En général, les forces stratégiques des pays dotés de l’arme nucléaire jouissent d’un certain prestige. Et pour cause, notamment en France, elles représentent « l’assurance-vie » de la Nation. En Russie et en Chine, elles bénéficient d’investissements importants : Moscou est en train de renouveler ses missiles tandis que Pékin disposera, sans tarder, d’une composante océanique crédible.
Aux États-Unis, la situation est différente. En effet, au cours de ces dernières années, l’US Strategic Command (US STRATCOM) a dû faire face à plusieurs affaires assez dérangeantes.
Des missiles nucléaires embarqués par erreur sur un B-52 devant survoler le territoire américain ainsi que l’envoi de composants nucléaires à Taïwan en lieu et place de batteries d’hélicoptères eurent raison, en 2008, de Michael Wyne et du général Michael Moseley, respectivement responsables civil et chef d’état-major de l’US Air Force. Il avait été alors constaté un « déclin de la performance » de l’aviation américaine, notamment pour sa mission stratégique.
Depuis ces affaires, la situation ne s’est pas arrangée, notamment au sein des unités chargées de mettre en oeuvre les missiles balistiques Minutemen III, avec des manquements répétés aux procédures de sécurité, des tricheries aux examens de qualification, des histoires de drogue et de beuveries, etc…
Même la hiérarchie n’a pas été épargnée par les scandales : en octobre 2013, le numéro 2 de l’US STRATCOM a été suspendu pour avoir triché dans un casino tandis que le commandant de la 20th Air Force et de la Task Force 214 a connu le même sort pour avoir trop forcé sur la bouteille.
Ces problèmes, qui n’épargnent pas non plus l’US Navy, ont plusieurs raisons. Du temps de la Guerre froide, servir au sein des forces stratégiques américaines ne manquait pas de prestige (et Hollywood s’y était employé). Mais avec la fin de l’Union soviétique, cette mission a été déclassée et négligée. Et cela d’autant plus avec le discours du président Obama – notamment au début de son mandat – sur un monde sans armes nucléaires.
Du coup, les personnels concernés, en particulier ceux qui assurent une permanence continue en attendant un ordre de tir dont ils savent qu’il ne viendra probablement jamais, sont démotivés. À cela s’ajoute le manque de perspective et d’avancement par rapport aux forces conventionnelles, très sollicitées avec l’Afghanistan et l’Irak.
Un exemple de ce manque d’investissement pour les forces stratégiques américaines est assez parlant : il y a peu, les trois bases de lancement de missiles balistiques devaient se partager une seule clé pour fixer les ogives, laquelle était envoyée d’un site à l’autre par FedEX !
« Nous avons maintenant une clé pour chaque emplacement. Nous allons avoir deux clés pour chaque emplacement bientôt », a promis, le 14 novembre, Chuck Hagel, le chef du Pentagone, lors de la présentation d’un rapport d’une soixantaine de pages sur l’état des forces stratégiques américaines
« La force nucléaire américaine connaît de graves problèmes de motivation et de commandement qui, s’ils ne sont pas traités, pourraient saper la sécurité et l’efficacité de la dissuasion nucléaire des États-Unis », a-t-il résumé.
Le rapport en question « a montré que le manque d’investissements et de soutien envers la force nucléaire nous laisse peu de marge de manoeuvre pour gérer le stress auquel les troupes et le matériel sont soumis », a encore expliqué M. Hagel.
Du coup, une centaine de mesures vont être prises pour y remédier. L’une d’entre-elles ne mange pas de pain : elle vise à élever le grade de la hiérarchie (par exemple, le général à la tête de l’Air Force Global Strike Command aura désormais 3 étoiles au lieu de 2). Mais le plus important est que les crédits alloués aux forces stratégiques américaines augmenteront de 10% chaque année à partir de 2016. Cela afin de moderniser les infrastructures – trop longtemps négligées - acquérir de nouveaux matériels (les forces balistiques de l’US Air Force ont encore des hélicoptères datant de la guerre du Vietnam), augmenter les effectifs et assurer la meilleure formation possible.
« Nous devons restaurer le prestige qui avait attiré les esprits les plus brillants de l’époque de la guerre froide, afin que nos jeunes hommes et femmes les plus talentueux regardent la voie nucléaire comme étant porteuse » pour leur carrière, a assuré M. Hagel.