Un nouveau livre américain allègue que les bureaux du président Bill Clinton furent mis sous écoute électronique, au profit du gouvernement israélien du premier ministre Benjamin Netanyahou.
Le livre dévoile aussi comment le premier ministre israélien a pu se servir d’enregistrements de conversations de Bill Clinton reliées à son scandale sexuel dans les années 90 pour le persuader de libérer un espion israélien arrêté en 1985 et condamné pour espionnage aux Etats-Unis, Jonathan Pollard. En fait, tout indique que de telles activités israéliennes de renseignement sont monnaie courante aux États-Unis (et sans doute dans d’autres pays).
Peut-on supposer que le fait qu’un président américain (et d’autres ministres du gouvernement américain) soient placés sous surveillance électronique et soumis à un possible chantage de la part d’un pays étranger ne sera guère prisé par l’Américain moyen, si cela allait être davantage connu. À cela s’ajoute la découverte récente que la CIA, laquelle opère en étroite conjonction avec le Mossad israélien, a espionné les sénateurs américains, en violation des lois et de la constitution américaines.
Tout cela nous amène à regarder de plus près certaines décisions cruciales prises par l’administration Clinton, il y a une quinzaine d’années, parce que les conséquences de ces décisions sont toujours présentes avec nous aujourd’hui.
En effet, il y a trois grandes crises qui ont cours présentement et dont on peut retracer l’origine jusqu’au gouvernement américain de Bill Clinton (1992-2000), surtout celles prises durant le second mandat de Clinton (1996-2000). Les gens ont tendance à oublier de telles questions préférant se concentrer uniquement sur l’actualité courante. Cependant, il arrive souvent que ce qui se passe sous nos yeux aujourd’hui a pris des années à se préparer, et éclôt longtemps après que les initiateurs ont quitté la scène politique. En réalité, ce que le gouvernement de George W. Bush a fait et ce que celui de Barack Obama fait présentement n’est que la suite de politiques que l’administration de Bill Clinton a mises de l’avant.
Quelles sont donc ces trois crises dont nous pouvons retracer les origines à partir de décisions cruciales, prises par le gouvernement de Bill Clinton, à la fin des années 90 ?
1- Premièrement, il y a le précédent de Kosovo invoqué par Clinton pour lancer les États Unis en guerre contre la Serbie, en invoquant des raisons humanitaires.
On peut dire que le chaos qui découle des nombreuses guerres qui ont cours aujourd’hui à travers le monde, en violation directe de la Charte des Nations Unies, est dû en grande partie au précédent de Kosovo mis de l’avant par Bill Clinton.
Le Préambule proclame solennellement le principal objectif de la Charte des Nations Unies de 1945 : « Nous, peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre … » et à cette fin « qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l’intérêt commun… »
Comme l’actuel Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-Moon l’a bien rappelé au monde l’année dernière, si on s’en remet à la Charte des Nations Unies, adoptée par tous les pays membres, "l’utilisation de la force est légal seulement si elle est faite dans un cas de légitime défense [contre une attaque armée] ou avec une autorisation [officielle] du Conseil de sécurité de l’ONU".
C’est ce que dit le droit international, et la Charte des Nations Unies est la base même du droit international.
En effet, le chapitre VII de la Charte des Nations Unies interdit formellement toute guerre qui n’est pas entreprise pour maintenir ou rétablir la paix internationale (article 42) ou qui n’est pas faite dans un cas de légitime défense, soit individuelle, soit collective (article 51). Il n’y a pas d’exceptions pour les « guerres préventives », les « soi-disant guerres humanitaires » ou tout autre type de guerre d’agression.
Néanmoins, en 1998 et en 1999, le gouvernement démocrate de Bill Clinton décida unilatéralement de s’impliquer dans la guerre du Kosovo, alors en cours en Yougoslavie, et cela sans un mandat explicite du Conseil de sécurité de l’ONU, remplaçant pour la première fois la stricte légalité par l’argument arbitraire et extra judiciaire d’une légitimité politique pour des raisons « humanitaires » et pour la sauvegarde des « droits humains ».
Cela fut fait sans même une résolution d’autorisation de la part du Congrès américain, le gouvernement Clinton jugeant qu’un recours à l’OTAN suffisait pour justifier l’intervention militaire. (Dans ce cas, il s’est agi d’opérations aériennes de l’OTAN.) La guerre du Kosovo a été décrite comme « la première guerre fondée sur des valeurs » et elle a ouvert la boîte de Pandore des guerres facultatives, en opposition au cadre juridique international de la Charte des Nations Unies.
Depuis le précédent du Kosovo qui avalise l’intervention militaire unilatérale pour des motifs humanitaires, ce genre de guerre d’agression est devenue bien plus une question politique qu’une question légale, les grands pays pouvant intervenir militairement selon leur propre vision de ce qui est de leurs « intérêts nationaux ». En d’autres termes, le monde est revenu à l’époque d’avant 1945, soit avant la création de l’Organisation des Nations Unies, lorsque les pays impériaux pouvaient se lancer en guerre quand ils estimaient qu’il y allait de leur intérêt national de le faire.
La décision du gouvernement de Bill Clinton de soustraire les États Unis de la Charte des Nations Unies au profit de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) marque le début d’une marginalisation des Nations Unies en tant que cadre juridique pour empêcher les guerres. Aujourd’hui, le monde est moins sécuritaire depuis que les Nations Unies ont de facto été mis à l’écart eu égard à leur mission fondamentale de prévenir et d’empêcher les guerres.
2- En deuxième lieu, considérons l’abrogation de la loi américaine dite « Glass-Steagall », en 1999, par le gouvernement Clinton.
Dans les années 90, en effet, les plus grandes banques américaines lancèrent, au coût de 300 millions de dollars, une campagne publique afin de faire abroger la loi bancaire dite Glass-Steagall, en place depuis la Grande Dépression des années 30. Cette importante loi, laquelle datait de 1933, servait de rempart contre la spéculation financière, en empêchant les grandes banques de spéculer avec l’argent des dépôts bancaires assurés par l’État. Plus précisément, elle rendait illégale toute amalgamation entre des banques d’affaires spécialisées dans les souscriptions risquées de valeurs mobilières et des banques commerciales habilitées à recevoir du public des dépôts assurés.
C’était, cependant, sans compter sur l’influence de grands banquiers, dont certains occupaient des postes stratégiques dans l’administration de Bill Clinton, tel Robert Rubin, ministre des finances (1995-1999) et un ancien co-président (1990-1992) de la grande banque d’affaires américaine Goldman Sachs. Ceux-ci prétendaient que les choses avaient beaucoup changé depuis la Grande Dépression et que les limites imposées par la loi Glass-Steagall sur leurs activités bancaires les empêchaient de créer et de vendre aux investisseurs de nouveaux produits bancaires, non seulement aux États-Unis mais partout dans le monde, et que cela nuisait à leur compétitivité à l’échelle internationale.
Au début, le gouvernement Clinton se montra réfractaire à l’idée de mettre la hache dans une loi qui avait empêché un retour aux abus bancaires d’avant la Grande Dépression et qui avait si bien servi l’économie américaine pendant si longtemps. Cependant, d’énormes pressions politiques s’exercèrent sur le gouvernement américain du temps, venant tant de l’intérieur que de l’extérieur du gouvernement, de sorte que le président Bill Clinton opposa finalement sa signature, le 12 novembre 1999, afin de modifier la loi Glass-Steagall. Il le fit en ratifiant une nouvelle loi bancaire américaine, baptisée « loi Gramm-Leach Bliley », des noms du président de la commission bancaire sénatoriale Phil Gramm (R-Texas), du président du Comité bancaire de la Chambre des Représentants James Leach (R-Iowa), et du Représentant Thomas Bliley (R) de la Virginie.
La nouvelle législation bancaire américaine permettait aux banques commerciales, aux banques d’affaires, aux sociétés de valeurs mobilières et aux compagnies d’assurance de se fusionner, mais sans accorder à l’organisme de réglementation, la Security and Exchange Commission (SEC), ou à tout autre organisme de réglementation financière d’ailleurs, le pouvoir de réglementer les nouveaux conglomérats bancaires.
Les super grandes banques et les grandes sociétés d’assurance ne perdirent guère de temps à tirer profit de la nouvelle dérèglementation. Des « chaînes financières à la Ponzi » apparurent, comme elles étaient apparues dans le passé, et comme on était en droit de s’attendre qu’elles réapparaissent.
C’est ainsi que les nouveaux géants bancaires « innovèrent » avec de nouveaux produits financiers dits « dérivés », lesquels se sont avérés être très toxiques et sont devenus une cause sous jacente importante de la crise financière des « subprimes » de 2007-09.
Ce que nous savons, par ailleurs, c’est que la crise financière de 2007-2008 a entraîné des pertes de revenu et de patrimoine qui se sont chiffrés dans les billions de dollars pour les familles américaines, et elle a forcé le gouvernement américain à subventionner à coup de centaines de milliards de dollars les super grandes banques, afin de les empêcher de faire faillite. Il en ait résulté un énorme transfert de richesse de la population en général vers le secteur bancaire, en plus d’affaiblir l’économie américaine pour des années à venir.
3- Troisièmement, il y eut la résiliation par le gouvernement de Bill Clinton de la promesse faite par le gouvernement américain précédent au Premier ministre russe Gorbachev de ne pas agrandir l’OTAN vers l’Est.
Comme la citation du ministre des Affaires étrangères allemand Genscher au début de ce texte l’indique, il est largement admis qu’après la dissolution du Pacte de Varsovie, (l’alliance militaire de Europe de l’Est), au début des années 90, et après la réunification allemande, il était bien entendu, à tout le moins en termes d’engagements implicites, que l’OTAN ne tirerait pas avantage de la situation pour encercler militairement la Russie en s’agrandissant vers Europe de l’Est. Lors d’une rencontre, le 10 Février 1990, entre le secrétaire d’Etat américain James Baker dans l’administration de George H. Bush et le ministre allemand des Affaires étrangères Genscher, par exemple, les deux hommes s’étaient mis d’accord pour qu’il n’y ait pas d’expansion de l’OTAN vers l’Est.
C’était bien l’impression que semblait avoir M. Mikhaïl Gorbatchev, le président de l’URSS du temps, quand il affirma qu’il avait reçue l’assurance que l’OTAN n’allait point s’élargir "d’un pouce vers l’Est" De même, l’ambassadeur américain à Moscou à cette époque, M. Jack Matlock, a déjà confirmé publiquement que Moscou avait reçu un "engagement clair" à cet effet. Par conséquent, l’erreur de Gorbatchev fut peut-être d’avoir pris au pied de la lettre la parole des politiciens occidentaux, au lieu d’exiger un accord plus formel.
Quoiqu’il en soit, les engagements de ne point élargir l’OTAN vers l’Est en absorbant les anciens membres du Pacte de Varsovie tinrent pendant quelques années, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’un président Bill Clinton déclare en pleine campagne électorale, le 22 octobre 1996, qu’il souhaitait voir l’OTAN s’élargir vers l’Est européen et accueillir la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie dans son sein.
Par conséquent, c’est bien un Bill Clinton qui y voyait un avantage électoral personnel de promettre, lors des élections présidentielles américaines de 1996, de passer outre à la promesse faite par son prédécesseur de ne point élargir l’OTAN vers l’Est. On connaît la suite. L’OTAN fut par après transformée d’une alliance militaire essentiellement défensive en une alliance militaire offensive, sous contrôle américain. Et l’expansion de l’OTAN ne s’est pas arrêtée à la Pologne, à la Hongrie et à la Tchécoslovaquie, mais elle a aussi englobé des pays comme l’Albanie, la Bulgarie, la Croatie, la Lettonie et la Slovénie, entre autres, poussant ainsi son infrastructure militaire jusqu’à la frontière de la Russie. Les récentes tentatives pour faire en sorte que même l’Ukraine fasse partie de l’OTAN ne sont que la continuation d’une politique agressive d’expansion de l’OTAN et d’isoler la Russie, initialement mise de l’avant par le gouvernement de Bill Clinton, à la fin des années 90.
C’est donc Bill Clinton, sans doute sous l’influence des néo-conservateurs américains, qui mit un terme à l’espoir que plusieurs entretenaient de voir les pays occidentaux profiter d’un « dividende de la paix », suite à la fin de la Guerre froide et la disparition de la menace soviétique.
Conclusion
Le désordre planétaire en ce début mouvementé du 21ème siècle, la crise financière de 2007-2008 qui a dévasté tellement de personnes, et le retour inattendu de l’ancienne Guerre froide avec la Russie, sont trois crises majeures dont l’origine remonte aux décisions à courte vue prises par le gouvernement de Bill Clinton dans les années 90.
Les gouvernements américains plutôt médiocres de George W. Bush et de Barack H. Obama n’ont fait que pousser plus avant, en les empirant, des politiques désastreuses initialement mises de l’avant par l’administration de Bill Clinton. C’est donc une réalité dont les historiens de l’avenir devront tenir compte s’ils veulent comprendre le fil des événements qui ont conduit au chaos actuel.