Pour ceux qui font mine d’en savoir plus que leur voisin, c’est la nouvelle information qu’on se repasse de bouche à oreille, petit sourire entendu en coin : les Russes feraient et déferaient réputations et présidents par Internet interposé. Bref, la désinformation serait de retour.
Ce néologisme de « désinformation », forgé par l’écrivain Vladimir Volkoff, a longtemps concerné celle issue de la défunte URSS. Dans son ouvrage posthume, La désinformation vue de l’Est, l’auteur rappelle que celle venue de l’Ouest n’en était pas moins aussi active, quoique plus discrète et autrement mieux ficelée. Un essai fort bien résumé par ces quelques phrases :
« Il faut bien voir que, à la différence de la propagande qui vise un objectif précis, la désinformation est toujours au service d’un “ordre mondial”. Ce fut l’ordre communiste, ce peut être le New World Order, ce peut être l’American Way of Life considérée comme le nec plus ultra de la civilisation humaniste, ce peut être la démocratie tenue pour une panacée et imposée de force. »
Alors oui, que le Kremlin ait préféré l’arrivée de Donald Trump plutôt que celle de Hillary Clinton à la Maison-Blanche est un fait avéré. Qu’il puisse, aujourd’hui, voir d’un assez bon œil l’accession à l’Élysée d’une Marine Le Pen ou d’un François Fillon plutôt que celle d’un Emmanuel Macron, cela ne fait guère de doute.
Que les hackers moscovites mènent une bataille informatique souterraine, c’est probable. Mais les Israéliens et les Iraniens le font aussi ; exercice dans lequel les Chinois et les Américains ne sont pas en reste non plus.
Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, se plaît souvent à dire que c’est Mickey qui a gagné la guerre froide ; soit la victoire du soft power à l’américaine. Parce qu’en face de Marilyn Monroe, la babouchka couperosée de 110 kilos, juchée sur un tracteur de kolkhoze – on aura beau dire -, ne faisait certes pas le poids, en termes d’image médiatique, s’entend.
Dans son remarquable livre, La CIA en France, Frédéric Charpier ne dit pas autre chose, rappelant comment la Heritage Foundation, à la fois think tank et cache-sexe de la CIA, a fourni, clefs en main, kit de campagne, affiches et programme inclus à un certain Jacques Chirac au mitan des années 80. Pareillement, il a souvent été dit et redit, non sans raison, que la CGT qui obéissait à un PCF tenait ses ordres de Moscou. Mais le tableau serait incomplet s’il n’était rappelé que le syndicat FO était, lui, une pure création de Washington.
Après, il est possible que la désinformation de l’Est, malgré la chute du communisme, soit encore un peu pataude face à son aînée américaine. Il n’empêche que celle de l’Ouest, de simple voix discordante, est aujourd’hui devenue pensée dominante. La preuve par son viatique en dix points, rappelé par François-Bernard Huyghe, dans Maîtres du faire croire, consistant justement à nous faire croire que :
Notre camp ne veut pas la guerre ;
L’adversaire en est responsable ;
Il est moralement condamnable ;
La guerre a de nobles buts ;
L’ennemi commet des atrocités délibérées (nous pas) ;
Il subit plus de pertes que nous ;
Dieu est avec nous ;
Le monde de l’art et de la culture approuve notre combat ;
L’ennemi utilise des armes illicites ;
Ceux qui doutent des neuf premiers points sont des traîtres, soit des victimes des mensonges adverses, car l’ennemi, contrairement à nous qui informons, fait de la propagande.
Voilà qui peut parfaitement s’appliquer à la couverture médiatique des conflits de ces dernières décennies : Serbie, Irak, Ukraine, Syrie, etc. Soit deux ou trois bricoles à savoir, quand votre voisin de table évoquera, d’un regard entendu, la sournoise entreprise de désinformation initiée par l’infâme Vladimir Poutine, chef d’État n’ayant de démocrate que le nom, sachant qu’il est plus populaire au sein de son peuple qu’auprès du cénacle des éditorialistes de ces médias faisant mine de penser à notre place.