Le contexte relatif à l’Argentine est le suivant. En 2014, la Cour suprême des États-Unis a donné raison à Thomas Griesa, un juge new-yorkais qui a condamné l’Argentine à indemniser des fonds vautours.
Ceux-ci veulent faire un profit de 1 600 % sur des titres de la dette argentine qu’ils ont achetés pour une bouchée de pain il y a quelques années. Comme l’Argentine jusqu’ici refuse de verser la somme voulue par les fonds vautours, le juge a fait bloquer sur un compte bancaire de la banque Mellon de New York la somme que l’Argentine y avait versée. Cette somme devait servir à payer les créanciers (il s’agit de sociétés financières privées : banques, fonds de placement, assurances…) qui ont participé en 2005 et en 2010 à une restructuration de la dette argentine [1]. Par conséquent, à cause de cette décision du pouvoir judiciaire des États-Unis, l’Argentine est en suspension partielle de paiement. C’est une situation paradoxale : alors que le gouvernement argentin veut payer, un juge new-yorkais l’en empêche. C’est un peu le monde à l’envers.
Vu de l’extérieur, l’Argentine a l’air de ne pas vouloir payer la dette, alors que la présidente argentine et son gouvernement affirment qu’ils veulent continuer à la payer « religieusement » (sic ! [2]). Ils se déclarent « payeur en série » (« serial pagador » [3], re-sic !). Selon les déclarations de la présidente Cristina Fernández, l’Argentine aurait versé à ses créanciers 190 milliards de dollars depuis 2003.
Alors que l’Argentine, au cours des trois dernières années, a multiplié les signes de bonne volonté à l’égard de Washington (notamment au sein d’UNASUR [4]), des grandes entreprises transnationales (nord-américaines comme Chevron [5] ou d’autres pays [6]) et de ses créanciers (l’Argentine a repris en 2014, après treize années de suspension, les paiements à l’égard du Club de Paris alors qu’une grande partie est due à des pays qui ont soutenu et financé la dictature militaire entre 1976 et 1983 [7]), elle est humiliée par l’Oncle Sam qui veut démontrer que son pouvoir judiciaire peut dicter à des pays souverains ce qu’ils doivent faire en matière de dette notamment. Cela montre une fois de plus que faire des concessions face à Washington et aux créanciers en général ne constitue en rien une solution.
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Notes
[1] Le gouvernement de Cristina Fernández a payé régulièrement des intérêts aux créanciers qui ont participé à la restructuration de la dette en 2005 et en 2010, jusqu’au moment où le juge Griesa a fait bloquer le compte de l’Argentine à la banque Mellon de New York.
[2] C’est le terme employé par la présidente Cristina Fernández.
[3] Il s’agit d’un jeu de mots à l’image de l’expression « serial killer », tueur en série. L’expression utilisée par la présidente argentine « serial pagador » peut être traduite par « payeur en série ».
[4] Créée en mai 2008, l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) regroupe douze pays d’Amérique du Sud, représentant 388 millions d’habitants : Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Équateur, Guyana (à ne pas confondre avec la Guyane « française »), Paraguay, Pérou, Surinam, Uruguay, Venezuela. Fin 2013, alors que l’Argentine devait assumer la responsabilité de la défense (militaire) d’UNASUR, elle a délibérément cédé la place à la Colombie qui est un fidèle allié de Washington dans la région. Visiblement, l’Argentine voulait envoyer à Washington un signal de bonne volonté, voire d’allégeance, afin d’obtenir en échange une intervention de l’administration Obama auprès de la Cour Suprême de États-Unis pour donner tort au juge Thomas Griesa.
[5] La Cour suprême de l’Argentine a cassé le jugement prononcé par un juge argentin en faveur des victimes en Équateur de la pollution provoquée par l’entreprise pétrolière Chevron-Texaco. En 2011, la justice équatorienne avait condamné Chevron-Texaco à verser 19 milliards de dollars d’indemnités aux victimes équatoriennes (ce montant a été ramené à 9,5 milliards en 2013). Sur le conflit Équateur versus Chevron-Texaco, voir en langue française : http://cadtm.org/Solidarite-mondiale-avec-l. En espagnol, voir : http://apoya-al-ecuador.com/ ; http://apoya-al-ecuador.com/el-caso-chevron/acerca-de-nosotros/historia-animada/ ; https://www.youtube.com/watch?v=WTmcA4qOgf0&feature=youtu.be (consulté le 4 novembre 2014). Sur le site du CADTM, voir : http://cadtm.org/Ecuador-frente-a-Chevron-Texaco Voir la version donnée par Chevron de ses démêlés avec la justice équatorienne (en anglais) : http://www.chevron.com/ecuador/
[6] En 2012, Adrián Elcuj Miranda, un juge argentin, a émis un jugement afin de geler les avoirs de Chevron en Argentine (Chevron n’a plus d’activités en Équateur) pour un montant de 19 milliards de dollars. L’objectif du juge était d’indemniser les victimes équatoriennes (voir en espagnol l’article de Maria Elena Saludas d’ATTAC-CADTM Argentine à propos de cet important jugement : http://cadtm.org/La-Deuda-Ecologica-de-Chevron-y-la, publié le 29 décembre 2012. Dans cet article, l’auteure pronostique, à juste titre, que ce jugement allait être bloqué par le pouvoir politique). Ce jugement a été cassé en 2013 par la Cour suprême argentine ce qui ne pouvait que contenter Chevron et l’administration Obama (voir Financial Times, « Judge lifts Chevron asset freeze », 5 juin 2013, http://www.ft.com/intl/cms/s/0/945c6cea-cdfb-11e2-8313-00144feab7de.html). De plus, en 2014, l’Argentine a octroyé une importante concession à Chevron pour l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste au lieu dit Vaca Muerta. À propos des investissements de Chevron dans la concession Vaca Muerta, voir notamment le Financial Times du 3 novembre 2014 (p. 17) : « YPF courts oil majors to unlock Argentine shale » ; voir également sur le site officiel de l’entreprise pétrolière publique argentine YPF : http://www.shale-world.com/2014/04/14/chevrons-additional-investment-argentina-shale/).
[7] En 2014, le gouvernement de Cristina Fernández a indemnisé généreusement l’entreprise pétrolière espagnole Repsol après avoir nationalisé YPF, sa filiale en Argentine, en avril 2012. Sur la nationalisation en 2012, voir l’article : Le Monde (un bel exemple de la ligne éditoriale néolibérale de ce quotidien de référence) : « Repsol YPF, dernière victime de l’interventionnisme de Buenos Aires », 17 avril 2012, http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/04/17/repsol-ypf-derniere-victime-de-l-interventionnisme-de-buenos-aires_1686506_3234.html. Sur l’indemnisation (5 milliards de dollars) intervenue en 2014, voir Le Monde, « L’Argentine a trouvé un accord avec le pétrolier espagnol Repsol », http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/02/28/l-argentine-a-trouve-un-accord-avec-le-petrolier-espagnol-repsol_4375378_3234.html