Dès que la guerre s’est interrompue, Abu Abdel Rahman (un nom d’emprunt), combattant de 26 ans des Brigades Izz ad-Din Al-Qassam, a quitté les tunnels où il avait dirigé des opérations contre les forces israéliennes.
Revenu à sa vie normale, il partage son temps entre le travail dans la force de police palestinienne, les études et sa famille. La guerre, cependant, n’a pas quitté Rahman. « Depuis la fin de la guerre, je suis infesté de cauchemars. Je rêve qu’ils [les Israéliens] ont ouvert le tunnel et nous ont trouvés à l’intérieur, et qu’ils nous tuent tous » raconte-t-il à Al-Monitor.
Pouvoir se poser un moment avec Rahman (photo ci-dessus en tenue camouflée)n’est pas chose aisée. Il observe tout autour de lui, notant chaque mouvement, et il reste silencieux dès qu’un étranger s’approche. « Je ne veux pas [laisser n’importe qui] identifier le son de ma voix » dit-il. Avant de prendre un siège, Rahman enlève tous ses appareils électroniques et les laisse à une distance d’où ensuite il pourra souffler un peu.
Rahman a livré un certain nombre de détails au sujet de la guerre. « Nous pouvions faire sauter six véhicules militaires depuis l’intérieur d’un tunnel qui était seulement de 70 centimètres de large et de 140 centimètres de hauteur. Chaque bombe plantée dans la terre était numérotée. Quand un véhicule militaire s’arrêtait au-dessus de la bombe, nous la faisions exploser en nous basant sur son numéro. S’il était au-dessus de la bombe n° 1, le fil relié à la bombe était lui-même identifié par le même nombre. Si le véhicule était au-dessus de la bombe n°2, il était relié par le fil n°2 » dit-il pour expliquer comment les combattants savaient quel détonateur était appareillé avec quelle bombe.
« Un des mujahedeen sortait sa tête en se camouflant hors du tunnel pour observer l’emplacement des véhicules. Quand un véhicule était au-dessus d’une bombe, nous la faisions alors exploser. À ce moment-là, nous lancions des cris de « Dieu est grand » à l’intérieur du tunnel, lequel faisait des dizaines de mètres sous la terre » poursuit-il.
Rahman continue à noter ses souvenirs de temps de guerre dans un petit carnet. Il s’est rappelé par exemple comment lui et un autre mujahedeen ont partagé le peu de nourriture et d’eau dont ils disposaient. Il s’est également rappelé comment ils ont prié assis sur leurs genoux. Sa tête est encombrée de tant de souvenirs qu’il lui est difficile de reprendre une routine quotidienne comme si la guerre ne s’était jamais produite. Il est quelque fois distrait parce qu’il est soudain rattrapé par certains moments de la guerre, ne prêtant pas toujours attention à ce qui est autour de lui.
Rahman suit les cours du Centre National D’enseignement à distance de l’Université Al Quds, où il n’est qu’un autre étudiant parmi d’autres discutant de son domaine d’études, les sciences économiques, avec ses collègues et professeurs. Aucun d’eux ne sait qu’il est un membre de la résistance. C’est le cas également quand Rahman descend la rue et rencontre par hasard des personnes qu’il connait. Aucune d’entre elles ne sait qu’il est quelqu’un qui a miraculeusement survécu à la guerre, et qu’il est même resté emprisonné pendant cinq jours avec 14 autres combattants dans un tunnel qui avait été bombardé par des avions de guerre.
« Si nous pouvions retourner à ces jours où nous avons si violemment combattu, je voudrait alors avoir pu empêcher l’ennemi de pénétrer la Bande de Gaza. Je pense à mon ami Abu Ahmed qui est resté seul emprisonné à l’intérieur du tunnel après que ce dernier ait été bombardé. Nous ne pouvions pas le sauver, et beaucoup e temps a passé avant qu’il ne meure... Je suis fier de ce que nous avons fait pendant la guerre, mais quand je vois mes compatriotes [les autres Palestiniens] je n’éprouve rien sinon de l’humilité » dit Rahman.
Cependant, en dépit de la fierté qu’il éprouve, Rahman ne veut plus de guerre. « Je ne souhaite absolument pas que ces jours reviennent. Je suis constamment inquiet pour ma famille. Je crains que [les Israéliens] ne découvrent mon identité et ne bombarde ma maison. » Rahman considère que sa vie suit en même temps deux chemins côte à côte : d’un côté sa vie de tous les jours, ses études et sa famille, et de l’autre la mort et la résistance à l’occupation. « Le deuxième chemin existera tant que l’ennemi sera là » dit-il.
L’épouse de Rahman semble être constamment inquiète, comme si son bonheur pouvait n’être que provisoire, seulement possible en période de tranquillité. Parlant de sa femme, Rahman nous dit « J’essaye toujours de faire tout mon possible pour elle et de passer autant d’heures que possible avec elle et mon fils. »
Rahman a rejoint les Brigades Al-Qassam alors qu’il était encore très jeune, après avoir été influencé à la mosquée qui est à côté de sa maison. Il n’a participé à des combats que dans la dernière guerre, précisant que lors de la guerre de novembre 2012 il n’y avait pas eu d’invasion au sol. Pendant la guerre de 2014, Rahman a supervisé et déclenché des opérations militaires depuis l’intérieur d’un tunnel. Il s’est extrait du tunnel à moitié détruit vers la fin de la guerre.
« Après que les forces d’occupation aient bombardé une nouvelle fois le tunnel avec des fusées contenant un gaz mortel, quatre d’entre nous sont restés emprisonnés à cause du sable qui s’était effondré. Nous avons pu entrer en communication avec nos supérieurs en utilisant un réseau souterrain réservé, et ils nous ont commandé de tous évacuer. Ils nous couvriraient par des tirs d’obus de mortier déclenchés d’un emplacement différent. Dix d’entre nous ont pu s’échapper en courant. Nous nous attendions à être touchés par des tirs à tout moment mais nous pu rejoindre un secteur plus sûr. Dès que la trêve est entrée en vigueur deux jours plus tard, nous avons pu sauver les quatre [combattants] qui étaient restés bloqués. »
De temps en temps, les Brigades Al-Qassam demandent à Rahman de prendre position à la frontière orientale de Gaza avec Israël en vue d’une toujours possible aggravation de la situation. En rencontrant alors d’autres combattants et en discutant avec eux, Rahman a découvert que ceux-ci étaient également poursuivis par des cauchemars dus à la guerre.