Ce soir, lundi 29 septembre 2014, devant un parterre de 400 étudiants, Alain Jakubowicz a beaucoup parlé. Et n’a surtout rien dit. Mais le long verbiage d’une heure et demie fut très instructif pour une oreille attentive. Comme on dit, il y a des silences qui parlent plus que de longs discours.
Le titre de la conférence donnait le ton : « Peut-il y avoir des limites à la liberté d’expression ? » Inviter un censeur notoire pour parler de liberté d’expression, c’était osé déjà. Mais voilà l’avocat lyonnais qui s’élance devant un public qu’il envisage probablement comme pas nécessairement acquis à sa cause. En effet, il est loin le temps glorieux d’avant l’Internet, celui des années 80 et 90, où l’audience ressemblait plutôt à une claque. Depuis, un média moins contrôlable – et en tout cas pas trop contrôlé encore – a fait le job, et les grosses ficelles ne passent plus, en particulier chez un public jeune particulièrement connecté.
Et c’est là la première information de la soirée : Alain Jakubowicz sait qu’il n’est pas en terrain conquis et, en bon avocat, va devoir montrer qu’il n’est pas hostile. Il adopte même plusieurs fois une attitude cool (1), une posture d’ouverture d’esprit, d’acceptation des idées contradictoires (2), se rangeant systématiquement, du début à la fin de sa conférence, derrière le droit (3) :
(1) « Dieudonné peut être parfois incroyablement drôle. »
(2) « Tous les procès contre Dieudonné je les ai perdus ! »
(3) « On est dans un état de droit, dans l’affaire Dieudonné, les institutions de la République ont parfaitement fonctionné. »
Revenant sur les caricatures de Mahomet, l’avocat a rappelé que l’on pouvait tout dire sur les religions, mais rien sur les croyants. Cela est plutôt encourageant, les propos d’Alain Soral étant souvent judéo-critiques mais jamais anti-juifs, nous sommes rassurés sur ce point.
« On peut tout dire sur la religion mais pas sur les croyants
Il n’y a pas de droit au blasphème en Italie ou en Espagne mais il y a un droit au blasphème en France heureusement. »
Puis, rapidement nous arrivons au nœud gordien du problème : la loi Gayssot. On y apprend que l’honneur est sauf puisque :
« Aucun historien n’a jamais été condamné par la loi Gayssot mais ce sont des gens qui se sont servis de l’histoire pour servir une idéologie.
La Shoah est une donnée historique objective. Les malades mentaux qui nient sont des gens qui relèvent de la médecine et de la psychiatrie. »
Alain J. est même plutôt cool, presque révisionniste :
« Je ne vous demande pas de sacraliser, de faire de la Shoah une chose incantatoire devant laquelle il faudrait s’incliner, c’est aberrant. On n’apprend pas l’histoire à coups de marteau. Je demande simplement le respect des victimes. Dire que c’est foutaise c’est attentatoire aux victimes. Au nom de ces victimes on a le droit de rien faire (...)
Mais la liberté d’expression ce n’est pas dire que tout cela n’a pas existé. Quand on dit qu’il y a eu 6 millions on n’a jamais compté évidemment. »
Plus encore,
« On peut tout dire sur la Shoah, et on doit tout dire, car l’histoire n’est pas un débat figé. L’histoire est évolutive. On doit le faire sur le sujet de la Seconde Guerre mondiale comme on le fait pour tout le reste. »
Mais,
« Certains pensent que cette loi est liberticide, je le pense pas. »
On aurait aimé savoir précisément pourquoi il ne le pense pas. Mais, comme pour l’ensemble de la conférence, Jakubowicz gratifiera son auditoire de lieux communs, de phrases sans consistance, où aucune thèse exposée ne sera justifiée. Tout dégouline sans structure précise, mélangeant sentences et émotion et s’arrêtant fort opportunément dès lors que l’argument énoncé demandait à être approfondi voire justifié :
« Le crime contre l’humanité naît avec le tribunal de Nuremberg. C’est le crime des crimes, contre l’humain. Il bouleverse toutes les données des juristes : l’imprescriptibilité. Dans les sociétés judeo-chrétiennes tous les crimes connaissent un oubli. Ce n’est pas le pardon, c est l’oubli [il nous semblait bien que le pardon était une vertu proprement chrétienne, ce qui n’a pas échappé à Me Jakubowicz qui a aussitôt précisé sa pensée – NDLR].
En 1945 la loi rétroagit pour s’appliquer à ce qui s’est passé avant. C’est aberrant mais c’est dans l’essence même du crime contre l’humanité. Pourquoi on a voté ça pour interdire la négation de certains crimes contre l’humanité et pas tous les crimes ? Que d’autres souffrances ne soient pas protégées par une loi est une profonde injustice. »
Là, on tenait le bon bout, le brillant avocat (avec ses costumes coûteux, le plus élégant du barreau dit-on) allait enfin approfondir ce point hautement crucial. Mais, patatras, le temps court si vite, et :
« Et là on rentre dans un débat complexe... »
À ce moment on avait envie de crier au conférencier qu’il était là peut-être justement pour approfondir le sujet, pour participer à ce « débat complexe », nous proposer des pistes de réflexion, nous faire part de son point de vue. Non, une fois de plus il nous laisse sur notre faim en se gardant bien de ne pas dépasser la simple énonciation d’une proposition, parfois vague ou même incantatoire.
Et ça continue : Me Jakubowicz nous gratifie alors d’un rappel sur les deux lois déclaratives que sont la loi Taubira et la loi sur le génocide arménien. Ces deux lois, en effet, « n’ont pas leur pendant en terme répressif » (sic). Et c’est un point important que de rappeler que les lois touchant par exemple la traite des Noirs ou bien le génocide des Arméniens n’ont de valeur que déclarative et, pire, que le volet répressif qui faillit s’appliquer pour cette deuxième loi a été sur-le-champ censurée par le Conseil constitutionnel qui avait été saisi par 140 parlementaires (contrairement à la loi Gayssot qui rencontra beaucoup de contradicteurs de principe mais pas un seul parlementaire pour s’y opposer – il est vrai que la manipulation de Carpentras était opportunément passée par là, mais c’est une autre histoire).
Ah, peut-être ici allions-nous donc pénétrer au cœur du sujet ? C’était faire preuve de beaucoup d’optimisme car :
« Tout ca pour vous dire que c’est un vrai sujet. Je vais m’arrêter là car vous avez compris que je suis intarrissable sur le sujet et que je pourrais y passer la nuit... »
Quelle déception ! Le temps passe si vite quand la densité d’information est égale à zéro. Nous voilà déjà à la conclusion et Me Alain Jakubowicz retrouve la cool attitude, qui sera la signature de la conférence, assaisonnée ici d’une modestie touchante :
« Je n’ai pas de certitudes, les gens qui ont des certitudes me font peur. Ce ne sont que mes convictions, j’entends et je reçois les avis contraires. Je ne veux pas vous asséner une vérité pour que vous l’épousiez, mais simplement ayez un esprit critique. »
C’est que l’avocat a bien compris qu’aujourd’hui ça ne marche plus. L’esprit critique qu’il appelle de ses vœux (mais pas le même faut-il croire) est en marche, l’Internet fait le travail de ré-information. Il ne peut plus asséner des arguments d’autorité les uns derrière les autres sans passer pour un censeur ou un redresseur de torts. Il faut qu’il passe en douce, qu’il slalome comme une anguille. Bref, le vent tourne et la stratégie adoptée doit être plus charmeuse, plus pédagogique, plus modeste. Il s’énerve encore un peu, mais la ramène moins. Les questions des étudiants qui vont suivre vont le confirmer.
Questions du public
Les étudiants, trop nombreux à vouloir poser des questions, vont passer par groupes de 5 ou 6 au micro. Ca commence bien : « Les antisionistes sont-ils nécessairement antisémites ? » La réponse, en deux temps, va être cinglante :
« Les antisionistes sont ils antisémites ? Non, mais certains antisionistes se servent d’antisionisme c’est le cache sexe de l’antisémitisme. »
Puis, s’emportant et amalgamant fallacieusement national-socialisme (comme le professait un Chavez par exemple) et néonazisme (idéologie racialiste allemande) :
« J’imagine qu’il y en a ici parce qu’il y en a de partout, et je me fais toujours interpeller par eux, les petits copains d’Alain Soral et compagnie, pour moi ce type est un néonazi, qui s’affirme comme tel, parce qu’il se décrit lui-même comme national-socialiste, je suis désolé mais qu’il y ait des jeunes comme vous qui apportent l’ombre d’un soupçon de crédit à un type qui est capable de s’affirmer national-socialiste, moi franchement ça me pose un problème, parce que je pense que vous savez tous ce que c’est que le national-socialisme. Un type qui aujourd’hui fait une tribune avec des millions d’auditeurs sur Internet en disant moi je suis national-socialiste, bah oui ça me pose un problème. »
Où l’on apprend que les petits soldats d’Alain Soral sont partout ! C’est plutôt rassurant. D’ailleurs c’est vrai puisqu’on y était. Mais, pire encore, un bon tiers de la salle semblait acquis aux idées de l’essayiste ou à l’humour de Dieudonné. La preuve, le festival de questions qui suivirent :
« Ne pensez-vous pas qu’il faut plutôt de l’échange et de l’information, plutôt que de la censure ? »
« Est ce qu’il ne faudrait pas mieux un combat d’idées ? »
« Au lieu d’interdire des spectacles pour des propos qui n’ont pas encore été émis, n’aurait-on pas pu interdire juste les propos sans attenter à la liberté de travailler de Dieudonné ? »
(une étudiante) « Ne pensez-vous pas que la récente loi sur la censure administrative des sites est attentatoire à la liberté d’expression ? »
Toutes ces questions furent, en particulier la dernière, chaleureusement applaudies. Les réponses, vagues et claudicantes, de Jaku ne cachent pas son embarras :
« Il y a un moment où la société doit se donner les moyens de se défendre des dangers. Et le terrorisme en est un. Une fois de plus le Parlement va voter une loi, j’ai confiance aux institutions, c’est comme ça qu’avance une démocratie. »
Merci d’être venu et de nous avoir éclairé de ta lumière ô Maître.
Une deuxième vague de questions s’échoua sur le conférencier, toujours dans le même esprit, avec le coup de grâce :
« Je voulais savoir en quoi la quenelle représente une sodomisation des victimes de la Shoah. »
Applaudissements nourris, rires et clameur franche de soutien de la salle.
Et ce n’est pas une militante lesbienne qui demanda, dans un concours de compétition victimaire, à Me Jakubowicz « Où étiez vous lors des Manif pour tous, y avez vous entendu les propos homophobes ? » qui gâcha la fête.
Pour finir, Alain Jakubowicz nous gratifia d’une petite sentence sans fond ni forme, montrant le niveau zéro d’approche philosophique de la question que posait initialement la conférence :
« Si on met pas des limites c’est l’anarchie. Faire le pari de l’intelligence de l’homme, ce pari je vous le laisse. »
On n’aura donc rien appris ce soir. En tout cas rien de la bouche de Me Jakubowicz, mais beaucoup de sa stratégie d’approche d’un public qu’il sait désormais profondément perverti par la pensée nauséabonde et antisémite (nécessairement). Les idées patriotes et la reconquête des esprits sont en marche. Et rien n’arrête une idée dont l’heure est venue.
Note : nos lecteurs pourront retrouver prochainement sur notre site la conférence entière en vidéo.