Une députée écologiste néerlandaise a provoqué un tollé en proposant de réduire les soins pour les plus de 70 ans.
Atlantico : Une députée écologiste néerlandaise a provoqué un tollé en proposant de réduire les soins pour les plus de 70 ans. Cette députée jure que sa proposition n’est pas guidée par des motivations économiques. Pourtant il y a là quelque chose de contestable. Pourquoi ?
Bertrand Vergely (philosophe et théologien) : En Angleterre, actuellement, la médecine britannique a décidé de ne pas se lancer dans des opérations chirurgicales lourdes à partir d’un certain âge. En France, quand certaines personnes âgées sont atteintes d’un cancer à évolution lente, d’une façon générale, les médecins décident de ne pas proposer à ces personnes des chimiothérapies. En Angleterre comme en France, quand les médecins décident de ne pas pratiquer des traitements lourds afin de soigner les personnes âgées, ce n’est pas du cynisme de leur part ni une volonté d’en finir de façon brutale, mais une réaction de sagesse. Il est fatigant de se soigner. Toute opération génère un choc. Parfois, certaines personnes âgées meurent parce qu’elles suivent un traitement fatigant ou parce qu’elles subissent un choc après une opération. D’où ce paradoxe : il arrive à la médecine de soigner en freinant la médecine.
Dans le cas de la députée néerlandaise et de sa proposition, il faut voir deux choses.
D’abord, une volonté de freiner la médecine en invitant celle-ci à un peu de décroissance. Ce qui n’est pas idiot. Le capitalisme est guidé par une quête effrénée de progrès et de profit. La médecine a tendance aujourd’hui à calquer ce modèle en devenant une médecine non seulement de performance mais de prouesse. Le médecin devenant un virtuose de la chirurgie et du traitement, on aboutit à des drames. Hyper-compétents, hyper-brillants, les médecins parviennent à faire vivre des patients qui en un autre temps seraient morts. Comme on dit, ils ont l’art de rattraper ces patients par les cheveux. Quand un patient peut vivre une vie vivable, tant mieux, bravo, chapeau. Respect et admiration pour le médecin-artiste et le chirurgien-virtuose. Mais, quand, comme dans le cas de Vincent Lambert, le génie médical et opératoire conduit à faire vivre à un patient une vie qui n’est pas vivable, on s’interroge. Le progrès infini en médecine comme le profit infini en économie est-il souhaitable ?
On pensait jusqu’à présent que l’écologie concernait uniquement la sphère économique. Or, avec la proposition de la députée écologiste néerlandaise, voilà que celle-ci s’invite dans le domaine de la médecine en proposant une décroissance médicale et non plus économique. Ce qui est totalement nouveau.
Autre aspect de la proposition de la députée néerlandaise. Jusqu’à présent, c’était la droite qui tenait des propos malthusiens en déclarant qu’il y a trop d’humains sur la planète. C’était elle qui se déclarait favorable à l’euthanasie en pensant que la vieillesse délabrée est trop longue et trop coûteuse. Or, voilà qu’une députée écologiste de gauche renouvelle cette thématique en lui donnant des couleurs écologiques.
À la base de cette révolution, une idée simple : ce n’est pas la vieillesse et les vieux qu’il convient d’attaquer et de mettre en question. Les pauvres ! Ils sont déjà assez accablés comme ça ! Ne les accablons pas davantage ! C’est le pouvoir médical qu’il importe de questionner.
Qui fait que la vieillesse est si lourde à porter ? Les vieux ? La vieillesse ? Non. Ce sont les jeunes et, derrière eux, le capitalisme avec sa dynamique de progrès et de performance. C’est parce que les jeunes ont décidé de s’éclater en se lançant dans une médecine du brio, de la prouesse et de la performance, que la vieillesse et les vieux éclatent.
Dernièrement, dans l’ouvrage qu’ils ont consacré à l’intelligence artificielle et à la guerre qui se joue au niveau mondial à ce sujet, Laurent Alexandre et Jean-François Copé ont dit en substance : on ne va pas quand même empêcher les chercheurs en informatique de jouer ! On tient là le cœur du problème qui est le nôtre.
Le monde est guidé par le divertissement, disait Pascal, notre monde est guidé par le jeu et notamment le jeu scientifique. La preuve : tout le monde joue. Dans le métro, dans le RER, dans les trains, dans la rue, le jour, la nuit, tout le monde joue. Tout le monde joue parce que le monde est dominé par des joueurs surdoués en Chine et en Amérique, qui, chaque jour, inventent de plus en plus de jeux afin que tout le monde joue.
L’homme ludique domine notre monde. En économie, c’est lui qui veut de plus en plus de profits. En médecine, c’est lui qui veut de plus en plus de progrès afin de vivre de plus en plus longtemps pour jouer de plus en plus.
La députée néerlandaise a provoqué une polémique avec se proposition de réduire les soins pour les plus de 70 ans. Cette proposition dérange. Rien de plus normal. Elle révèle l’absence de pensée qui sévit partout.