Les élections départementales qui viennent de se dérouler en France ont confirmé l’incrustation de dynamiques lourdes dans le paysage électoral francais.
Le Front national est le premier parti de France
Tour d’abord, et contrairement à ce qui a été martelé par les medias nationaux désormais aussi piètres mathématiciens qu’ils sont de mauvaise foi, le Front national confirme et ancre son statut de premier parti politique du pays. En effet, les résultats ont été annoncés par binôme composé d’une femme et d’un homme parfois pas issu d’un même parti ce qui a rendu illisible les résultats et permis aux medias de présenter les résultats par bloc et non par partis. Pourtant le ministère de l’Intérieur a publié des estimations des résultats par partis mais également par voix qui confirment que le FN est largement en tête devant l’union de la droite, le PS ou encore l’UMP.
Le pays vire à droite
Ensuite, le pays qui vote est très majoritairement à droite, puisque 61% des électeurs ont choisi un candidat se situant à droite sur l’échiquier politique contre 39% des électeurs ayant voté à gauche, incluant le Modem et l’Union du centre. La droitisation électorale du pays va sans doute s’accentuer au cours des prochaines années, boostée par le mauvais climat économique, les incertitudes liées à l’Europe et l’euro, mais aussi et surtout par le vieillissement du corps électoral qui devrait tendre à devenir plus conservateur.
La fin du Front républicain
Sans surprises, les partis de droite français sont également de plus en plus sous pression de leur électorat qui est tout à fait près à sauter le pas de l’alliance avec le FN, tandis que la direction des partis y est hostile. Ce processus devrait entraîner la disparition du « Front républicain », subterfuge utilisé pour endiguer le FN durant les deux dernières décennies. Très symboliquement, si la gauche avait fortement appelé à faire barrage au Front national, la droite a joué de nouveau la politique du « ni — ni » au second tour, comme elle le fit déjà lors des élections cantonales de 2011 ou de la présidentielle de 2012. Les gains électoraux du FN entre les deux tours laissent penser que nombre d’électeurs de droite, mais aussi d’abstentionnistes, se sont cependant reportés sur le FN pour leur vote du second tour.
La France face à une crise de la représentativité ?
Le Front national arrive en tête dans 43 départements sur 98, est vainqueur dès le premier tour dans quatre cantons, et est présent au second tour dans la moitié des cantons, prouvant que son implantation au niveau local, qui lui a toujours fait défaut, semble cette fois en passe de réussir. Lors du second tour cependant, il n’arrive à gagner aucun département même si son score national frôle les 40% (dans les cantons où il était présent au second tour) et qu’il arrive à faire élire au total 62 conseillers dans 2.054 cantons. Pour autant, le parti met le doigt sur une bizarrerie du système politique et de représentativité, puisqu’un parti politique arrivant en première position au premier tour avec un électeur sur quatre, obtenant près de 40% (comme c’est le cas dans le nord) n’obtient aucune représentativité conséquente. Pour le Front national, une question va désormais se poser pour prendre le pouvoir en France : celle des nécessaires alliances.
Crise des valeurs et importance de la géopolitique
La victoire des blocs de droite et nationalistes ne doit pas masquer les terribles dissensions qui existent au sein de tous les blocs politiques sur le plan sociétal au niveau intérieur et géopolitique au niveau extérieur. À gauche tout d’abord, la frange gauche s’effondre (surtout au sein de la mouvance écologiste) tandis que le Front de gauche de Jean Luc Mélenchon, qui a totalisé 4,8% des voix seul mais 9,4% en alliance avec le parti communiste, a lui lourdement fissuré la position d’une partie de la gauche notamment sur la géopolitique. Ses prises de positions étaient en effet totalement opposées à la ligne régnante au sein d’un Parti socialiste fortement dominé par un courant libertaire pro-américain mais sécuritaire. Au centre et à droite, la fissure est encore plus forte que ce soit sur le plan intérieur (mariage pour tous) ou extérieur avec notamment le repositionnement de la France par rapport à l’Europe de Bruxelles et sur le plan international. À ce titre, les courants gaullistes-conservateurs et centristes-atlantistes sont dans une opposition de plus en plus en complète et on imagine mal comment le bloc de droite pourrait rester uni. Au sein du Front national, de fortes oppositions existent également entre un axe social-républicain actuellement dominant et un axe droitiste-patriote : le point de friction fort concerne les valeurs sociétales et notamment le mariage pour tous.
Le tripartisme avant une nouvelle bipolarisation politique ?
L’implantation croissante du Front national pourrait détruire le système politique bipolaire tel que nous le connaissons depuis mai-68, et le transformer en un système tripartite assez original. La France pourrait faire jurisprudence et le tripartisme pourrait se systématiser au sein des nations européennes avec l’émergence de partis politiques patriotiques, conservateurs ou eurosceptiques. La crise des partis politiques et l’absence de « projet » des élites politiques françaises pourrait peu à peu dissoudre les frontières politiques telles que nous la connaissons, pour voir de nouveaux blocs et de nouvelles alliances émerger. Ces alliances devraient vraisemblablement se baser sur des référents sociétaux et géostratégiques. Il y a une cohérence à cela puisque les nations européennes, France en tête, sont en recherche d’un nouveau modèle global, tant intérieur qu’extérieur.
Sur le plan intérieur, on peut imaginer une future opposition entre des tendances conservatrices sociales (confortées par le double effet du poids croissant de l’électorat musulman conservateur et du vieillissement général de la population) et un courant libertaire mais malgré tout sécuritaire.
Sur le plan extérieur, deux grands courants semblent également apparaître et voués à s’opposer. Le premier est l’atlantisme, qui traverse tant la gauche socialiste que la droite et le centre, ancrant la France dans le socle civilisationnel et historique occidental et américain. Un second courant tout aussi transpartis, plutôt d’obédience gaulliste, touche lui tant la droite que la gauche ou le Front national, et envisage une politique extérieure plus équilibrée et est plus ou moins méfiante, voire hostile, à la monnaie unique et à la construction européenne.
Les enjeux sociétaux et stratégiques seront, sans aucun doute, au cœur de la présidentielle de 2017.