L’Arabie Saoudite s’est maintenant donné la mission d’arranger et de réarranger l’ordre régional arabe, selon ses souhaits et les souhaits d’Israël.
L’Arabie Saoudite a annihilé l’influence du Qatar dans le monde Arabe et elle veille maintenant, par la force, la coercition et la diplomatie, à ce que le régime qatari ne menace plus son influence. En Tunisie, le régime saoudien a financé le parti politique as-Sibsi comme moyen de remettre sur pied le régime de Ben Ali mais sans Ben Ali.
Le régime Saoudien a généreusement financé le régime de Sisi et a ordonné à son proche allié, les Émirats Arabes Unis, de faire la même chose. Ces placements financiers généreux ont cependant un prix : que le régime de Sisi ne permettrait plus à la ferveur révolutionnaire de la jeunesse de lancer une vendetta contre Mubarak et ses potes. Au contraire, le marché conclu stipule que Mubarak se verrait épargner une condamnation trop sévère et pourrait terminer ses jours dans le confort tout en prétendant devant l’opinion qu’il est techniquement en prison.
Mais le régime saoudien n’aurait pas pu entreprendre ce changement en Égypte et ailleurs sans l’appui et la coopération absolus d’Israël et des États-Unis.
Le nouveau régime qatari semble avoir accepté de céder la main devant la volonté saoudienne de diriger le monde arabe. La contre-révolution arabe est maintenant dans les mains saoudiennes, israéliennes et américaines, tandis qu’est ordonné au reste des régimes du Conseil de Coopération du Golfe de suivre le mouvement. L’ordre régional arabe en train de naître ressemble de façon saisissante au vieil ordre régional arabe. Les vieux régimes seront préservés ou transformés avec quelques changements cosmétiques à leur tête.
Il n’y a jamais eu de « printemps arabes ». Les livres récemment écrits par Hillary Clinton et Henry Kissinger expliquent très clairement que le gouvernement des États-Unis (et d’Israël, naturellement) n’abandonnera jamais aussi facilement sa collection de potentats dans la région. Ils ne seront pas forcés d’abdiquer au nom de la démocratie ou de quelques idéaux plus élevés. Ils seront protégés et armés, et si la marée populaire est trop puissante, alors un potentat alternatif sera mis en place (c’est le scénario appliqué au Yémen que l’Arabie Saoudite et les États-Unis émuleront dans toute la région).
Le verdict de Mubarak était important : le long jugement prononcé par le juge indique les tendances de venir. Mubarak était donc innocent, mais ce qui lui a été reproché était la corruption parmi des gens de son entourage et également d’être quelque peu lent dans ses prises de décision. Le nombre de manifestants tués ce jour infâme a été revu à la baisse pour rendre l’exonération de Mubarak moins choquante.
Le processus de transformation politique engagé avec l’éruption du soulèvement arabe n’est pas fini. Il a été contrecarré, bloqué, et avorté, mais ce processus se poursuivra. Ceux qui exigent le changement se rendront compte que des changements par des voies paisibles et pacifiques sont choses impossibles. La phase suivante du soulèvement arabe sera plus violente, particulièrement après l’écrasement de la Confrérie musulmane. La direction des Frères musulmans et ses sponsors à Doha et à Ankara refuseront d’armer la Confrérie. En lieu et place, quelques groupes dissidents violents (pas nécessairement du genre al-Qaïda) émergeront et se vengeront de ceux qui ont empêché les victoires démocratiques de la Confrérie dans les élections.
Le processus contre-révolutionnaire arabe est maintenant en plein essor. Aucun mouvement de la jeunesse arabe, aucune Confrérie Musulmane ou déclaration sur la démocratie ne pourront se tenir sur son chemin. Elle a l’appui total des États-Unis et d’Israël, et chacun des trois associés redessinera la région conformément aux intérêts de l’alliance américano-israélienne.
Mais c’est là que réside le paradoxe : le nouvel ordre régional est une pure provocation contre la jeunesse arabe et ses rêves. Puisque Mubarak a été renversé, ses successeurs pourront aussi être poussés dehors et la prochaine direction révolutionnaire saura apprendre de la phase passée. Alors les têtes rouleront et la Bastille sera réduite en cendres le tout premier jour du soulèvement.