pendant la guerre de 70 que pendant la guerre de 14-18 »
On rappelle à ce stade de la compétition que c’est en majeure partie les Rothschild qui ont engrangé des fortunes à la fois sur le prêt de milliards-or destiné à rembourser la Prusse et aussi sur les armements de 14-18, par des prises de participations discrètes dans les grands trusts militaro-industriels...
C’est alors (à 9’47) que Birnbaum, emporté par son élan, trébuche dans les buissons du château avec sa statue des Rothschild pleine de sang :
« Et ils vont mourir eux mêmes ou se battre dans les armées françaises aussi bien, à travers en tout cas des deux dernières guerres vous avez des exemples de Rothschild qui se battent sur le terrain et qui sont blessés et qui mènent des actions courageuses donc y a à la fois le souci des autres juifs mais également le souci d’être français et de donner à la patrie une grande partie du capital »
Du coup, on ne comprend pas, avec tous ces sacrifices physiques et capitalistiques, pourquoi le peuple français les aurait pris en grippe. C’est l’époque de L’Argent de Zola et de La France juive de Drumont. Quel inexplicable manque de reconnaissance !
Le reste de l’émission est une tentative archimaladroite de réhabilitation de l’image des Rothschild contre toutes les injustices qui leur ont été infligées. Birnbaum cite un texte d’Edmond de Goncourt, qui n’y allait pas non plus avec le dos de la cuiller en argent :
« À nous qui depuis 20 ans crions tout haut que si la famille Rothschild n’est pas habitée, habillée en jaune comme au temps du ghetto nous serons très prochainement nous les chrétiens domestiqués, ilotisés, réduits en servitude »
L’émission continue sur ce registre de l’inversion et de l’humour, à l’image de cette intervention impayable de Lebrun (à 14’13) :
« Les Rothschild donnent beaucoup de leur sang et donnent beaucoup à la terre... Les Rothschild se passionnent pour l’agriculture ! »
Normal, c’est pour le développement de la Palestine juive, une terre achetée morceau après morceau par cette famille royale sans le titre... Justement, voici une petite visite du château de Ferrières, le plus luxueux du XIXe siècle, parmi tous ceux qu’ils ont possédés :
Après ce ramassis de salades, l’émission abandonne définitivement les terrains glissants de la banque et de la politique pour aborder celui, plus confortable, de l’art. Nous, on a été regarder en ligne à combien se montait notre découvert. Un problème que les fonctionnaires soumis et prudents de France Inter ne doivent pas connaître.