En avril 2015, Jean-Yves Le Drian évinçait l’historien spécialiste de l’Afrique Bernard Lugan de Saint-Cyr Coëtquidan, où il participait à la formation des futures élites de l’armée française. Les raisons de cette décision ? Les analyses, percutantes mais jugées politiquement incorrectes, de l’historien ainsi que ses accointances jamais cachées avec une partie de la droite nationale française.
Rédhibitoire pour le ministre de la Défense de François Hollande, même si cet universitaire compte parmi les africanistes les plus reconnus, notamment à l’international, en raison de pertinence de ses analyses sur les crises africaines.
L’invasion migratoire que connait l’Europe aujourd’hui en est un bon exemple. La situation actuelle en Europe et en Afrique du Nord , avec ces milliers de clandestins en provenance d’Afrique qui passent quotidiennement par la Libye, n’aurait pas existé en effet si le régime de Kadhafi n’avait pas été détruit par la coalition internationale menée par la France – Nicolas Sarkozy étant président, Alain Juppé ministre des Affaires étrangères, sans oublier le Parti socialiste qui, à l’exception de 7 députés, avait voté pour l’intervention.
Bernard Lugan avait exposé dès 2011 les conséquences de l’intervention en Libye
Bernard Lugan avait d’ailleurs publié dès janvier 2011, puis en août 2011, soit trois mois avant la mort du colonel Kadhafi, une mise en garde sévère contre les conséquences de cette intervention en Libye et de cette déstabilisation d’une région que la France atlantiste ne maitrisait visiblement plus du tout. « L’épicentre de la “révolution” fut la région de Benghazi qui avait des comptes à régler avec le régime depuis la féroce répression d’un précédent soulèvement islamiste. Cette Cyrénaïque dissidente à l’époque ottomane, rebelle durant l’Impero italien et insoumise depuis les années 1990, présente plusieurs originalités : elle est le fief des partisans de l’ancienne monarchie islamo-senoussiste, le phénomène jihadiste y est fortement ancré et la contestation y a reçu le renfort des mafias locales dont les ressources étaient coupées depuis plusieurs mois à la suite de l’accord italo-libyen concernant la lutte contre les filières de l’immigration africaine clandestine », expliquait t-il avant de dénoncer : « Toujours à la différence de la Tunisie et de l’Egypte, et cela a constamment été caché à l’opinion française afin de ne pas écorner l’image “positive” des insurgés, ce soulèvement fut extrêmement violent. Il fut en effet, dans certaines villes tombées aux mains des rebelles, accompagné de la mise à mort d’une manière cruelle et rappelant les méthodes des islamistes algériens, des partisans du régime et parfois même des membres de leurs familles », et de conclure : « Ce fut donc dans une atroce guerre civile que la France s’immisça pour des raisons officiellement éthiques. Sans son intervention, le colonel Kadhafi aurait repris le contrôle de la situation. »
Alors qu’actuellement, on nous explique que les milliers de réfugiés fuient l’instabilité, la pauvreté, la guerre dans leur pays, Bernard Lugan rappelait en 2011 : « Avant les “évènements”, la Libye était le pays d’Afrique le plus développé et le chômage des jeunes qui fut un des leviers des évènements tunisiens y était inexistant. »
Mais il posait déjà des questions qui trouvent aujourd’hui leurs réponses, et que jamais les dirigeants français de l’époque ainsi que leurs successeurs ne se sont posées : « Comment s’organisera la Libye de demain ? Là est en effet toute la question. La Tripolitaine et la Cyrénaïque se combattront-elles, partageront-elles le pouvoir ou bien l’une l’emportera t-elle sur l’autre ? Comment va réagir la minorité berbère quand elle constatera qu’elle aura une fois de plus été flouée ? Avant de se lancer dans cette guerre les autorités françaises ont-elles pris en compte l’hypothèse de l’apparition de guerres tribales et claniques, comme en Somalie ? Ont-elles bien évalué le risque islamiste, éventualité qui ouvrirait un espace inespéré pour Aqmi qui prospère déjà plus au sud dans la région du Sahel ? »