Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.
Comment peut-on comprendre ce résultat aussi serré ? La victoire de Dilma Rousseff était-elle prévisible ?
Ce résultat serré peut s’expliquer par différents facteurs. Tout d’abord, il convient de pointer du doigt le contexte économique général qui se caractérise par une croissance économique très faible (une croissance de moins de 1 % est attendue pour cette année contre plus de 7 % en 2010). Cette morosité ambiante touche plus particulièrement les classes moyennes.
On ne peut également nier la réalité du phénomène d’« usure du pouvoir » et une attente de renouvellement des dirigeants au sein de la population : cela fait désormais douze ans que le Parti des travailleurs (PT) est au pouvoir.
Enfin, les secteurs économiques, mécontents de la stagnation actuelle, souhaitaient un changement de modèle et s’étaient en conséquence mobilisés comme jamais en faveur de l’alternance afin de retourner la situation. Ils ont ainsi mené une campagne de déstabilisation massive de la candidature de Dilma Rousseff, en publiant notamment de faux sondages ou encore en ne respectant pas les règles électorales en matière de communication. Les médias ont ainsi massivement joué en défaveur de la présidente sortante, participant à l’une des campagnes électorales les plus brutales depuis le retour de la démocratie au Brésil.
Cette campagne a été pleine de rebondissements : si, il y a un an, la victoire de Dilma Rousseff ne semblait guère laisser de doute, cette éventualité paraissait presque impossible il y a un mois à peine. On a ainsi vu l’émergence d’une candidate alternative, Marina Silva qui, après avoir été créditée d’une confortable avance sur la présidente sortante, s’est finalement faite éliminer au terme du premier tour. Dans l’entre-deux-tours, c’est Aécio Neves, le candidat outsider du PSDB (centre-droit), qui est apparu pendant longtemps, dans la presse et dans certains sondages, comme le mieux placé pour la victoire finale, ce qui a nourri jusqu’au dernier moment un climat d’incertitude.
Deux raisons peuvent cependant expliquer ce retournement de situation en faveur de la présidente sortante : tout d’abord l’engagement personnel de l’ancien président Lula (2003-2011) aux côtés de Dilma Rousseff, a permis de remobiliser des segments électoraux qui avaient des doutes sur sa candidature et sur l’avenir du pays. Il ne faut pas également oublier le rôle central joué par le PT au Brésil : ce parti est une gigantesque machine électorale et constitue le plus important d’Amérique latine en nombre de militants. Il a de ce fait permis à sa candidate d’avoir les moyens d’irriguer l’ensemble du pays et de contrecarrer les grands médias de masse qui jouaient contre la présidente sortante.
Quels sont les principaux enjeux auxquels devra faire face Dilma Rousseff lors de son second mandat ?
Dilma Rousseff les a évoqués dès son discours de remerciement. En première place, on trouve le projet de réforme électorale, qui est un vieux serpent de mer de la vie politique brésilienne et revient régulièrement sur le devant de la scène depuis le retour de la démocratie au Brésil. Il consiste en une nécessaire réforme de la loi électorale visant à limiter la fragmentation du parlement en une multitude de partis, créant jusqu’alors un système difficilement gouvernable et empêchant de créer des majorités politiques stables, ainsi qu’une nouvelle loi de financement électoral visant à limiter la présence de l’argent des firmes dans les campagnes. Ces fonds sont en effet régulièrement au cœur de scandales (comme celui lié à Petrobras).
Cette promesse d’organiser une réforme du système politique brésilien, bien qu’inscrite dans le programme du PT, est cependant passée relativement inaperçue. Un référendum d’origine populaire sur le sujet a cependant été organisé par des associations citoyennes au mois de septembre, recueillant l’approbation de 7 millions de citoyens en vue de pouvoir organiser un référendum officiel sur la réforme politique. Dilma Rousseff a annoncé qu’elle allait négocier avec le Congrès pour étudier les modalités de la mise en place d’une telle réforme. Ce projet se heurte cependant à l’opposition des petits partis qui sont les bénéficiaires du système actuel et donc hostiles à la réforme politique.
Le second enjeu majeur du nouveau mandat de Dilma Rousseff sera de rétablir la confiance avec les milieux financiers et économiques brésiliens, afin de relancer la machine économique et de retrouver le chemin de la croissance.
Quel sens Dilma Rousseff entend-elle donner à la politique extérieure de la 7e puissance économique mondiale ?
Comme dans de nombreux pays, la politique extérieure a largement été absente de la campagne électorale brésilienne. Deux projets internationaux assez différents se sont cependant opposés. Celui de Dilma Rousseff entendait privilégier les rapports avec les voisins sud-américains, puis latino-américains et les pays du Sud. De son côté, celui d’Aécio Neves entendait privilégier un rapprochement avec le Japon, les États-Unis et l’Union européenne.
Sortie vainqueur du second tour, la présidente va vraisemblablement confirmer les orientations qui ont été les siennes depuis le début de son premier mandat. Il est assez notable de constater que les premiers messages de félicitations adressés à Dilma Rousseff provenaient des autres pays d’Amérique du Sud, car ces derniers étaient relativement préoccupés par l’éventualité d’une victoire d’Aécio Neves, victoire qui aurait bouleversé la face des relations entre pays latino-américains ainsi que la relation du Brésil au Mercosur [Marché commun du Sud – NDLR].