Pascal Junod est une personnalité politique suisse et avocat de renom. Il a compté parmi ses clients les plus illustres Roger Garaudy, Robert Faurisson ou Jean-Marie Le Pen. Aujourd’hui, il est l’avocat de l’un des deux jeunes en procès avec les autorités genevoises pour une affiche jugée antisémite [1]. Il a accepté de répondre en exclusivité pour Egalité & Réconciliation aux questions autour de ce procès, dont l’enjeu véritable est la liberté d’expression.
Maître Junod, pouvez-vous nous éclairer sur le rôle joué par des associations comme la LICRA et la CICAD dans cette affaire ?
Ces associations mémorielles sionistes, qui se parent du cache-sexe de l’antiracisme ou de la lutte contre l’antisémitisme, tablent à la fois sur la dérive émotionnelle suscitée par la déportation des juifs pour détourner le vrai débat et sur le registre de la délation systématique pour justifier ad nauseam une chasse aux sorcières au nom du « plus jamais ça ». Mais de moins en moins de gens sont convaincus et il suffit de surfer sur les réseaux sociaux pour se rendre compte des réactions à chaud que déclenchent ces campagnes qui prétendent dénoncer le retour des « heures les plus sombres de notre histoire ».
À chaque audience qui se tient à Genève ou devant la XVII Correctionnelle à Paris, pour prendre deux exemples que je connais bien, on commence par accuser les prévenus d’appeler à l’extermination des juifs ; puis on poursuit en rappelant que la famille des dénonciateurs, voire des plaignants, a péri à Auschwitz. À partir de là, la messe est dite et le droit n’a plus sa place dans les prétoires. Cette déclaration, qui phagocyte les plaidoiries à venir, se veut à la fois péremptoire en ce qu’elle clôt le débat et irréfragable en ce qu’elle interdit toute discussion de fond. Que la défense tente de répliquer, on lui opposera simplement que ses propos sont scandaleux et nauséabonds. Le diable ne saurait s’inviter à la barre. Or, dans une affaire toute récente, je m’étais contenté, pour éviter la polémique autour de personnalités controversées, de citer des membres emblématiques de la communauté, antisionistes d’une part, ultrasionistes de l’autre.
Annie Kriegel avait dit l’essentiel en 1990 déjà, lorsqu’elle dénonçait dans Le Figaro les méfaits des lois liberticides françaises. Tout est dit dans ce passage que j’ai cité à l’audience et qui s’adresse aussi aux magistrats mis devant leur responsabilité :
« En confiant au pouvoir judiciaire la tâche détestable de paraître traquer le délit d’opinion et d’expression, en espérant de la concurrence entre organisations “antiracistes” une obsessionnelle chasse aux sorcières qui présente les mêmes excès que n’importe quelle chasse de cette nature, en s’abritant derrière des institutions juives inquiètes pour légitimer une insupportable police juive de la pensée, Michel Rocard devrait s’interroger en conscience s’il ne se prête pas à une assez répugnante instrumentalisation des concepts de racisme et d’antisémitisme en vue d’objectifs peu avouables. » (Le Figaro, 3 avril 1990)
Dans votre plaidoirie vous avez dit que l’accusation jouait sur « une sémantique de culpabilisation ». Pouvez-vous développer ?
Je n’ai pas de souvenir précis de cette intervention, car je n’ai que peu de notes et développe ma plaidoirie en fonction des débats. Mais je me référais implicitement à la novlangue développée par Orwell dans son 1984. Qui maîtrise la langue, et donc le vocabulaire, maîtrise la pensée. Or, nous sommes précisément prisonniers de constructions sémantiques dont il est impossible de s’échapper, sauf à être soupçonné de pensées politiquement déviantes, et cela vaut bien entendu pour les avocats de la défense qui se risqueraient à vouloir sortir des sentiers balisés de la pensée unique. Je crois avoir invoqué les votations de 1994 sur l’article 261bis du Code pénal suisse, dite loi antiraciste, adoptée de justesse par le peuple qui avait été soigneusement conditionné dans cette sémantique de culpabilisation : on ne pouvait moralement que voter en faveur de cette disposition ; celui qui votait contre ne pouvait en son for intérieur qu’être, au mieux, un allié objectif des racistes et des antisémites, au pire, un nostalgique des persécutions antijuives. Je n’exagère pas ; qu’il suffise de relire certains médias de l’époque pour comprendre la monumentale campagne de formatage des esprits qui a précédé la votation. Même la droite populiste représentée par l’UDC de Blocher a alors appelé à voter oui pour de pas être accusée de racisme. Le même parti qui aujourd’hui demande l’abrogation de cette loi qu’il juge trop liberticide. Il fallait y penser avant.
Le procureur Olivier Lutz a dit que les prévenus agissaient sous le masque de l’antisionisme. Que lui répondez-vous ?
C’est un discours convenu qui fait l’économie d’une véritable réflexion quant au message véhiculé – lequel n’était au demeurant pas d’une grande finesse ni du meilleur goût, je l’ai dit –, posant notamment la question de la frontière qui sépare la libre critique politique, même si celle-ci paraît excessive ou intolérable, et les comportements susceptibles d’être réprimés par une norme pénale. Le Parquet, comme le Tribunal pénal se sont contentés de reprendre à leur compte la vision réductrice et partisane des dénonciateurs, oubliant ainsi la porosité qui existe dans le monde arabe et juif, entre laïcité politique et religion. Comment représenter des sionistes fondamentalistes israéliens autrement qu’avec les attributs de la religion juive ? C’est pour délimiter le cercle des personnes visées que le drapeau israélien a été ajouté sur le dessin. Ainsi on ne pouvait accuser les prévenus d’avoir voulu attaquer, ni les Israéliens spécifiquement (ce qui n’eût du reste pas constitué un délit), ni l’ensemble de la communauté juive (la présence du drapeau israélien interdit cette interprétation), ni les juifs en général (ce serait oublier par exemple les fondamentalistes religieux antisionistes de la diaspora qui manifestent régulièrement contre Israël), et cela aussi détestable que puisse paraître le dessin querellé.
Quel est le rôle joué par le contexte de politique internationale dans la réalisation de cette affiche ?
On peut considérer que le climat se radicalise dès 2009 avec l’opération Plomb durci menée par l’armée israélienne sur les territoires palestiniens, unanimement condamnée par l’opinion publique mondiale mais justifiée par les courroies de transmission usuelles du sionisme qui crient à la légitime défense. Malheureusement, on a ressenti que la machine était grippée et les milliers de cadavres de femmes et d’enfants qui accaparaient désormais les objectifs des journalistes parlaient d’eux-mêmes. Puis il y a eu les bateaux humanitaires chargés d’aide alimentaire et de médicaments qui se sont fait mitrailler, faisant d’autres morts civils. Le dessin qui fait l’objet d’un procès a été publié durant cette période troublée et émotionnellement chargée dans les deux camps.
En Suisse, la situation évolue vraisemblablement dès la fin des années 90 avec la fameuse affaire des fonds en déshérence qui amènera le Conseil fédéral in corpore à dénoncer les lobbys de la côte Est en parlant de véritable chantage. Un des responsables de la LICRA en Suisse, Philippe Kenel, déclarait récemment que si notre norme antiraciste devait être revotée aujourd’hui, il doute que le peuple l’accepterait. Dont acte.
L’article 261bis du Code pénal Suisse, norme pénale contre la discrimination raciale, a été utilisé par le Ministère public dans l’inculpation de votre client. Cette loi s’apparente-t-elle à la loi Gayssot en France ?
L’élaboration de cette norme fut un grand écart pour le législateur, qui devait garantir la liberté d’expression chère aux Suisse et réprimer des idées ou des comportements considérés désormais comme attentatoires à la dignité humaine de certaines catégories de personnes considérées en raison de leur race, leur ethnie ou leur religion. Le long message du Conseil fédéral est assez révélateur de cet accouchement pénible qui devait satisfaire à la Convention internationale en matière de discrimination raciale. La loi française y est bien entendu citée avec d’autres et l’article 261bis de notre code pénal s’en inspire, si ce n’est pas dans sa lettre, dans son esprit. Mais elle ne s’apparente pas, à proprement parler, à la loi Gayssot, du nom d’un député communiste. Cette dernière a des racines historiques assez différentes. Cette question nécessiterait néanmoins un trop long développement dans le cadre de la présente.
Quelle sera la suite de l’affaire si la Cour de Justice du Canton de Genève ne prononce pas l’acquittement à l’égard de votre client ?
Il ne faut jamais préjuger d’une décision judiciaire, mais tout dépendra des considérants de la Cour, attendu que le Tribunal fédéral, dernière instance fédérale, statue sur la base des faits établis par l’autorité cantonale, sous réserve d’une constatation manifestement inexacte qui relèverait de l’arbitraire. Donc, attendons.
Pour que nos lecteurs comprennent mieux de quoi il retourne, nous reproduisons ici l’affiche à titre purement informatif (NDLR) :