Au sortir d’une catastrophe étendue, après que le monde aurait été plongé dans une barbarie, les premières questions que les hommes se poseraient, enseignait le philosophe Kant, seraient métaphysiques, et porteraient sur leur nature et leur destination dernière, avant que d’être économiques. Pareille réflexion s’applique déjà à l’ensemble de ce qui fut désigné autrefois et l’est périodiquement encore comme la nation Arabe, puisque, dès l’éclosion de la révolution « de jasmin » débutée en Tunisie, avant même les bombardements et les fusillades qui auront fait tomber des têtes et multiplié les victimes, ruinant ou affaiblissant durablement l’économie et augmentant le chômage, mais aucunement modifié la société et l’Etat, la question du sens et de la définition d’un tel mouvement a été discutée.
Nous aurions, - pour reprendre la formule d’un auteur dramatique - toujours allemand, Lessing, du 18e siècle -, des artistes et point d’art dramatique, des révolutionnaires, armés comme en Syrie, par des forces conservatrices étrangères au pays, mais point de révolution ou de changement structurel. Celui-ci est promis partout, mais ne s’est pas effectué. Ce paradoxe est connu de tous, même s’il n’est pas convenable de l’exprimer à voix haute. De même pour ce qui semble l’un des derniers actes de ces troubles du monde arabe, la lutte intestine syrienne, ne nous semble jamais aborder la question du sens des événements : l’on parle de réformes nécessaires, tout comme l’on demandait utopiquement dans les anciennes diplomaties de la canonnière, à l’ancien Empire ottoman, de produire des constitutions ou de prendre des mesures pour satisfaire l’opinion internationale, sans tenir compte de la situation réelle. La question syrienne est une affaire, qui peut, comme toute réalité être traitée à deux points de vue ; par l’agitation ou par la raison, en augmentant le mouvement des partis et en accroissant la différence des intérêts, en internationalisant donc le conflit interne, ce qui fut la recette libyenne accroissant les appétits étrangers et la férocité de leurs clients, ou en diminuant ces facteurs, en adoptant non pas une attitude réactionnaire, mais équitable, en plaçant l’ordre et l’unité nationale au-dessus de tout.
Il est possible de trouver des antécédents de cette situation embarrassante en Orient, lorsqu’au 19e siècle la France a soutenu, contre les Grandes Puissances et notamment la Confédération germanique et l’Angleterre, les ambitions du vice-roi albanais d’Egypte Mehemet Ali, assassin de ses Mamelouks, et parti guerroyer en Syrie-Palestine contre les Ottomans, en promettant réformes et constitutions sur mesure. La réalité locale a pris le dessus, les peuples ont préféré suivre une voie conforme à leurs usages, à la complexité de leur pays, et non pas pratiquer une politique de la table rase pour multiplier affairistes et députés. La France en a retiré l’obélisque égyptienne de la place de la Concorde, promise au conquérant d’Alger Charles X en 1830 puis reçue ensuite par son successeur le 24 octobre 1836, et prendra sa revanche, moins d’un siècle plus tard, avec le mandat syro-libanais, en donnant des leçons de civisme démocratique, au besoin avec des troupes africaines et indochinoises combattant dans le djebel Druze, mais en tournant le dos aux revendications chrétiennes et musulmanes qui devaient prendre une forme politique dans la Syrie unitaire moderne.
Aujourd’hui, point n’est question d’Empire ou de Grande Communauté musulmane pourtant nécessaire et protectrice des minorités, mais il existe une responsabilité des Etats arabes devant le destin commun de leur grande Nation. Cela s’est traduit autrefois par la formation de la République arabe unie (R.A.U) dont fit partie d’abord avec enthousiasme la Syrie, puis l’esprit de discorde ayant opposé la volonté de prestige de Nasser aux nécessités humaines et économiques, dont le désastre militaire de 1967 fut la conséquence, il est vital que l’opinion arabe ait privilégié d’abord sa propre conservation ! Dans un entretien avec Benoit Méchin, auteur d’un livre au titre alors célèbre « Un Printemps Arabe » (Fayard,1967), le président syrien d’alors, le « frère » maçon - pour complaire à l’Occident - Chucri Kouatly ironise sur les Européens qui n’entendent rien à l’unité arabe alors qu’ils prétendent oeuvrer à la construction européenne. Force est de constater que si l’Union européenne est secouée par les crises, elle a pris un départ, et que si sa monnaie défaille, sa cohésion est sentie comme nécessaire, et qu’elle aura un degré de réalité ; alors que l’union arabe s’est brisée et n’est reconstituée qu’avec des pièces apportées de l’extérieur, et surtout une pression exercée, de la France à la Turquie, par des pays structurellement otanisés. Que devient la question syrienne dans ce contexte de désorganisation de l’unité arabe ? Ce qu’était notre pays dans les troubles révolutionnaires ? Une tribune aux orateurs multiples, à l’éloquence boursouflée, devant un peuple aveuglé par des passions artificielles, pour le plus grand bonheur de notre concurrente anglaise, pour qui les révolutions sont un article d’exportation. Cette question syrienne est portant résoluble dans la seule voie politique qui est la conservation de l’unité nationale ; c’est ce sentiment ou cet instinct profond qui a permis à l’Imam khomeiny d’asseoir les bases durables d’une Révolution, au sens vrai de ce qui tourne autour d’un axe.
L’axe syrien doit être maintenu, et l’agitation subversive armée disparaîtra, Dieu le veuille, comme un cauchemar sanglant.