Les propos d’Éric Zemmour affirmant lors d’un récent débat que « Pétain avait protégé les Juifs français » lui ont valu une volée de bois vert, assortie des accusations habituelles, de « collaborationnisme, de pétainisme et de négationnisme ». L’ensemble de la classe politique s’est offusquée de ses affirmations, trop heureuse de trouver un angle d’attaque pour disqualifier le polémiste-essayiste, chassant sur les terres gardées des politiques. Éric Zemmour a évidemment cherché la provocation dans ses propos « sans filtre », mais, pour autant, a-t-il totalement tort ? Plutôt que de se contenter de jugements tout faits et de clichés, il serait plus utile d’examiner, en analysant les travaux des historiens, la réalité de la question juive à cette époque en France.
Les sources de documentation sont abondantes, mais c’est l’ouvrage monumental écrit par Raul Hilberg qui va nous apporter une foule de renseignements sur la situation des Juifs en France pendant cette période. Nous allons essayer, car le sujet est très complexe, de résumer, autant que faire se peut, les observations de l’auteur sur cette question.
D’emblée, dans le chapitre consacré à la déportation des Juifs de France, l’auteur écrit :
« En France, le processus de destruction des Juifs fut le résultat de l’armistice franco-allemand. Pour les autorités françaises qui prirent les rênes du gouvernement en juin 1940, la défaite était sans appel, la guerre irrévocablement perdue. De 1940 à 1944, le rapport inégal entre vainqueur et vaincu se traduisit par un flot continu d’exigences de la part des Allemands auquel on aurait difficilement pu s’opposer. Au nombre de ces exigences figurait la destruction des Juifs.
Dans ses réactions aux pressions allemandes, le gouvernement de Vichy tenta de maintenir le processus de destruction à l’intérieur de certaines limites, avec pour objectif de retarder l’évolution du processus dans son ensemble. Quand la pression allemande s’intensifia en 1942, le gouvernement de Vichy se retrancha derrière une seconde ligne de défense. Les Juifs étrangers et les immigrants furent abandonnés à leur sort, et l’on s’efforça de protéger les Juifs nationaux. Dans une certaine mesure, cette stratégie réussit. En renonçant à épargner une fraction, on sauva une grande partie de la totalité ».
Raoul Hilberg rapporte comment, durant l’été 1942, la pression des autorités allemandes se fit plus insistante. Elles notifièrent au chef du gouvernement Pierre Laval leur décision de déporter tous les Juifs, hommes, femmes et enfants, résidant en France. Il ne serait fait aucune distinction entre les Juifs de nationalité française et les autres.
« Sur ce, Laval intercéda auprès du chef suprême des SS et de la Police, Oberg, pour sauver la situation. Oberg proposa un compromis. Si la police française garantissait sa collaboration, on n’arrêterait, pour l’instant, que les Juifs apatrides. Laval devait maintenant prendre une “décisions rapide.” Il décida de sauver les nationaux et de laisser la police participer aux rafles. Dans les Mémoires qu’il rédigea dans le quartier des condamnés à mort après la Libération, il justifiait ainsi son choix ».
« Je ne pouvais agir autrement que je l’ai fait sans sacrifier nos nationaux dont j’avais d’abord la garde. Le droit d’asile n’a pas été respecté. Comment pouvait-il l’être dans un pays occupé par l’armée allemande, et comment les Juifs pouvaient-il être protégés dans un pays où sévissait la Gestapo ?«
Raoul Hilberg précise que les Allemands se heurtaient à une difficulté évidente, à savoir l’insistance des Français à vouloir effectuer une distinction entre Juifs français et Juifs étrangers ou apatrides.
« Les discussions sur cette question ne donnèrent aucun résultat. Pétain était opposé à la déportation des Juifs français et la bureaucratie de Vichy ne tenait pas à agir contre la volonté du maréchal. Le chef suprême des SS et de la police, Oberg, informa alors Himmler de la situation. Ce dernier fit marche arrière et accepta, pour le moment, de ne déporter aucun Juif de nationalité française. »
[...]
Pour la petite histoire, Hilberg rapporte qu’un dignitaire nazi, dans une lettre adressée à Himmler le 25 juillet 1944, exprimait sa stupéfaction de constater qu’il restait encore des Juifs en France après toutes ces années d’occupation ! Gêné, Himmler répondit seulement que l’évacuation de tous les Juifs de France était « extrêmement difficile » en raison des « rapports très tendus » (il faut comprendre entre les autorités allemandes et françaises). Himmler ajoutait, (sans doute pour se justifier) que les SS réussissaient beaucoup mieux en Hongrie…
L’auteur ajoute qu’en Hollande les Allemands avaient déporté plus des trois quarts des Juifs ; en France les statistiques étaient exactement inverses !
Voici les chiffres indiqués par Raul Hilberg :
En Hollande, la communauté juive comptait environ 140 000 personnes
Un total de 105 000 Juifs furent déportés depuis les Pays-Bas, soit environ les ¾.
En France, la zone occupée comptait 165 000 Juifs et la zone non occupée 145 000 environ
En additionnant les deux zones et les départements incorporés dans la zone belge occupée, le nombre des déportés se montait à plus de 75 000, soit près du quart de la population juive – résidents et refugiés – présente sur le territoire français à l’été 1940 ; page 1216.
L’auteur ajoute que deux tiers des déportés étaient des étrangers ne possédant pas la nationalité française.
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