Auteur d’un livre étonnant sur son parcours de banlieusard, Mathias C. revient ici sur ce qui constitue l’essence même de son existence : le PSG, le hip-hop, la politique et les fights...
D’abord, il y a ce titre - Hooliblack, naissance d’un hooligan - qui aiguille sur une mauvaise voie. Mathias C. (36 ans) voulait l’appeler Patriot(e) Act(e), plus en rapport avec le propos du livre. Hooliblack ne raconte donc pas l’histoire d’un hool, noir de peau, mais l’itinéraire d’un Français, grandi à la Grande Borne (Grigny, 9-1), dans une fratrie camerounaise dont il est le seul à être né dans l’hexagone. Comme dans une histoire de la banlieue, il rembobine le film : le PSG de Dahleb, Susic et Luis à l’âge de 8 ans ; les premières bandes de Noirs hantées par le pan-africanisme et Afrika Bambaataa ; SOS Racisme ; les illusions perdues des parents pour une gauche désolante ; l’idéologie bérurière ; l’apprentissage de la baston et la logique de territoire ; la deuxième vague hip-hop (Def Jam, NWA) ; les zoulous ; les affrontements ethniques, la Défense, tout ça ; les batailles avec les skins ; le glissement sémantique et financier du rap militant vers le gangsta et un aller simple pour le grand banditisme pour les plus téméraires ou les plus avides ; les fights clandestins en petit comité ; Et toujours le Parc, au fil des années, comme un sémaphore dans la nuit noire. Hooliblack raconte tout cela, et bien plus encore, dans une langue acérée, éructée, crachée façon Boudard-Genet, trop amoureuse cependant de la punchline définitive. C’est un livre bancal, foutraque, idéologiquement confus mais qui recèle la sève d’un putain d’écrivain en devenir... Voire !
Au Parc, tu n’as jamais fait partie d’une asso de supporters ? Je n’ai jamais été dans une logique de groupe. Le seul groupe auquel j’ai appartenu, ce sont les Black Dragons (bande de banlieusards qui chassaient les skins) et encore très peu de temps. Ils étaient inspirés par le pan-africanisme, Farrakhan (dirigeant de la Nation of Islam) et les Black Panthers, c’étaient des Noirs arrivés en France via le regroupement familial, pas à l’aise dans la société occidentale. Ma quête de violence, elle a toujours été individuelle. Entre 1984 et 1996, j’ai participé à quelques batailles ici et là autour du Parc, notamment contre les Marseillais mais jamais avec des leaders de tribunes d’Auteuil ou de Boulogne. Dans cette ultra-violence, il ne s’agit pas de victoire ou de défaite, où le mec doit tomber mais de se réapproprier son corps, d’affronter l’autre.
Tu te situes où dans le PSG d’aujourd’hui : celui d’après Leproux, d’après Colony Capital ? J’étais contre le plan Leproux parce que notre façon de supporter le club, c’est comme une morsure du réel, ce n’était pas aseptisé. Tout est fait pour contrôler notre violence dans les jeux vidéos, dans le rap ou le divertissement. Dans une situation révolutionnaire, ce seront des gens comme nous qui iront à l’affrontement. Tu n’as qu’à voir le rôle des ultras dans les révolutions arabes en Tunisie ou en Egypte... Je ne crois pas au Grand Soir, plutôt à des foyers de révolte un peu partout où on aura un rôle à jouer.
T’as un rapport toxicomaniaque à la baston ? J’ai une accoutumance à la violence, je suis accro à l’adrénaline. Je me cache peut-être derrière elle. Pas envie d’en sortir. C’est une solution à la sortie de crise majeure que tous les peuples sont en train de vivre. Ce qui me surprend c’est comment les gens ne tombent pas plus dedans, comment ils supportent la saloperie sociétale.
Tu as tendance à charger les assos anti-racistes... Le choc des civilisations entre la pseudo France d’avant, contre la pseudo France d’après, pfff... La banderole « L’avenir est à nous » des Tigris, c’était pathétique. J’ai entendu des mecs des Mystic m’expliquer qu’ils avaient quinze ans de Parc. Quinze ans, ça fait 1996. Entre 84 et 96, Paris était considéré comme un club de fafs et la plupart des mecs supportaient Marseille. Beaucoup ont soutenu Paris quand le club s’est mis à traverser une bonne passe (1991/97) et que l’OM était en D2. Ils y sont venus pour de mauvaises raisons et quand je voyais les gars des Tigris, je revoyais les mecs du quartier. J’aimais bien les tifos tout ça mais ce que je voyais c’était des êtres humains, des individus, pas de trucs de groupes...
Comment le livre est-il reçu autour de toi ? J’ai beaucoup de souci avec les mecs des quartiers, rebeus, renois... On me reproche de rouler pour Marine Le Pen, d’avoir un discours raciste, d’être un oncle Tom, le nègre du Front national, un Bounty, de ne pas avoir assez magnifié l’Afrique et de taper sur la gauche. Quand je tape sur le PS ou sur SOS Racisme, désolé mais, pour moi, ce n’est pas la gauche. Beaucoup de gens me disent que c’est un livre de facho, que je parle mal de ma famille, que j’utilise le terme d’ « islamocaille ». J’explique, je nuance... Pas mal de gens qui parlent beaucoup n’ont même pas lu le livre. Tu n’as pas besoin de Front national avec des mecs comme Booba ou Ribéry, ils font le taf, ils véhiculent les pires clichés. Sur certains points, j’ai vu une vision marxiste du monde et pour moi la lutte, elle est avant tout sociale. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de problème identitaire mais voir la société française à travers une vision « racialiste », cela me semble un peu court. Beaucoup de gens de mon appartenance ethnique ne supportent pas qu’un Noir parle de patrie et du côté identitaire, il y a des gens qui se retrouvent dans mon discours mais qui pensent que ’tu restes un négro, ce n’est pas ton pays, c’est bien ce que tu racontes mais ce n’est pas ton pays ». On est nombreux à se retrouver le cul entre deux chaises.
C’est une vision de ce pays un peu idéalisée... Pour moi, la France c’est le pays le moins raciste au monde. On est un carrefour des civilisations, on assimile les identités. Où est-ce que c’est mieux ? Au Maghreb, en Afrique noire, en Angleterre ? De l’autre côté de la Manche, tu peux vivre 50 ans, tu ne seras jamais anglais ? Ici, en une génération, t’es français. Tous ces gens, et notamment tous ces gens de gauche bien-pensants, qui n’arrêtent pas de tailler ce pays, ça m’insupporte. Quand t’es Blanc et que tu aimes la France, t’es un facho et quand t’es un renoi ou un rebeu qui aime la France, t’es un vendu.
On a parfois l’impression que rien ne trouve grâce à tes yeux... Je suis anti-libéral, contre l’Europe et je veux lutter contre les marchés, l’hégémonie des banques. Je veux avoir un pays fort, vivre dans un conglomérat de nations fortes, de monnaies fortes pour lutter contre le tout libéral. Je me situe entre Chevènement et Dupont-Aignan...
Comment est-on passé de Fear of black planet de Public Enemy aux Cash rules du Wu-Tang Clan ? Les Requins Vicieux (un gang de la banlieue sud) ont été les premiers à importer l’idéologie des gangs américains, l’esprit crapuleux, la primauté de l’oseille. Ce qui comptait, c’est le territoire et avant d’être un renoi ou un rebeu, tu venais d’Evry, de Corbeil et tu faisais du biz’... C’était le contraire du hip-hop originel. Public Enemy faisait l’unanimité auprès des rockers, des punks, des rappeurs, des intellos même parce qu’ils avaient tout : l’authenticité, le talent, le fond, la forme, tout. Très vite, le business de la musique s’est rendu compte du danger que portait en lui PE, il a fait émerger des groupes comme NWA, qui était excellent musicalement et qui s’est mis à faire du gangsta. On pouvait écouter Fuck da police partout. Normalement, le système boycotte ce genre de titre. De La Soul ou Tribe Called Quest - excellents - n’ont pas émergé. L’industrie du disque a inversé le paradigme du hip-hop originel. En 1993, New York n’existe presque plus et on a eu le NWA de l’Est, le Wu-Tang. Un groupe avec un génie musical, RZA et la même idéologie : de la bonne musique, des putes, des guns et le dollar comme étendard. L’histoire du Wu-Tang Clan, c’est celle du rap : on met en avant Method Man, le mec bling-bling alors que dans le groupe, il y a Massa Killa, Raekwon sans parler de RZA. En 93, tu sais depuis un moment que l’authenticité subversive, elle est du côté de Nirvana, de ce mec aux cheveux filasses, du côté de Rage Against the Machine, pas du côté des gros renois que te vendent les majors US. Nirvana n’a pas été inventé par le business, c’est un groupe qui a charbonné...
Depuis au moins les Sex Pistols, on sait que l’industrie peut vendre de la rébellion... A partir du moment où on t’entend partout, tu ne peux pas être subversif. Le plus drôle, c’est que la plupart des rappeurs prétendent qu’on ne les entend pas alors que le hip-hop est partout. Si tu es vraiment subversif, incontrôlable, le système ne te donne pas du temps d’antenne... Ces groupes (NTM, IAM, etc.) n’ont pas pactisé avec l’ennemi, c’est l’ennemi. Ce sont des Tartuffe, tu ne peux faire « Sacrifice de poulet » et sept, huit ans après te pointer à Capital et expliquer comme Passi, « je suis un capitaliste ». NTM, malgré ce que je leur reproche, n’a pas fait du mal aux quartiers au contraire de Booba qui a créé un nouveau paradigme. Il a poussé l’idéologie Skyrock jusqu’à son terme. Auparavant, ça n’a jamais été la fête dans les quartiers populaires bien sûr mais l’industrie du rap a engendré un formatage des esprits comme jamais, qui a fait fleurir tout un esprit caillera...
Propos recueillis par Rico Rizzitelli