Aujourd’hui, toutes les routes en Libye vont dans la même direction : la sortie du pays.
Les Libyens de l’Est empilent dans leurs véhicules tout ce qu’ils peuvent emporter et se dirigent vers l’Égypte. Ceux de l’Ouest cherchent à rejoindre la Tunisie, tandis que les gens de Misrata, au centre du pays, prennent la mer pour atteindre Malte.
Elle semblerait qu’il y ait presque deux millions de Libyens vivant actuellement en Égypte et presque 1,5 million en Tunisie. Un grand nombre de Libyens a aussi essayé d’entrer en Italie et en Turquie, à la recherche de n’importe quel pays voulant bien ouvrir ses portes.
Benghazi, qui avait été présenté comme le berceau de la révolution libyenne, a enduré au cours des trois derniers jours de lourds combats entre les troupes fidèles au général [Khalifa Belqasim Haftar, en photo ci-dessus – NDLR] et les groupes islamiques radicaux. À l’heure où j’écris ces lignes, soixante personnes ont déjà été tuées et ce nombre ne fait certainement qu’augmenter.
Haftar a commencé en mai la prétendue « bataille de la dignité » contre les groupes islamiques menés par Ansar al-Islam. Il est le chef du mouvement Awakening [le Réveil] en Libye et il est largement soutenu par les États-Unis.
Les Libyens sont perdus au milieu de toute une somme d’organisations, factions et milices se faisant concurrence, et le pays est englouti dans des batailles chaotiques.
La division est non seulement militaire mais aussi politique. Depuis août existent deux gouvernements libyens, deux parlements et deux armées, après que les islamistes se sont emparés de Tripoli et ont installé leur propre gouvernement, dirigé par le Premier ministre Omar al-Hassi, forçant ainsi Abdallah al-Thani – le Premier ministre reconnu au niveau international – et son équipe à s’installer à Tobrouk.
Mercredi, l’envoyé spécial turc pour la Libye, Emrullah İşler, a rencontré al-Hassi dans l’ancien bureau d’al-Thani, ce qui équivaut à la première reconnaissance officielle de la nouvelle administration à Tripoli. La Turquie est l’un des plus grands partenaires commerciaux de la Libye.
La Libye est devenue un échiquier pour des guerres par procuration. Le Qatar soutient les groupes islamiques tandis que l’Égypte soutient Haftar. En attendant, personne ne peut confirmer l’origine des avions qui ont bombardé Benghazi.
Le dernier-né en Libye est probablement le plus dangereux et le plus puissant de tous. Bernardino León, le représentant des Nations unies pour la Libye, a prévenu d’une présence croissante de l’État islamique dans l’Est du pays. À Derna, le Conseil de la jeunesse islamique à fait allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi plus tôt ce mois-ci et s’est donné un émir yéménite nommé Abu Taleb al-Jazarawey. L’État islamique a mis en place une cour, ou charia, dans la ville, et les drapeaux de l’EI sont maintenant visibles partout.
Au beau milieu de tout ce chaos, on se demande où se tiennent les Américains. La réponse a été apportée par l’ambassadeur Deborah K. Jones qui a tweeté que les organisations terroristes doivent être mises à l’écart par l’armée de métier, sous le contrôle d’une autorité centrale qui serait démocratique. Un autre tweet a condamné Ansar al-Islam, suggérant ainsi que les États-Unis soutiennent pleinement Haftar, qui a longtemps été l’un de leurs alliés, puisqu’il a été formé par la CIA et a tenté sous leur contrôle, dans les années quatre-vingt-dix, deux coups de force contre Mouammar Kadhafi.
Où le peuple libyen se tient-il dans cette jungle de milices et de combats ? Il est totalement perdu et quiconque dispose d’un peu d’argent a déjà fui le pays – les plus riches (grâce à la corruption) sont déjà partis en Europe – tandis que ceux qui n’ont rien attendent leur destin et vivent dans la pauvreté et la terreur, ne sachant quel groupe craindre le plus.
La dernière question est : où est la révolution et où sont les « révolutionnaires » libyens ?
Je vous laisse cette question, ainsi qu’aux Libyens. L’histoire contemporaine est plus noire et plus trompeuse que tout ce à quoi nous avons déjà assisté.