Si la journaliste Anne Nivat consacre aujourd’hui un documentaire et un livre à la Russie, c’est pour y être retournée après y avoir vécu une dizaine d’années. Et elle ne se concentre pas sur les coulisses du Kremlin mais nous raconte une Russie, d’est en ouest, et surtout à hauteur de femmes et d’hommes. Une mise en perspective qui apporte une tout autre dimension aux enjeux de l’élection présidentielle, dont personne ne doute qu’elle va confirmer la mainmise de Poutine sur le pouvoir.
Pourquoi connaît-on si mal la Russie ? C’est la première question que l’on se pose, après avoir lu votre livre.
Ce n’est pas à moi de le dire. J’ai fait ce constat et c’est la raison pour laquelle je mets toute mon énergie à essayer de déconstruire les stéréotypes. Il y en a sur tous les pays, je l’ai vérifié en travaillant sur l’Irak et l’Afghanistan, par exemple. Mais il y en a peut-être plus sur la Russie parce que c’est un pays qui fait peur, qui est européen mais lointain. Et il y a cette figure du chef, Vladimir Poutine, qui cristallise toutes les hystéries occidentales.
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Vous mettez aussi l’accent sur l’étrange relation avec la Chine.
Elle est essentielle et suscite chez les Russes une réelle anxiété. La Chine est tellement peuplée qu’elle lorgne de plus en plus de l’autre côté de la frontière. La différence, c’est que les Chinois qui la franchissent ne sont plus seulement de pauvres ouvriers. Ce sont des entrepreneurs et des investisseurs qui viennent acheter et même jouer au casino.
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Voter Poutine n’est pas forcément, pour les Russes, voter pour un dictateur, écrivez-vous. C’est nous qui nous trompons ?
On va un peu vite en besogne en traitant Poutine de dictateur. Si c’était le cas, je n’aurais pas pu faire mon livre. Il n’y a pas un flic derrière chaque journaliste. Ce qui ne veut pas dire que les journalistes sont bien traités, surtout les Russes qui prennent beaucoup plus de risques.
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Ce que les Russes mettent au crédit de Poutine, c’est le retour d’une puissance sur la scène internationale dont ils sont assez fiers.
C’est même un aspect qui fait l’unanimité. On ne mesure pas le degré d’humiliation des Russes depuis la fin du régime soviétique. Si la Russie reste le pays le plus vaste du monde, elle n’est plus l’URSS avec ses satellites. Les nations baltes sont parties, celles de l’Asie centrale aussi, tout cela sans effusion de sang, à la différence de la Tchétchénie qui, elle, est toujours dans la Fédération de Russie. Tout cela, les Russes, qui n’y étaient pas préparés, l’ont mal pris.
Ce qui, à leurs yeux, légitime d’autant ce qui s’est passé en Crimée ?
Il est difficile, aujourd’hui, en Russie, de trouver quelqu’un qui désapprouve l’intervention en Crimée, même parmi ceux qui ne sont pas favorables à Poutine. Ils considèrent que Khrouchtchev a commis une erreur en la donnant à l’Ukraine, après un dîner bien arrosé. La guerre en Syrie les touche moins mais elle correspond à une puissance retrouvée qui suscite un sentiment de fierté. Et puis, dans leurs têtes, Poutine fort signifie Occident faible.
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Anne Nivat chez Vandel le 30 mars 2017 :
Anne Nivat sur franceinfo le 15 mars 2018 :