« À quoi ressemblerait une guerre entre la Russie et les États-Unis ? » Ce doit être la question qu’on me pose le plus souvent. C’est aussi la question à propos de laquelle j’entends les réponses les plus bizarres et les plus mal informées.
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Tout ce que je propose aujourd’hui, est de déconstruire quelques clichés populaires sur la guerre moderne en général. Mon espoir est que, par ce travail, vous puissiez vous emparer de quelques instruments indispensables pour vous frayer un chemin dans les absurdités que les médias commerciaux aiment à nous présenter comme des analyses.
Cliché No 1 : l’armée US a un immense avantage conventionnel sur la Russie
Tout dépend de ce que vous entendez par avantage. Les forces armées étasuniennes sont beaucoup plus importantes que les russes, c’est vrai. Mais, contrairement aux forces russes, elles sont réparties sur toute la planète. Dans la guerre, ce qui compte, ce n’est pas la taille de votre armée, mais quelle part de celle-ci est effectivement disponible pour combattre sur le théâtre des opérations militaires (TOM, zone de conflit). Par exemple, si sur un TOM donné, vous n’avez que deux aérodromes capables chacun de soutenir des opérations aériennes pour, disons, 100 avions, cela ne vous servira à rien d’avoir 1000 avions disponibles. Vous devez avoir entendu la phrase « les civils se concentrent sur la puissance de feu, les soldats sur la logistique ». C’est vrai. Les armées modernes sont gourmandes en soutien logistique, ce qui signifie que pour un tank, un avion ou une pièce d’artillerie, vous avez besoin d’une ligne d’approvisionnement immense et complexe, pour permettre au char, à l’avion ou à la pièce d’artillerie d’opérer de manière normale. Pour le dire simplement, si votre char manque d’essence ou de pièces de rechange, il s’arrête. Donc cela n’a aucun sens de dire, par exemple, que les États-Unis ont 13 000 avions et la Russie seulement 3 000. Ce pourrait bien être vrai, mais c’est aussi non pertinent. Ce qui importe, est seulement combien d’avions les États-Unis et l’Otan peuvent engager au moment du lancement des opérations de combat et ce que serait leur mission. Les Israéliens ont une longue histoire de destruction des forces aériennes arabes au sol plutôt que dans les airs, dans des attaques surprises qui sont la meilleure façon de dénier l’avantage numérique d’un adversaire. La réalité est que les États-Unis auraient besoin de nombreux mois pour rassembler en Europe occidentale une force qui aurait même un espoir marginal de l’emporter sur l’armée russe. Une autre réalité est que rien ne pourrait forcer les Russes à rester assis à observer, alors qu’une telle force est en train d’être rassemblée (la plus grande erreur commise par Saddam Hussein).
Cliché No 2 : un attaquant a besoin d’un avantage de 3 contre 1 ou même de 4 contre 1 sur le défenseur
Bon, c’est un peu vrai, en particulier au niveau tactique. C’est souvent utilisé comme une règle générale empirique, qu’être en position de défense vous donne un avantage de 3 contre 1, ce qui signifie que si vous avez un bataillon en défense vous pourriez avoir à peu près trois bataillons en attaque pour pouvoir espérer une victoire. Mais en regardant les choses à un niveau opérationnel ou, même plus, stratégique, cette règle est totalement fausse. Pourquoi ? Parce que le camp défensif a un immense désavantage : c’est toujours l’attaquant qui peut décider de quand attaquer, où et comment. Pour ceux qui sont intéressés à ce sujet, je vous recommande vivement le livre Surprise Attack : Lessons for Defense Planning de Richard Betts, qui, bien que relativement ancien (1982) et très centré sur la Guerre froide, propose une discussion très intéressante et approfondie sur les avantages et les risques d’une attaque surprise. C’est un sujet passionnant que je ne peux pas discuter en détail ici, mais permettez-moi seulement de dire qu’une attaque surprise menée avec succès, nie presque totalement l’avantage des rapports de force théoriques pour le défenseur. Je vous donne un simple exemple : imaginez une ligne de front de 50 km, sur laquelle chaque tronçon de 5 kilomètres est défendu des deux côtés par une division. Donc chaque camp a 10 divisions, chacune responsable de la défense de 5 km de front, d’accord ? Selon la règle des 3 contre 1, le camp A a besoin de 30 divisions pour vaincre les 10 divisions en défense, c’est juste ? Faux ! Ce que le camp A peut faire, est de concentrer 5 de ses divisions sur un front large de 10 km et de mettre les cinq autres à la défense. Sur ce front de 10 km côté attaque, il a maintenant 5 divisions attaquantes contre 2 en défense tandis que sur le reste du front, le côté A a 5 divisions en défense contre 8 divisions attaquantes (potentielles). Notez que maintenant le côté B n’a pas un avantage de 3 contre 1 pour vaincre les défenses du côté A (la proportion actuelle est maintenant de 8 contre 5). En réalité, ce que fera B est de lancer davantage de divisions pour défendre l’étroit secteur de 10 km mais cela, à son tour, signifie que B a maintenant moins de divisions pour défendre le front entier. À partir de là, vous pouvez faire plusieurs hypothèses : le côté B peut contre-attaquer au lieu de défendre, il peut défendre en profondeur (à divers échelons, 2 ou même 3), le côté A pourrait aussi commencer par faire semblant d’attaquer sur un secteur du front pour ensuite attaquer ailleurs, ou le côté A peut envoyer, disons, un bataillon renforcé pour se déplacer très rapidement et créer le chaos profondément dans la défense de B. Ce que je veux dire ici, est simplement que cette règle des 3 contre 1 est purement tactique et que dans la guerre réelle, les rapports de force (normes) exigent des calculs plus développés, en y incluant les conséquences d’une attaque surprise.
Cliché No 3 : la haute technologie l’emporte
C’est une affirmation extraordinairement fausse, et pourtant ce mythe est érigé en dogme parmi les civils, en particulier aux États-Unis. Dans le monde réel, les systèmes d’armes sophistiqués, aussi précieux soient-ils, présentent aussi une longue liste de problèmes, le premier étant tout simplement leur coût.