À l’occasion des cent-vingt ans de la naissance
du célèbre auteur de 1984,
Kontre Kulture pose la question :
« L’ouvrage 1984 de George Orwell est-il une version romancée de Théorie et pratique du collectivisme oligarchique de J.B.E. Goldstein ? »
du célèbre auteur de 1984,
Kontre Kulture pose la question :
« L’ouvrage 1984 de George Orwell est-il une version romancée de Théorie et pratique du collectivisme oligarchique de J.B.E. Goldstein ? »
« Goldstein étend jour après jour son influence... »,
lire l’ouvrage chez Kontre Kulture :
Qui a écrit Théorie et pratique du collectivisme oligarchique,
ouvrage mystérieux signé J.B.E. Goldstein ?
« C’était un lourd volume noir, relié par un amateur sans nom ni titre sur la couverture. L’impression paraissait légèrement irrégulière. Les pages étaient usées sur les bords et se séparaient facilement, comme si le livre avait passé entre beaucoup de mains. Sur la page de garde, il y avait l’inscription suivante : Théorie et pratique du collectivisme oligarchique par Emmanuel Goldstein. »
Ces mots décrivent l’instant où Winston Smith tient entre ses mains le livre pour la première fois. Il est seul chez lui, se sent en sécurité et commence alors la lecture en savourant chaque mot, chaque phrase, avec une attitude quasi religieuse. C’est l’œuvre damnée par excellence et le lire en Océania relève de la plus grande des transgressions par le simple fait que son auteur, Goldstein, est « l’ennemi du peuple », « le traître fondamental » qui commandait un réseau clandestin de conspirateurs appelé la Fraternité. On raconte qu’il y avait « des histoires que l’on chuchotait à propos d’un livre terrible, résumé de toutes les hérésies […], et qui circulait clandestinement çà et là. Ce livre n’avait pas de titre. Les gens s’y référaient, s’ils s’y référaient jamais, en disant simplement le livre ». Avant de se faire traquer puis torturer par la police de la Pensée, Winston aura eu le temps de lire le premier chapitre « L’ignorance c’est la force » et le troisième, « La guerre c’est la paix »...
Le lecteur aura bien évidemment reconnu le très fameux 1984 de Georges Orwell, roman dystopique incontournable, écrit en 1948 et qui sous de nombreux aspects, fait écho au monde d’aujourd’hui. Pourtant, ce qui semble être une fiction totale issue d’une imagination débordante, est remise en question dans une vidéo datant de 2014 et qui atteste de l’existence du livre Théorie et pratique du collectivisme oligarchique d’un certain J.B.E. Goldstein. Cette vidéo qui se présente comme une « courte histoire d’un livre maudit » nous explique qu’un client de brocante a trouvé en Belgique un exemplaire dans un carton de vieux livres de sciences politiques datant des années 40. C’est en tombant justement par la suite sur un article traitant de 1984 et qui affirme que le livre en question n’existe pas, que ce client compris la valeur de ce qu’il avait en sa possession. Concernant cette découverte, la vidéo ne nous donne pas beaucoup plus de détails et laisse planer un certain mystère.
Qui est ce client ? Dans quelle brocante l’a-t-il déniché ? Où se trouve actuellement l’unique exemplaire ? A-t-il déjà était examiné par des spécialistes ? Sa conclusion est en tout cas sans appel : George Orwell a bien eu connaissance de la théorie de Goldstein, et 1984 n’est qu’une version romancée de ce traité politique. Il est à remarquer que la personne qui met en ligne la vidéo est la même qui publie le texte entier 20 jours plus tôt sur Internet Archive – même pseudo, même principe de compte à usage unique – et l’on peut donc imaginer qu’elle connaisse la vérité sur toute cette affaire. En libre accès sur Internet depuis maintenant sept ans, le texte est désormais disponible en format papier chez Kontre Kulture.
Cet ouvrage qui a été traduit du russe en 1948 s’ouvre sur une dédicace pour le moins étrange : « En hommage à mon ami et Frère Édouard Boulard à qui je dois l’idée de cet essai. » L’existence de ce dernier ne laisse planer aucun doute, c’est un militant socialiste et franc-maçon de la fin du xixe siècle qui a notamment écrit une brochure intitulée Théorie et pratique du collectivisme intégral-révolutionnaire, un essai de philosophique politique largement inspiré des idées de Spinoza et qui on ne peut plus modestement se donne pour projet d’ « exposer le pourquoi et le comment de tout ce qui est dans le Temps et l’Espace, ainsi que le Vrai et le Faux des principales énigmes que les faits posent à l’Humanité »...
La suite du texte est une citation du chapitre XVIII du Prince de Machiavel et qui semble néanmoins avoir était complétée par l’auteur :
« Qu’un prince veille donc, avant tout à conserver son État. S’il réussit, les moyens seront toujours estimés honorables, et loués d’un chacun. La foule ne juge que d’après les apparences et les résultats ; le monde entier n’est qu’une foule et pense comme une foule. Les isolés, capables de penser et de comprendre, se tairont, ou on les fera taire. »
Ce passage terrible donne le ton et il fait en réalité office d’introduction tant il est révélateur de ce que vont proposer les quatre chapitres du livre. D’ailleurs les titres parlent d’eux-mêmes et sont connus pour être les slogans de l’AngSoc, le mot en novlangue qui désigne le socialisme anglais dans le livre 1984 : « I. Politique intérieure. L’ignorance, c’est la force » ; « II. Information. Qui contrôle le présent contrôle le passé, qui contrôle le passé, contrôle le futur » ; « III. Économie. La liberté, c’est l’esclavage » ; « IV. Politique extérieure. La guerre, c’est la paix ».
La théorie du livre est clairement machiavélienne dans le sens où la fin de la politique est la recherche consciente du pouvoir pour le pouvoir et son maintien dans le temps. Il y a donc cette idée complètement assumée que le cœur de l’oligarchie se loge dans les techniques de manipulation des masses issue tout droit de la psychosociologie du xxe siècle d’où les nombreuses références à Psychologie des foules de Gustave Le Bon et Propaganda d’Edward Bernays. La règle fondamentale de la doctrine de J.B.E. Goldstein qui oriente tout le processus de fabrication du consentement se trouve au tout début du premier chapitre :
« Il y a une nécessité de ne jamais dévoiler ses véritables intentions à la masse, et de lui présenter d’autres raisons auxquelles on sait qu’elle est sensible. Ainsi il faut nettement séparer la forme de l’intention, et la véritable intention. »
Parmi de nombreux exemples, Bernays – neveu de Freud et père de la propagande institutionnelle moderne – est convoqué pour illustrer ce qui pourrait faire songer à l’actualité : vous êtes le responsable des ventes d’un grossiste en viande et vous voulez décupler la vente de bacon dans le seul but de réaliser du profit (véritable intention) alors inutile de vanter le prix bas du bacon mais faites plutôt appel au corps médical qui se prononcera publiquement sur les effets bénéfiques de sa consommation car manger du bacon tous les matins au petit-déjeuner améliore la santé de tous (forme de l’intention).
À vrai dire, ce livre laisse derrière lui plus de questions que de réponses. Qui est véritablement ce J.B.E. Goldstein ou plutôt qui se cache derrière ce pseudonyme ? Est-ce le manuel ésotérique – dans le sens de ce qui se transmet à des initiés, à des adeptes – d’un diplomate russe ou est-ce simplement Orwell lui-même ?
Il est possible aussi que ce texte soit le travail d’un fan, un canular à la belge mais si c’est le cas attention, c’est une contrefaçon qui a vraiment beaucoup de classe, une falsification de très belle facture qui doit être considérée sérieusement. Il y a dans ce livre une vraie maîtrise de la philosophie, de la psychologie et de la sociologie qui pourrait même laisser penser à un travail de groupe, c’est un travail considérable qui n’est pas à la portée de tout le monde aujourd’hui. À la lecture, il y a un ton d’authenticité qui se dégage et une justesse du propos qui finalement, quelle que soit sa date d’écriture, met en évidence les tenants et aboutissants de la machinerie oligarchique.
Contrefaçon ou pas, Théorie et pratique du collectivisme oligarchique de l’énigmatique J.B.E. Goldstein donne la possibilité au lecteur, lorsqu’il est mis en perspective avec 1984, de repenser les interactions entre ce qui fonde la réalité et la fiction dans une société où le spectacle domine et où le mensonge est roi.