Dans cet article, Valérie Bugault commente l’analyse que Xavier Moreau fait du Bitcoin et développe sa vision.
1 – Analyse du contexte : aspect géopolitique des cryptomonnaies
Nous sommes, avec les cryptomonnaies, dans la continuité de la conception mercantile du monde d’origine anglo-saxonne consistant à valoriser économiquement l’échange de données dématérialisées. Le bitcoin, comme toute cryptomonnaie, est en effet adossé sur l’échange informatique de données ; ce qui nous ramène à la « propriété économique » selon laquelle les données appartiennent à ceux qui les utilisent et non à la ou aux personne(s) de qui elles émanent, à la réserve près que les utilisateurs sont, très partiellement, également les personnes dont émanent lesdites données.
Les cryptomonnaies ont une double fonction : à la fois unité de mesure et réserve de valeur. Or, comme nous l’avons analysé dans notre livre [1], la conception de la monnaie comme une « réserve de valeur » s’oppose directement à l’efficacité de l’utilité sociale de la monnaie, qui est sa raison d’être fondamentale.
Lorsque la monnaie est considérée comme un bien (« une marchandise » dans le langage des économistes) rien ne peut s’opposer à ce que la valeur de la monnaie fluctue en fonction du niveau de l’offre et de la demande, ce qui génère une volatilité structurelle de son cours, qui nuit à la sécurité nécessaire aux échanges. Qui plus est, en cas d’accaparement, la monnaie circule en quantité insuffisante pour répondre aux réels besoins d’échanges économiques. À l’opposé, générée en quantité exagérée, la monnaie induit alors l’apparition de crises, de vastes mouvements de spéculation et d’appauvrissement qui se traduisent de façon mécanique, à la fin du cycle, par une augmentation de la concentration des richesses dans les mains de ceux qui contrôlent ladite monnaie. Ces phénomènes, qui nuisent à la sécurité des transactions, empêchent donc, de façon structurelle, à la monnaie de remplir sa fonction essentielle qui est de faciliter les échanges et d’assurer leur fluidité.
Les cryptomonnaies sont, tout comme l’actuelle conception monétaire, des monnaies falsifiées : elles sont, dès le départ, conçues pour être des monnaie-marchandises. À ce titre elles sont, bien entendu, susceptibles (par construction) d’accaparement et de manipulation de leur cours ; on pourrait même aller jusqu’à dire que les cryptomonnaies sont conçues ab initio comme une « invitation aux manipulations de tous ordres ». Les cryptomonnaies sont mises sur des places financières, elles-mêmes dématérialisées (marché). Il en résulte que la valeur de chaque cryptomonnaie augmente à mesure non seulement du nombre d’échanges dont la transaction dématérialisée initiale (échanges de données dématérialisées) fait l’objet, mais aussi et surtout en fonction du nombre de demandes dont cette monnaie fait l’objet sur les marchés.
N’oublions pas que le système des cryptomonnaies est né, sous la forme initiale de bitcoin, dans le plus complet anonymat, juste après la crise de 2007. Il faut en tirer plusieurs enseignements :
– L’anonymat est un très mauvais signe ; il est d’ailleurs maintenant démontré que cet anonymat cache en réalité une activité liée à des services de renseignements. [2]
– Il se pare de bonnes intentions (liberté, monnaie libre etc.) mais n’apporte, ni en termes de valorisation, ni en cas de vol, de sécurité supplémentaire à ses usagers par rapport au système monétaire actuel ;
– Ce système arrive à point pour rendre le « service » de la disparition des espèces tellement désirée par les « banquiers » ; disparition qui se fera donc avec le consentement des « victimes » ce qui est de loin très préférable pour les tireurs de ficelles ;
– S’agissant des cryptomonnaies gérées et diffusées par les « banques centrales » leur gestion restera sous le contrôle de ces dernières, ce qui n’apporte aucune nouveauté monétaire réelle par rapport au système actuel ; il s’agit alors seulement de changer la forme extérieure de la monnaie pour aller vers plus de dématérialisation tout en raffermissant le contrôle de la circulation monétaire. Dans le meilleur des cas, la technique des cryptomonnaies remplacera les actuelles monnaies « banques centrales » pour devenir des monnaies d’État ; ces cryptomonnaies seront alors adossées sur les richesses principalement générées par chacun des pays émetteurs. [3]
Le système des cryptomonnaies privées a, très probablement, été lancé dans le public comme un « ballon d’essai » ; il s’agit d’habituer les usagers à utiliser un nouvel outil monétaire et de voir comment la masse réagit à ce changement ; cela peut également permettre de déceler des défauts non détectés par les concepteurs de cette technologie.
Enfin, d’un point de vue géopolitique, la technologie blockchain est vraisemblablement l’évolution technique qui permettra l’avènement de la future monnaie mondiale. Rappelons qu’en vertu du principe intangible selon lequel « une monnaie correspond à un marché » − au marché mondial généré par la liberté de circulation des capitaux (promue par les instances internationales telles que l’OMC) doit obligatoirement répondre une monnaie mondiale, appelée de ses vœux par l’oligarchie dès 1988 et désignée du terme de « Phoenix ». [4]
2 – Les avantages apparents des cryptomonnaies : liberté et sécurité
2.a La liberté
Ne dépendre d’aucune banque ne signifie pas ne dépendre d’aucun système et tout système est, peu ou prou, contrôlable. En particulier le système bancaire est particulièrement contrôlé, il a même été conçu précisément pour échapper au contrôle politique et être entièrement déterminé par les principaux banquiers capitalistes. En raison d’une part de l’actuel état de concentration des richesses mondiales et d’autre part du contrôle total dont les monnaies et les marchés font l’objet, tout système monétaire, qu’il soit ou non techniquement novateur, sera immanquablement contrôlé. Rien ne peut s’opposer à ce phénomène, à l’exception d’une reconsidération des caractéristiques fondamentales de la monnaie : autrement dit, tant que la monnaie, quelle que soit sa forme, sera considérée comme un « bien » sur le « marché » elle restera sous le contrôle des principaux propriétaires de capitaux et échappera, subséquemment, à sa fonction essentielle qui est d’être une institution rendant un « service public ».
S’agissant du système utilisé par et pour les bitcoins, les mineurs contrôlent effectivement le système. Nous parlons ici de « fermes » qui s’apparentent à des villes entières dédiées à des ressources informatiques. Ceux capables de financer de telles gigantesques infrastructures se rendent maîtres du système.