Minority Report version comique : quand Yves Calvi
tente de gonfler le « terrorisme » de l’ultradroite
Dans son émission de débats à sens unique sur BFM TV, car il n’invite que des experts spécialisés dans la dénonciation de l’extrême droite ou de l’ultradroite, alors qu’il s’agit généralement de militants nationalistes ou de simples patriotes, l’animateur pro-Système Yves Calvi se propose de rendre inquiétants les profils dont toute la presse aux ordres parle en ce moment : de Soral, dont le nom est cité parmi les méchants chaque jour, à Daillet, en passant par l’employé communal de Montauban, celui qui est actuellement en garde à vue pour possession d’armes et copier-coller d’articles sur la messagerie (très peu) cryptée Telegram. En avant dans le petit train de la fête foraine des producteurs d’inquiétude, avec Yves Calvi en chef de gare, Erwan Lecœur en sociologue tendance EELV, et Éric Denécé en directeur du Centre français de recherche sur le renseignement...
Calvi introduit le sujet brûlant, qui va très vite refroidir : « C’est donc un nouveau coup de filet dans la mouvance de l’ultradroite, deux hommes ont été interpellés… puis placés en garde à vue, des dizaines d’armes ont été retrouvées à leurs domiciles respectifs, ils échangent sur une messagerie cryptée. »
Son assistant Vincent détaille l’arrestation : « Ils ont été repérés parce qu’ils échangeaient des messages sur cette messagerie cryptée Telegram, et notamment des messages faisant allusion à l’achat d’armes, à l’achat de nombreuses armes, et en perquisition justement, chez l’un d’entre eux, les enquêteurs ont retrouvé de nombreuses armes à feu, de tous types d’ailleurs, des armes de chasse mais également d’autres types d’armes. Et les messages faisaient état aussi de projets d’actions violentes, c’est la raison pour laquelle les enquêteurs sont passés justement à l’action hier en les interpellant, et ils sont à l’heure actuelle dans les locaux de la DGSI… »
Une arrestation pour des « projets d’actions violentes », très vague, ça fait plaisir. On aurait aimé la même sévérité avec les terroristes du 13 Novembre, suivis, écoutés, et même convoqués parfois par les services franco-belges...
Calvi : « Alors ça fait des mois que les spécialistes du terrorisme français… alertent sur la possibilité d’actions violentes de l’extrême droite… »
Lecœur : « Euh, ce sont des gens qui peuvent être dangereux, à la fois par ce qu’ils peuvent faire, mais aussi parce qu’ils animent des réseaux qui de plus en plus sont internationaux. Donc d’abord ils sont dangereux parce qu’ils animent des réseaux d’échange d’informations, d’armes, de pratiques, oui d’échanges d’armes, ils récupèrent un certain nombre d’armes… Donc ce sont les échanges qui les rendent dangereux et surtout, le fait qu’ils se sentent pousser des ailes en regardant ce qui se passe ailleurs. D’une certaine façon ce qu’il s’est passé aux États-Unis avec la prise du Capitole, enfin l’assaut sur le Capitole, ce qui se passe sur les réseaux privés, les réseaux cryptés américains, ce qui se passe aussi dans certains autres pays d’Europe, en Suède on sait que l’extrême droite, ultradroite, est en revival, dans d’autres pays d’Europe également. Et puis il y a l’appui et le soutien d’un certain nombre de puissances, aujourd’hui, qui font que ces groupes, ces réseaux, peuvent trouver des financements qu’ils ne pouvaient pas trouver il y a 20 ou 30 ans. »
On aimerait en savoir plus sur ces financements occultes, mais on n’en sait pas plus. Ce qu’on sait, en revanche, c’est que ces groupes ou groupuscules sont quasiment tous infiltrés, et que le renseignement peut les faire tomber à tout moment, par exemple quand le pouvoir politique a besoin d’un contre-feu.
Calvi : « Mais ils sont nombreux ? On parle toujours de groupuscules, ne serait-ce que le terme de groupuscules semble vous voyez, traduire une réalité qui n’est pas perçue comme dangereuse, ou en tout cas analysée comme telle. »
Lecœur : « Le terme même de groupuscule est assez adapté puisqu’il s’agit en effet de groupes peu nombreux, quelques centaines de personnes en général, on l’a vu avec plusieurs faits divers, alors je dirais faits divers, c’est un peu plus que des faits divers, ces derniers mois. Le fait qu’ils ne soient pas nombreux fait partie de leur dangerosité, parce que quand on a des groupes nombreux, on se souvient de Maxime Brunerie qui voulait assassiner le chef de l’État, Jacques Chirac, avec une fusil de chasse, il appartenait à un groupe beaucoup plus nombreux et d’une certaine façon il aurait pu être beaucoup plus facilement démasqué par tous les gens qui le côtoyaient. Quand ils sont peu nombreux eh bien on a le phénomène de la petite cellule qui s’auto-institue et qui va avoir une action extrêmement radicale. Et puis je rappelle que nous sommes dans des pays où nous avons oublié que la violence politique existe, elle a existé dans les années 60 et 70 en France, l’ultradroite a fait des morts, a fait des attentats, aujourd’hui nous ne sommes plus habitués à ça donc en effet la DCRI et d’autres services demandent à des chercheurs de plus en plus “est-ce que ça ne vaudrait pas le coup qu’on remette ces gens dans le, dans le faisceau” parce que on les avait un peu perdus de vue ces 20 dernières années, oui. »
Calvi : « Vincent, un groupuscule a été dissout aujourd’hui même. »
Vincent : « Oui alors une association, l’association Alvarium qui était basée à Angers, c’est Gérald Darmanin lui-même qui l’a annoncé sur Twitter… C’est une décision du Conseil des ministres et ça fait suite à toutes ces associations qui ont été dissoutes ces derniers mois, on a parlé de AFO, on a parlé du Bastion social, de Génération identitaire, et là c’est un groupe qui agissait à Angers, qui a été qualifié de “prêcheurs de haine” par le maire de la ville Christophe Béchu, et il comportait des membres qui ont été condamnés à de plusieurs reprises pour des faits. Pour vous donner une idée, ils ont notamment violenté un homme à qui ils ont obligé de faire un salut nazi, ça c’est pour vous donner une idée de l’idéologie de ces gens-là. »
Nous comprenons, malgré le français imparfait de Vincent, l’extrême violence de l’Alvarium, qui pourtant faisait dans le social... L’émission commence à peine qu’elle décolle dans l’irréel. On va passer maintenant aux nombreux attentats déjoués de l’ultradroite, qui ont fait des centaines de morts toujours vivants.
Fautes de vrais attentats, on prend les attentats déjoués
Calvi : « Magali, quels sont les derniers attentats d’ultradroite déjoués ? »
Magali : « Alors sans parler de la dernière affaire, depuis 2017 six attentats émanant de la mouvance d’ultradroite ont été déjoués sur le sol français… »
Que de vies sauvées !
Calvi : « Éric Denécé, on vient d’entendre là une liste qui est sur le papier effrayante et effarante, alors qu’on est dans un pays où on s’inquiète facilement de tout et parfois un peu de rien, est-ce qu’on a ignoré cette mouvance d’extrême droite qui reste dangereuse ? »
Calvi tente, avec des qualificatifs qui font peur, de monter une inquiétude médiatique, une cabane de bric et de broc. Il faut du sang, malheureusement, il n’y en a pas.
Calvi : « Mais comment travaillent les services de renseignement pour traquer ces groupuscules ? »
Denécé : « Alors de plus en plus on fait de la surveillance électronique, par Internet, d’ailleurs l’exemple est très intéressant, la DGSI est capable de décrypter Telegram. »
Calvi : « C’est ce que je voulais vous dire, Telegram n’est pas si impénétrable ! Les experts en cybercriminalité sont en train de craquer cette messagerie ! »
On apprend donc qu’il ne faut plus utiliser Telegram, ce qu’on savait déjà.
On a alors l’interview de la voisine de l’homme interpellé à Montauban : « C’est une personne qu’on croisait au niveau de la boîte aux lettres pour prendre les courriers, il ne donnait pas du tout, il était très calme, très correct. »
Un voisin : « On n’a rien vu de suspect… C’est pas quelqu’un qui se mêlait à la communauté de la résidence, donc, pas grand-chose. »
Des informations de première main, essentielles pour l’enquête de l’antiterrorisme. Hélas, le journaliste de La Dépêche du Midi qui a levé ce lièvre à Montauban, Max Lagarrigue, va gâcher la fête organisée par Yves, qui a pourtant invité Max. Les gens ne savent plus se tenir, aujourd’hui.
Lagarrigue : « Après je pense qu’il faut être mesuré sur les éléments qui ont été communiqués encore sur le plateau, c’est un homme quand même qui n’a jamais fait parler de lui donc effectivement il est sur une messagerie cryptée Telegram mais cette messagerie c’est des forums, dont il a tendance plutôt à faire des copier-coller de textes antisémites et racistes, sans pour autant en être l’auteur. Après effectivement son cas est assez particulier parce qu’il s’est radicalisé sur les réseaux sociaux depuis 5 ans à peu près, c’est un lecteur de Céline. »
Calvi : « Alors si tous les lecteurs de Céline étaient des fachos, ça se saurait. En tout cas c’est une source qui peut impressionner, vous avez compris qu’on avait une rupture de faisceau. Non moi ce qui me frappe c’est que on a découvert chez lui quand même ; voilà, un arsenal apparemment, enfin, très très important ! non ? »
Vincent réagit à peine à cette perche, il ne panique pas . Son chef reprend, pour faire monter encore la mayonnaise :
Calvi : « Comme beaucoup de Français, enfin moi j’ai pas ça [un stock d’armes, NDLR] chez moi, vous voyez. »
Denécé enfonce malgré lui l’animateur qui tente réveiller la psychose du terrorisme d’extrême droite, très endormie, voire défoncée aux somnifères : « Oui mais le Sud-Ouest c’est une zone de chasse, aussi… qui n’exclut rien ! »
Et Denécé de rappeler à Calvi, qui tente de l’embarquer dans une fabrication de psychose, l’affaire du terrorisme d’ultragauche de Tarnac, qui a fini en eau de boudin.
Tout vire au gag dans cette émission, quand Calvi, qui reconnecte avec Lagarrigue, tente de lui faire dire la dangerosité des armes du collectionneur.
Calvi : « J’allais vous parler des explosifs mais c’est la liaison qui a, une seconde fois, explosé. »
L’animateur cherche des appuis feux partout, mais personne ne répond à sa demande un peu forcée. Même son sherpa, le jeune Vincent, n’arrive pas à faire remonter une mayonnaise qui s’est définitivement effondrée, faute de structure et de cohérence. Et surtout de sérieux. Heureusement, pour le retour du sérieux, on a le concept d’accélérationnisme.
Calvi : « Alors Erwan Lecœur là on a affaire à des suprématistes dits accélérationnistes. »
Lecœur ne peut pas s’empêcher de sourire.
Calvi, courageux, reprend : « C’est terrible parce que même les termes employés et employés par eux, voilà, ne contribuent pas à les prendre au sérieux d’une certaine façon… »
Nous non plus, on n’arrive pas à rendre au sérieux l’émission de bidonnage total et de construction d’un complot d’UD (ultradroite) contre la République ! Justement, à propos de République, une mise au point intelligente de Charlotte d’Ornellas…
Notre littérature est française, elle n'est pas républicaine.
On ne parle pas le républicain, on parle le français.
Notre gastronomie est française, elle n'est pas qualifiée de républicaine dans le monde. pic.twitter.com/tcCspxjpkE— Charlotte d'Ornellas (@ChdOrnellas) December 2, 2021
Suit un long topo sociologique de Lecœur sur les « ratés » (les individus d’extrême droite, ce vivier de « frustrés ») qui ont envie de se venger contre ceux qui réussissent, c’est-à-dire les élus, avec ou sans majuscule.
Calvi, infatigable, remet une pièce dans le distributeur à psychose : « Éric Denécé, est-ce qu’il y a une inquiétude particulière en ce moment, on va dire des services de renseignement, sur cette frange et sur cette poussée de l’ultradroite, je sais plus comment la qualifier ? »
Une pincée de Soral, et ça repart !
Denécé ajoute une pincée de Soral dans la marmite, qui peine à bouillir : « Il y a cette perception d’avoir un pays qui part à vau-l’eau et qui vient s’ajouter à ce que vous décriviez en plus et qui les rend encore plus frustrés et qui les amène à rechercher, il y a d’autres courants, on n’a pas parlé de Soral ce soir, mais qui viennent en plus nourrir ce genre de débats, rappelons que lui-même a été condamné il y a quelque temps. »
Le concept de complotisme a mis du temps à émerger de la soupe calvique, mais il arrive.
Lecœur : « Je pense que le complotisme est un terme un petit peu ingrat et qui ne dit pas exactement la réalité. Parce qu’il y a un certain nombre de complots qui doivent être déjoués, dans le monde. Je parlerais plutôt de confusionnisme. C’est-à-dire que il y a un moment où les gens commencent à faire de la confusion complète entre des grandes mythologies assez anciennes et des réalités d’aujourd’hui. Là, bien sûr que Fox News et tout un tas d’autres médias ont alimenté ces théories non pas du complot mais de la confusion complète où en effet dans laquelle il y a des complots mais il y a aussi des choses absolument fantaisistes sur les pizzerias, les sous-sols de pizzerias, des choses comme ça, il y a des choses autour des X-Files, je parlais de la fiction, la série X-Files a été une série emblématique de ça. (…)
La confusion qui règne à travers les nouveaux médias, à travers le fait qu’il n’y a plus de régulation, notamment historique, quelle est la vérité historique s’il en est une, et puis le fait aussi qu’un certain nombre de personnalités dans le champ politique disent c’est moi qui ai raison parce que je considère que l’Histoire c’est celle-là et pas une autre, à l’encontre de ce que les historiens racontent, eh bien ça crée du confusionnisme, beaucoup plus peut-être que du complotisme et en effet l‘extrême droite s’est infiltrée dans ces milieux-là, pas que l’extrême droite mais en partie aussi les gens d’extrême droite, se sont infiltrés là et racontent une histoire qui est parfois un petit peu provocante et qui peut provoquer un certain nombre de… »
Calvi, atterré, lit l’inquiétant panneau : « Un Français sur deux pense que les élus sont des marionnettes d’un gouvernement secret, un Français sur deux ? »
Lecœur : « Excusez-moi, c’était quand même une grosse blague d’une émission qui s’appelait Les Guignols de l’Info. Et ils montraient, ils mettaient en scène un gouvernement secret dont un certain nombre de personnages faisaient partie, et c’était très drôle à l’époque ! Mais je suis en train juste, en termes de sociologie et d’analyse de ce qui forme le substrat culturel d’une société à un moment donné, l’imaginaire se nourrit de bien bien des choses. Et donc que ce soit Les Guignols de l’Info, le Canard enchaîné ou Valeurs actuelles ou un tas d’autres publications, eh bien les gens font un mélange de tout cela et essayent de se recomposer en effet une nouvelle façon de comprendre ces histoires qu’ils ne comprennent pas, ce qu’on appelle la foire au sens. On a beaucoup plus d’infos, et on ne sait plus quoi en faire. »
Le « on » parle pour lui.
Calvi clôt l’émission de la peur : « Est-ce qu’on a tort effectivement, c’est ce que je ressens après vous avoir écoutés, de les sous-estimer, parfois même de les caricaturer dans leurs propos, même quand ils semblent, ils nous paraissent ridicules ou que leurs peurs nous paraissent invraisemblables ? »
Denécé : « Les caricaturer non parce qu’il y a quand même une grande différence entre les leaders d’opinion dans ces mouvements-là qui ont des pensées très structurées, qui ont des, on est d’accord ou on n’est pas d’accord mais il y a une vraie réflexion, et puis bien sûr toute la masse qui va suivre et qui est au sens propre endoctrinée comme on le voit dans tous les mouvements extrémistes de toute façon. Donc y a des individus extrêmement dangereux [pour qui ? NDLR] à la tête de ces mouvements-là, y a des individus qui peuvent être dangereux parce qu’ils peuvent être entraînés, y a une menace qui est réelle, il s’agit de la prendre avec mesure, on n’est pas confrontés au parti nazi mais on ne doit pas baisser la garde pour autant. »
Une menace pour qui ? Et à qui pense Denécé lorsqu’il parle des « leaders d’opinion dans ces mouvements-là qui ont des pensées très structurées, on est d’accord ou on n’est pas d’accord mais il y a une vraie réflexion » ?
Pour achever ce gag, la « prise » – celle de Montauban – fait penser à celle de Castex qui parlait d’une victoire des Stups pour trois grammes de shit et 50 euros en liquide, avec une fourchette de cantoche en guise d’arme de poing… On exagère à peine.
[Trafic de drogue]#Castex vs #Darmanin
Au moins un des deux est ridicule. pic.twitter.com/qbnzHbM0mv
— Caisses de grève (@caissesdegreve) October 1, 2021
En conclusion, et pour en revenir au sérieux, le renseignement montre une vélocité et une efficacité redoutables quand il s’agit d’appréhender des pas-encore-terroristes. En revanche, pour les vrais terroristes, ceux dont les commanditaires se perdent dans les « failles » du renseignement, malgré toutes les écoutes, les interceptions et les convocations, on est nettement moins efficace. C’est dommage. Surtout pour les vraies victimes.
Dans cette émission grotesque de bout en bout, le pauvre Calvi rame en essayant d’inventer un terrorisme d’ultradroite aveugle et meurtrier, alors que des troisièmes couteaux se font gauler pour la galerie. Un exercice de bidonnage lamentable à tous points de vue, qui nous fait penser que le pouvoir a demandé que le renseignement sorte quelques affaires à la noix pour y associer tous les mal-pensants du moment.
C’est pourquoi le plateau évoque Alain Soral, à la fin, qui n’a jamais appelé à prendre les armes, et encore moins au terrorisme. Il ne reste que l’amalgame grossier pour tenter de constituer une menace qui plane sur la France, alors que la vraie menace terroriste réside dans les « failles » des services de renseignement.