Victoire d’Emmanuel Macron, érosion du clivage droite/gauche, réveil du socialisme. Comment éclairer les cinq prochaines années ? Entretien avec le philosophe et historien des idées Alain de Benoist.
Il n’a jamais été chose aisée de penser mais cela risque de l’être plus encore. Eh oui, sous la présidence Macron, les Françaises seront enjointes d’admirer les couvertures de magazines et de suivre l’exemple de la première dame, nouvel archétype de la femme libérée. Les Français quant à eux devront enfiler le costume noir/chemise blanche cravate noire du bonheur, l’uniforme libéral des troupes d’En Marche !. Pour les rebelles, pour les non-conformistes, par contre, peut-être pourrions-nous tenter d’ouvrir quelques pistes, partir de la doxa ambiante, ou disons de la mentalité contemporaine, pour essayer de nous en extraire et de la maîtriser.
Comment penser sous la présidence Macron ? Voilà la question du jour, et pour ce faire, nous avons accueilli en studio Alain de Benoist. Chef de file d’un courant baptisé à ses dépens la « Nouvelle Droite » dès les années 70, il a été banni pendant plusieurs années mais l’opinion médiatique semble le redécouvrir. Pilier de la remise en cause du clivage droite-gauche, il aime puiser ses influences chez les uns ou les autres, comme le reflète son dernier essai, Ce que penser veut dire. Penser avec Goethe, Heidegger, Rousseau, Schmit, Péguy, Arendt… publié aux éditions du Rocher.
2017 : un tournant historique pour trois raisons
« La présidence Macron est le produit de ceux qui ne pensent pas. De ceux qui s’imaginent que les idéologies sont dépassées, que nous n’avons plus de nécessité d’interpréter le monde, qu’il y a des faits bruts. La réduction des faits bruts à la technique. Si vous permettez une parenthèse : au-delà de l’anecdote, cette élection marque un tournant historique pour trois raisons. Pour la première fois dans l’élection du chef de l’État à l’élection, on a vu les deux partis qui dirigeaient en alternance la France depuis un demi-siècle éliminés dès le premier tour. Cela signifie que la vieille classe politique s’est complétement discréditée.
La deuxième raison est que les partis éliminés étaient ceux porteurs du clivage droite-gauche classique qui organisait toute la vie politique. Cet axe droite-gauche était un axe horizontal. On voit se substituer un axe vertical, représenté par l’opposition entre “ceux d’en haut” et “ceux d’en bas”. Le point commun d’Emmanuel Macron et Marine Le Pen, que tout séparait par ailleurs, était précisément que l’un et l’autre ne faisaient pas l’alpha et l’omega de la vie politique. Au moins dans leurs intentions, ils voulaient dépasser ce clivage. C’est la première fois que cela se passe.
La troisième raison, on a vu un conflit resurgir, une problématique de classe qu’on n’avait pas vue depuis des décennies. L’électorat Macron d’un côté, l’électorat Le Pen de l’autre, sont des électorats qui en termes d’appartenance sociale se différencient très nettement, différenciation qui se double d’une opposition géographique, entre les grandes métropoles mondialisées et la “France périphérique”. »
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Le grand retour de Carl Schmitt
« La fortune posthume [de Carl Schmitt] ne cesse d’enfler. Aujourd’hui dans le monde, il paraît un ouvrage sur Schmitt tous les huit ou dix jours. Pour Schmitt, le geste politique par excellence c’est de désigner l’ennemi. Il reproche précisément au libéralisme de reposer sur une anthropologie individualiste, qui ne reconnaît ni les groupes, ni les cultures, ni les communautés, ni les sociétés politiques comme fondatrices, et de croire qu’on peut par le dialogue, la communication, parvenir à un consensus qui ferait disparaître cette dimension conflictuelle et antagonistique du politique. Au fond, il ne peut y avoir de politique libérale : il ne peut y avoir qu’une action libérale visant à nier la réalité du politique. (…) Les politiciens n’ont aucune idée de ce qu’est le politique. Pour eux, cela se ramène à des problèmes de strapontins et de carrière. Ce qui nous menace le plus aujourd’hui, c’est l’extinction du politique au profit d’une dissolution à l’intérieur d’une société liquide. »