En ce début de XXIème siècle, les cartes apparaissent redistribuées : les notions de gauche et de droite, utilisées abstraitement, veulent dire tout et son contraire. L’étude monumentale d’Alain de Benoist, Vu de droite , a montré l’extrême diversité des droites et des gauches. Quoi qu’il en soit, au moment où nombre de jeunes voudraient toujours „être de gauche“, on peut proposer la lecture d’une philosophe qui a vu les écueils à venir de la lutte des petits : il s’agit de Simone Weil. Maurice Bardèche, lors de l’émission „Apostrophes“ du 3 avril 1987 animée par Bernard Pivot, conseillait au jeune Bernard Henri Levy auteur de L’éloge des intellectuels la lecture d’une philosophe : Simone Weil et s’empressait d’ajouter qu’il ne fallait pas la confondre avec „la grosse dame qui préside“, la femme politique célèbre pour sa loi sur l’avortement. Simone Weil, la normalienne, la „vierge rouge“ comme disait Bardèche, a dénoncé une des premières les dérives de l’URSS et l’incapacité des Trotsky et Lénine à tenir leurs promesses. On conseille donc au jeune militant gauchiste la lecture d’un livre comme Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, livre d’une femme brillante, engagée dans le syndicalisme, d’une intellectuelle devenue ouvrière : en usine chez Renault et dans le milieu agricole.
Elle soutient la thèse, dans ce petit ouvrage très accessible, que le travail manuel doit être bel et bien mis au centre de la société sachant que l’économie atlantiste comme soviétique n’ont aucunement appliqué cette maxime. La mise au centre de la production en URSS comme ailleurs, c’est le règne de la marchandise, donc des choses et non de l’homme. Pour que l’homme s’épanouisse, il faut qu’il concilie travail et liberté. Selon Simone Weil, le rêve de l’oisiveté totale, qu’il trouve ou non sa source dans la représentation fantasmée d’un âge d’or, est une utopie : si cette liberté a existé, elle n’est en rien à copier : „la seule liberté qu’on puisse attribuer à l’âge d’or, c’est celle dont jouiraient les petits enfants si les parents ne leur imposaient pas des règles : elle n’est en réalité qu’une soumission inconditionnée au caprice.“ La philosophe préfère une „liberté héroïque“ qui serait obtenue par la lutte et qui donc se conjugue avec la „faculté d’agir“ et cela vaut individuellement comme collectivement : „il n’y a pas de maîtrise de soi sans discipline, et il n’y a pas d’autre source de discipline pour l’homme que l’effort demandé par les obstacles extérieurs.“ L’histoire des hommes marquée par cette nécessaire maîtrise de la terre est entachée de la volonté d’asservir autrui, ce qui a engendré la mise en servage et au travail forcé en général. Simone Weil, pour briser les chaînes de l’humanité, prône un travail manuel donc mais fondé sur la maîtrise rationnelle par les ouvriers de la technique : „la technique devrait être de nature à mettre perpétuellement à l’œuvre la réflexion méthodique ; l’analogie entre les techniques des différents travaux devrait être assez étroite et la culture technique assez étendue pour que chaque travailleur se fasse une idée nette de toutes les spécialités.“ Elle souhaite retrouver l’esprit de l’artisan menacé déjà par le travail à la chaîne abrutissant. Ainsi, „les privilèges fondés sur l’échange des produits, les secrets de la production ou la coordination des travaux se trouveraient automatiquement abolis“.
Voilà de quoi donc fournir de la réflexion à celui qui se réclame de „la gauche“, sur le plan du travail dirons-nous. Par ailleurs, Simone Weil ne souhaite pas la rupture avec les traditions car selon la société à laquelle elle aspire, „chacun verrait en chaque compagnon de travail un autre soi-même placé à un autre poste, et l’aimerait comme le veut la doctrine évangélique.“ Cet ancrage chrétien, „à droite“ donc quant aux valeurs, est à voir comme un appel au pacte entre l’homme et son milieu, l’univers. À propos de la culture, à laquelle elle refuse le statut de fin en soi, S.Weil écrit : „sa valeur véritable consisterait au contraire à préparer à la vie réelle, à armer l’homme pour qu’il puisse entretenir, avec cet univers qui est son partage, [...] des rapports dignes de la grandeur humaine.“ Concilier christianisme et marxisme, comme l’actuel président Chavez, c’est une position que l’étudiant révolté se doit de considérer sous peine de tomber dans l’incohérence évidente des „révolutionnaires“ institutionnels.
Amfortas