L’intox politique est à son comble. Dépassées, pulvérisées, les affaires Merah, Kouachi et autres Coulibaly, avec leurs relations en rhizomes qui mènent indirectement à l’Intérieur ou à la Défense. Après avoir fait le gendarme au Sahel, Hollande lance les Rafale à l’assaut de la Syrie. Reste à savoir si les bébés de Dassault vont survoler la Syrie du Nord, ou la Syrie du Sud. La nuance est d’importance. Car le Nord appartient à la fois à l’armée islamique, ou à Daech, ou au Front al-Nosra, ou à la coalition anglo-américaine, ou aux Kurdes, enfin, ceux qui ne sont pas (trop) bombardés par l’armée turque. Au sud du pays, le régime d’Assad tient encore, grâce à une double injection de renforts : celui du Hezbollah, le bras armé des Iraniens dans la région, et celui des Russes, qui ont toujours « protégé » la Syrie. Et quelque peu freiné l’appétit des Américains.
Syrie, un pays sous perfusions
L’évolution du discours présidentiel sur la Syrie prouve qu’on navigue à vue, même en haut lieu. En février 2015, il n’était pas question d’envoyer le moindre avion du Charles-de-Gaulle bombarder la Syrie, mais en 2013, il a pourtant été question de punir Assad le gazeur, rodomontade qui finira en eau de boudin, le président Obama ayant décidé de ne pas bouger. Il se peut que la menace de Poutine ait joué. L’Histoire du Renseignement le dira. Gérard de Villiers n’est plus là pour nous distiller des vérités stupéfiantes au milieu de ses romans de gare géopolitiques.
En attendant plus d’éclaircissements, la situation syrienne présente des points communs avec le cas irakien, un pays multimillénaire passé à la moulinette de l’Empire en deux coups de cuiller à pot : le premier en 1991, le second en 2003. Depuis, l’Irak n’est plus un pays, mais un agglomérat de régions, plus ou moins sécurisées selon qu’elles recèlent quelque chose dans leur sous-sol. Les parts de gâteau étant distribuées aux vainqueurs au pro rata de leur engagement. Car après la destruction, vient la reconstruction. Les nationalismes arabes n’ayant pas l’heur de plaire à nos amis américains, surtout s’ils sont assis sur un tas d’or (noir), ces régimes – dont la dureté devient prétexte à invasion extérieure - sont chassés du pouvoir de deux façons différentes, qui ont fait leur preuves : la révolution Orange, dite aussi préfabriquée, et l’agression militaire pure et simple. Une sorte d’acharnement démocratique.
Si la Tunisie et la Libye ont eu droit à une révolution américaine, ou américano-française, l’Irak et la Syrie ont reçu leur tapis de bombes. Et si le régime d’Assad tient encore, c’est bien grâce au veto russe et chinois du Conseil de Sécurité. Le loup américain ne doit pas tout manger. Alors, la seule réponse que l’on peut actuellement apporter à la présence de la France dans ce foutoir, qui ne restera pas impunie, en termes de diplomatie et de terrorisme (du vrai, à prévoir), c’est un engagement militaire avec visée économique à moyen terme. La guerre n’étant plus ici le prolongement de l’économie, mais bien son origine !
Les informations sont tellement contradictoires que personne, loin du terrain, ne peut dire qui contrôle quoi, et qui contrôle qui. Quelle est la part de l’Armée islamique manipulée par les Américains contre Assad, la part indéfectiblement anti-américaine et anti-israélienne de ces mêmes islamistes (qui préfèrent curieusement pour des fous d’Allah attaquer Assad qu’Israël), qui sont évidemment de vrais méchants, au sens occidental, sans oublier le double jeu des Turcs…
La décision de non-intervention de la France le 18 septembre 2014 par la bouche de François Hollande était motivée par le fait qu’Assad et l’État islamique avaient, d’après lui, « partie liée ». L’Irak fut choisi comme terrain de survol et de bombardements de Daech, avec les résultats que l’on sait. Curieux que Daech s’en sorte si bien, alors que cette « armée » ne dispose d’aucun avion ! La maîtrise du ciel ne suffit pas, visiblement… L’opération Chammal commence dès le lendemain du discours présidentiel, et nos Rafale bombardent, mais on ne sait pas vraiment quoi. Sinon un terrain d’entraînement de Daech. Tiens, comme la réponse française à l’attentat contre nos forces au Liban en 1983, quand huit Super-Étendard bombarderont une caserne vide dans la Bekaa. On dirait que l’histoire se répète.
A ce propos, et sur un autre terrain, un documentaire, pourtant estampillé Arte, nous a mis une seconde puce à l’oreille. Une analogie avec la situation malienne qui génère plus de questions que de réponses.
Vraie ou fausse guerre franco-malienne ?
Le 27 janvier 2015, la chaîne franco-allemande diffuse Guerre de l’ombre au Sahara, un doc qui tombe en pleine Charlie-mania. Il passera inaperçu. On y découvre la stratégie de l’Empire (américain) en Afrique. Chacun sait que l’Afrique est devenue le terrain de jeu économique de la France, des Etats-Unis et de la Chine. Les autres belligérants n’apparaissant que de manière sporadique : Allemands, Israéliens, sud-Africains, et Britanniques. Les connaisseurs du dossier libyen ne seront pas surpris de ce qui va suivre. Car la mondialisation du conflit sahélien prend sa source dans le nationalisme libyen. Ecoutons la voix off :
« L’argent du pétrole libyen permet à Kadhafi de développer des projets ambitieux. 300 millions de dollars pour le premier satellite panafricain RASCOM, et 30 milliards pour le plus grand système d’irrigation au monde. En puisant sous les immenses réserves d’eau douce sous le Sahara, il transforme des dizaines de milliers d’hectares du désert libyen en terres agricoles. Kadhafi démontre ainsi que le l’Afrique peut se développer sans passer par les banques occidentales ou le Fonds Monétaire international. »
Faute lourde… de conséquences.
« Lorsque Kadhafi est élu président de l’Union Africaine en 2009, les Américains s’inquiètent… Les multinationales américaines ont aussi leurs problèmes avec le dirigeant libyen. En particulier lorsqu’il décide d’annuler un contrat d’un milliard de dollars avec Bechtel, la plus grande entreprise de travaux publics aux Etats-Unis, qui entretient des liens étroits avec Washington. »
Heureusement, l’allié français élimine le « tyran », qui veut « exterminer » la population de Benghazi qui rêve de « démocratie ». Le roman bhlien arrive à point nommé, pour faire coïncider les intérêts français avec l’intérêt supérieur, c’est-à-dire celui de l’axe américano-sioniste. On ne saura jamais combien Kadhafi à donné à Sarkozy pour sa campagne. Le dernier témoin est mort. Et son trésorier est en fuite… Maximilian Forte, auteur de Nato’s war on Libya and Africa, résume : « Kadhafi n’est plus là : un obstacle majeur à la pénétration américaine en Afrique a de fait été éliminé. »
Kadhafi était donc un obstacle majeur à la balkanisation du Sahel. On remarque, là encore, la symétrie avec les événements yougoslaves : partout où l’Amérique passe, les pays se balkanisent. Une nation un peu trop nationaliste, assise sur du pétrole ou présentant un intérêt géostratégique évident (pour les Serbes, la porte de la Russie), est découpée par le boucher américain, les meilleurs morceaux emportés (voir Halliburton en Irak ou BRC en Algérie, croisement américano-algérien issu de KBR, filiale d’Halliburton), les autres laissés aux vautours. Et les vautours, cette génération spontanée, fournissent d’excellentes raisons de continuer à faire le gendarme. C’est le cas de Daech pour les Américains, pressés de contrôler TOUT le pétrole et le gaz du Moyen-Orient (il ne manque plus que le sous-sol iranien), et le cas du Niger pour les Français, hautement stratégique pour notre industrie nucléaire. Ce qui n’empêche pas Areva d’aller mal (entre autres à cause de luttes fratricides au sein de l’Etat), et l’EPR de nous coûter très cher, mais ce n’est pas le débat.
Déstabiliser et exploiter, ou la victoire sur les deux tableaux : géopolitique, et économique
Dans ce même documentaire, le réalisateur suppose que les colonnes de pick-ups djihadistes n’ont pas été complètement bombardées par nos Rafale ou nos Mirage 2000 lors de l’opération Serval. Que tout a été un théâtre joué pour les médias et l’opinion publique. Encore un parallèle avec la situation irako-syrienne. On nous annonce des bombardements, et la tâche sur la carte de la progression de Daech se répand comme tasse de café renversée. Lors de la bataille de Konna, au Mali, le gros des forces djihadistes n’a pas été exterminé comme on l’a cru, comme on nous l’a fait croire, mais est reparti tranquillement. Même si certains des prisonniers islamistes ont été éliminés dans les camps de prisonniers par l’armée régulière malienne (mettons ça sur le compte de leurs affaires internes). Les observateurs sérieux, qui savent qu’une seule route mène au nord, se demandent encore comment la colonne islamiste a pu sortir tranquillement de la nasse franco-malienne. A 300 kilomètres de là, Areva règne sur les mines nigériennes. Et à Arlit, au nord du Niger, se trouvent les plus gros gisements d’uranium, encore inexploités, mais gérés par une filiale d’Areva.
Il n’y a pas une guerre qui n’ait une raison économique pure, ou géostratégique. Il n’y a pas de guerre gratuite. En 2014, le président Obama fait voter un supplément de budget de cinq milliards de dollars consacrés à « la lutte contre le terrorisme mondial », ce qui élargit considérablement le champ des possibles. Le même président traduit en langage démocratique codé le changement de paradigme : « Alors que nous passons à une mission de conseil en Afghanistan, notre présence réduite nous permet de mieux répondre aux menaces au Moyen-Orient en Afrique. »
Traduire « menaces » par « intérêts », car le couple menaces/intérêts semble être le couple de l’année ! Même chose chez nous, à une échelle moindre. On connaît notre part du gâteau au Sahel, on verra bientôt quelles seront nos miettes en Syrie.
Ecoutons malgré tout les circonvolutions de ce pauvre Le Drian, la girouette de Hollande, lui-même girouette des Américains. Contre un petit butin. Voilà comment « notre » ministre de la Défense justifie le virage à 180 degrés sur les frappes : « La donne a changé. »
Au fait, c’est pour quand le feu d’artifices ? « Dans les prochaines semaines, dès que nous aurons des cibles bien identifiées qui nous permettront de mener les frappes qu’il convient de mener face à un ennemi qui est Daech, qui nous menace. […] Notre ennemi à nous, c’est Daech, Bachar al-Assad, c’est l’ennemi de son peuple. »
Quant à Assad, il doit « partir le plus vite possible… Bachar al-Assad est un assassin [...]. Il n’a pas été à l’origine du gouffre dans lequel aujourd’hui s’effondre toute une région [...], mais c’est Daech qui est en situation d’attaquer aujourd’hui notre pays. »
Car le chef de l’Etat a invoqué « le principe de la légitime défense » pour justifier les frappes ! Légitime défense contre qui ? Expédition punitive contre les commanditaires de l’attentat mené par les frères Kouachi ? On se demande si tout cela est sérieux. Valls, de son côté, un peu effacé depuis que Hollande est redevenu chef de guerre, menace la Russie, dont le soutien au régime d’Assad alimenterait « la spirale de la violence ».
Roland Dumas avait raison, la France a perdu de vue ses intérêts, sa cohérence, son prestige, et surtout, elle est en train de perdre non pas le nord, mais le Moyen-Orient tout entier.
Chaque matin, les Français qui ont la chance de partir au travail scrutent le ciel, attendant avec anxiété l’arrivée des escadrilles de Daech.
Les origines de la déstabilisation syrienne par Roland Dumas sur Radio Courtoisie, le 24 septembre 2013 :