Le Conseil d’État annule la décision du 4 janvier 2013 du ministre de l’Éducation nationale invitant les recteurs à relayer la campagne de communication de la « Ligne azur », pour non respect de la neutralité du service public de l’Éducation nationale.
L’essentiel
Le 15 octobre 2014, le Conseil d’État a annulé une lettre du ministre de l’Éducation nationale en date du 4 janvier 2013 invitant notamment les recteurs « à relayer avec la plus grande énergie (…) la campagne de communication relative à la ligne azur, ligne d’écoute pour les jeunes en questionnement à l’égard de leur orientation ou leur identité sexuelles ».
La décision du Conseil d’État confirme la légalité de l’organisation, en milieu scolaire, de campagnes de lutte contre les discriminations en raison de l’orientation sexuelle, mais sous réserve de respecter, d’une part, les principes de neutralité du service public et de liberté de conscience des élèves et, d’autre part, d’adapter l’information aux élèves à qui elle est destinée, notamment en fonction de leur âge. Elle juge également qu’il incombe au ministre de l’éducation nationale de s’assurer, avant le lancement d’une telle campagne, que les éléments d’information qui seront diffusés sont bien conformes à ces principes.
Les faits et la procédure
Le Conseil d’État a été saisi, le 5 juillet 2013, d’une requête de la Confédération nationale des associations familiales catholiques tendant à l’annulation d’une lettre du ministre de l’Éducation nationale, datée du 4 janvier 2013, relative à la mise en place d’une campagne nationale d’information sur les discriminations en milieu scolaire.
Cette campagne concernait notamment la lutte contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle dans les établissements d’enseignement secondaire. Le ministre demandait, en particulier, aux recteurs de diffuser dans les établissements des affiches et des tracts invitant les élèves à consulter le site internet de la « Ligne azur » et à utiliser sa ligne d’écoute téléphonique pour obtenir des informations sur les questions relatives à l’orientation sexuelle.
La décision du Conseil d’État
La décision du Conseil d’État juge qu’il résulte des dispositions législatives des articles L. 121-1 et L. 312-17-1 du code de l’éducation que le législateur a confié aux autorités chargées du service public de l’éducation nationale, outre leur mission d’enseignement, le soin d’apporter aux élèves une information relative à la lutte contre les discriminations. Compte tenu de la vulnérabilité des élèves face à ces violences, cette information peut, en particulier, sensibiliser les élèves aux discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et sur l’homophobie. Le Conseil d’État estime également qu’il est, en principe, possible, pour assurer cette information, d’avoir recours à l’intervention d’associations spécialisées.
Cette information doit cependant être adaptée aux élèves auxquels elle est destinée, notamment en fonction de leur âge. Elle doit également être délivrée dans le respect du principe de neutralité du service public de l’éducation nationale et de la liberté de conscience. Le Conseil d’État rappelle qu’il incombe au ministre de s’assurer que les éléments d’information diffusés lors de la campagne respectent ces principes.
En l’espèce, le Conseil d’État relève que le site internet de la « Ligne azur », vers lequel la campagne d’information renvoyait présentait l’usage de drogues comme « susceptible de faire tomber les inhibitions » et comme « « purement associé à des moments festifs » sans mentionner l’illégalité de cette pratique, définissait la pédophilie comme une « attirance sexuelle pour les enfants » sans faire état du caractère pénalement répréhensible des atteintes ou agressions sur mineurs, et renvoyait à une brochure, intitulée « Tomber la culotte », qui incitait à pratiquer l’insémination artificielle selon des modalités interdites par l’article 511-12 du code pénal.
Compte tenu de ces éléments et sans remettre en cause le principe d’une information en milieu scolaire sur les discriminations en raison de l’orientation sexuelle, le Conseil d’État juge que la décision ministérielle de relayer la campagne de la « Ligne azur » porte atteinte au principe de neutralité du service public de l’Éducation nationale. Même si le site Internet de la « Ligne azur » n’avait pas entendu faire preuve de complaisance à l’égard des comportements décrits, le Conseil d’État précise que le seul fait de ne pas mentionner le caractère illicite de ces pratiques suffisait, en tout état de cause, à porter atteinte à la neutralité du service public de l’Éducation nationale et à rendre illégale l’invitation du ministre à relayer la campagne « Ligne azur ».
Le site Internet de la « Ligne azur » a été modifié depuis lors pour faire cesser certains des manquements constatés, Le Conseil d’État n’a cependant pas pris en compte ces changements dans la mesure où le contrôle de légalité qu’il exerce tient uniquement compte des faits existant à la date à laquelle la décision attaquée a été prise.