Un génocide à huis-clos et une réalité sous le black-out
Ils ont respectivement 28 et 30 ans. L’un est médecin et l’autre ingénieur en télécommunications. Deux profils intéressants qui ouvrent des perspectives d’une belle carrière dans n’importe quel pays arabe, particulièrement en Libye où les cadres universitaires étaient considérés, il y a peu de temps, comme une catégorie privilégiée.
C’était le cas d’Abdelmalek Al Aqari et d’Ismaïl Al Gharyane et ça ne l’est plus depuis que leur pays a été plongé dans l’enfer de la guerre. Il y a six mois seulement, ces deux Libyens rencontrés récemment à Constantine menaient une vie paisible et sans problèmes majeurs. Ils se permettaient le luxe de rêver ; et pourquoi pas lorsqu’on sait qu’avant le chaos annoncé par l’Otan et ses satellites téléguidés, la Jamahiriya constituait un des rares pays arabes qui pouvaient s’enorgueillir d’avoir répondu intelligemment à la question de la répartition des richesses.
Un jeune Libyen sur deux avait la chance d’étudier dans les plus prestigieuses universités européennes. Pour cette année et rien qu’en Grande Bretagne, ils sont plus de 5 000 Libyens qui poursuivent des études supérieures au Royaume-Uni.
La Jamahiriya était devenue une nation en pleine formation et nos deux amis, Abdelmalek et Ismaïl étaient loin d’imaginer le un dixième de ce qui se passe aujourd’hui sur la terre d’Omar El Mokhtar.
Leur témoignage sur les atrocités commises par la coalition militaire dirigée par l’Otan et supplée par des rebelles dont certains ne savent même pas pourquoi ils ont pris les armes est poignant. Si la planète était réellement gérée dans le respect intégral des droits humains à l’écart des énormes intérêts économiques, ce témoignage parmi des milliers aurait provoqué un tremblement dans les consciences.
Très conscients des enjeux qui se jouent sur le terrain et des visées occidentales à vouloir renverser le régime dans leur pays, de la trahison menée par une rébellion qui à leur sens est composée de bandes criminelles bénies par des chefs préfabriqués à l’ombre de Kadhafi qui ont été retournés par les services américains et britanniques.
Abdelmalek et Ismaïl ne trouvent pas les mots pour exprimer leur douleur en voyant cet acharnement meurtrier contre la population civile. « On est fatigués, lessivés et surtout inquiets, on n’oubliera jamais ces images d’enfants carbonisés, ces femmes massacrées et ces vieillards brandissant des rameaux d’oliviers, partis en direction de Ben Ghazi dans le but de mener une mission de réconciliation et de paix. Ils furent bombardés par l’Otan ».
Des images pleines d’horreur que l’Occident cherche à dissimuler ou à brouiller par une terrible campagne d’intox assumée avec un zèle extrême par Al jazeera en ce qui concerne le monde arabe. Face à une telle situation, Abdelamalek s’est tout de suite rendu compte de l’urgence d’une réaction populaire libyenne afin de rétablir les vérités massacrées par la manipulation.
Et c’est en toute logique qu’il entame sa mission chez des voisins qui ne se sont pas laissés embarquer dans l’immense cyclone menaçant l’ensemble de la région. Au-delà de la tête de Kadhafi que certains dirigeants occidentaux et arabes veulent faire tomber, les desseins de la coalition concernent la géographie politique et économique de l’ensemble des pays qui possèdent des frontières avec le Sahel. Ismaïl a aussi son mot à dire et sa part de détresse à raconter.
« L’Otan ne cible pas uniquement des positions militaires, mais civiles aussi, vous appelez ça une protection de la population ? C’est horrible ce qui se passe et on cherche à nous faire croire aux boniments racontés par la propagande et cette histoire créée de toutes pièces qui veut faire croire au monde que le CNT et son aile armée luttent pour une Libye plus démocratique. C’est quoi cette démocratie qui se construit sur un génocide, qui détruit des écoles, des aéroports, des hôpitaux et les réserves alimentaires ? Franchement on n’en veut pas ».
L’intervention étrangère fut à leurs yeux un prétexte pour bloquer l’aboutissement à une solution. Ce qui n’était qu’un incident au départ survenu pour quelques revendications, s’est transformé subitement en un cauchemar en trois dimensions pour les Libyens.
Désormais c’est sous un déluge de bombes que le citoyen libyen accueille chaque nuit avec la peur au ventre, dans l’attente d’une fatalité explosive. Le matin on cherche à savoir combien d’innocents ont disparu et combien de blessés. Parmi les corps sans vie, une mère, une épouse, une sœur cherchent les siens. Parfois elles sont soulagées, mais souvent, c’est un enfant, un époux ou un frère qui disparaissent à jamais. Les visages marqués par une rude épreuve à laquelle ils ne s’attendaient pas, les traits tirés qui expriment une grande tristesse décrivent le profil de nos témoins.
Nos deux interlocuteurs reviennent longuement sur les débuts des évènements pour rappeler qu’en 1996, de graves violences sont survenues à l’intérieur d’une prison à Ben Ghazi entre la police et les détenus. Ce qui a occasionné la mort de 1500 prisonniers.
Quinze ans après, leurs familles sont descendues dans la rue pour réclamer bruyamment des droits. Des hommes armés venus de nulle part tirent sur la foule, les policiers, appelés à mettre de l’ordre, en voulant défendre ces familles ripostent eux aussi par des tirs ; on profite de la situation pour la création (? pour créer l’illusion d’une rébellion).
Des têtes montent à la surface et se présentent comme une opposition, sortie du néant. D’anciens proches collaborateurs de Kadhafi font partie du groupe. La reconnaissance instantanée du groupe de Benghazi par la France et l’alignement logistique du Qatar et des Émirats arabes unis sur le même objectif militaire sont réellement disproportionnés au réquisitoire fait à Kadhafi.
Vue de l’intérieur, la situation ne ressemble pas à celle que l’on montre à Al jazeera. Elle reflète l’hégémonie occidentale et la félonie de certaines élites disposées mentalement à verser dans le mercenariat et dans la haute trahison. Nos deux amis libyens ne suspectent plus les intentions des agresseurs. Ils les condamnent.
Porteurs d’une parole que l’on voudrait confisquer, ils crient à l’unisson « Allah ou Maâmar ou Libya ou bass », Dieu, Maâmar Kadhafi et Libye. Alors, et si Kadhafi n’était pas uniquement une personne, un chef ou un leader, mais une pensée qui a fait son chemin ? La question reste posée.