Lors des conférences que j’ai données en Iran, début juin, sur les origines de l’État islamique, des questions m’ont été posées pour savoir si je pensais que les négociations sur le programme nucléaire iranien aboutiraient à un accord, s’il serait vraiment respecté par les États-Unis, et pourquoi la France – par la voix de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères – montrait tant d’arrogance.
J’ai répondu qu’accord ou pas accord, l’objectif final des administrations américaines était de renverser le régime au pouvoir en Iran, et de partitionner le pays. Dans cette perspective, un accord n’était qu’une pause tactique – toujours bonne à prendre – permettant à Barack Obama d’achever son mandat en beauté. Certes, la levée des sanctions seraient une victoire pour l’Iran, mais qu’il ne fallait pas en attendre beaucoup économiquement parlant, sinon on courrait à la désillusion.
En Israël : plus de 200 têtes nucléaires non déclarées
Prudent, Ali Khameneï – Guide suprême de la révolution islamique – a fixé une « ligne rouge », notamment en refusant que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) – couverture utilisée par la CIA, le Mossad et le MI6 pour leurs noirs desseins, comme on l’a vu en Irak du temps de Saddam Hussein – inspectent les sites militaires iraniens. Le général Massoud Jazayeri – porte-parole de l’état-major des forces armées – a précisé qu’aucune visite ne serait autorisée : « qu’elle soit limitée et contrôlée (...) et quelle que soit sa forme », une précaution nécessaire car plusieurs scientifiques iraniens, ciblés par le Mossad, ont été assassinés par le Kidon, son service action.
Bien que l’imam Ali Khameneï ait déclaré que l’arme nucléaire est « illicite » au regard de l’islam (cf. la vidéo ci-dessous – sous-titrée en français), les occidentaux et Israël accusent l’Iran de chercher à fabriquer une bombe atomique en secret. Est-il besoin de rappeler, ici, qu’Israël possède plus de 300 bombes atomiques non déclarées à l’AIEA – selon l’ancien président Jimmy Carter – et n’accepte pas d’inspection de sa centrale nucléaire de Dimona ? Mordechaï Vanunu, ingénieur israélien d’origine marocaine, a révélé l’étendue du programme israélien… dès 1986. Il a passé, pour cette raison, 18 ans en prison, est interdit de sortie de l’État dit hébreu et n’a toujours pas le droit de s’entretenir avec des journalistes étrangers. Aucun des pays membres du groupe P5+1 (États-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie, Chine et Allemagne) n’accepterait, non plus, que des Iraniens visitent leurs infrastructures de défense.
Iran, un avenir plein de menaces
Les pourparlers actuels achoppent, dit-on, sur la levée de l’embargo sur les armes. En vérité, ce serait plutôt sur la volonté des occidentaux de maintenir disponible la structure bureaucratique onusienne leur permettant d’imposer plus tard de nouvelles sanctions.
Début juin, la date-butoir était fixée à la fin du mois. Depuis, elle a été repoussée au 7 juillet dernier, puis… aux calandres grecques. Résultat : le Sénat américain aura 60 jours – au lieu de 30 – pour étudier le futur l’accord. Que se passera-t-il si les Républicains et des Démocrates, majoritaires, refusent de l’avaliser ? Obama ne veut pas être humilié. C’est sans doute la raison pour laquelle John Kerry fait traîner les discussions et donne, à mon avis, l’impression qu’il veut les enterrer.
Que se passera-t-il aussi dans deux ans si la politique proche-orientale du prochain président États-Unis – ou présidente – est de nouveau dictée par les pétroliers, le complexe militaro-industriel et l’AIPAC, le puissant lobby pro-israélien ? Le multimilliardaire juif Sheldon Adelson a proposé aux candidats en lice pour les primaires du parti Républicain – à qui il fait passer un examen de passage – de soutenir à bourse déliée celui qui, clairement, s’engagera à bombarder l’Iran. Quant à Hillary Clinton, la « démocrate » soutenue par le milliardaire George Soros, elle a déclaré début juillet dans le New Hampshire qu’ « elle présidente » mettrait les Gardiens de la révolution iranienne sur la liste des organisations terroristes, qu’elle était prête à bombarder l’Iran « sponsors en chef du terrorisme mondial », voire « d’oblitérer totalement » le pays, s’il lançait une attaque contre Israël. En d’autres termes : de l’effacer de la carte… Cela promet !
Fabius dans le rôle du « méchant flic »
Les Iraniens m’ont également demandé comment j’expliquais la position de la France et l’agressivité de Laurent Fabius, tant lors des pourparlers de Vienne sur le nucléaire qu’à l’égard de la guerre civile en Syrie.
J’ai rappelé que la France – surnommée par l’imam Khomeiny le « petit Satan » – était à l’origine de l’introduction du nucléaire au Proche-Orient. Elle avait aidé Israël à construire Dimona, proposé au Chah d’Iran cinq centrales nucléaires et la fourniture d’uranium enrichi et vendu à Saddam Hussein le réacteur Osirak, détruit par les Israéliens en 1981.
J’ai dit que le lobby pro-israélien n’est pas seulement puissant aux États-Unis ; que François Hollande et Benyamin Netanyahou entretiennent d’excellentes relations ; qu’en Syrie et à Vienne, la France et les États-Unis s’étaient sans doute partagé les rôles de « gentils » et de « méchants », comme dans les films hollywoodiens du genre « good cop / bad cop ». Le scénario était, selon moi, bien réglé, l’objectif étant – à moyen ou long terme – de renverser le régime au pouvoir en Iran. C’est ce qui s’était passé en Irak – où j’ai évoqué cette possibilité à Tarek Aziz durant l’embargo –, mais dans des rôles inverses. La France était le « gentil » : elle a condamné l’embargo et l’agression américaine contre l’Irak, mais cela ne l’a pas empêchée ensuite de cautionner l’occupation du pays par les États-Unis.
Ali Khamenei sur le nucléaire civil et militaire (6 mars 2008) :