Sous l’impulsion d’Angela Merkel et de François Hollande, l’Union européenne est parvenue à imposer des quotas de migrants aux pays membres. Certains partis politiques, surtout en Europe centrale, ne l’entendent pas de cette oreille. Entretien avec le président du Parti communiste tchèque, Vojtěch Filip, qui est également vice-président de la Chambre des députés tchèque.
À propos des quotas, vous avez des mots plutôt durs à l’encontre du Premier ministre tchèque en écrivant qu’il avait « trahi ses propres citoyens [1] ». D’après vous, quelles sont les raisons qui l’ont poussé à adopter une attitude qui va à l’encontre de la volonté du peuple tchèque ?
La République tchèque, la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie ont convenu qu’il est nécessaire de rejeter le quota, qui est une décision directive et une redistribution insensée de réfugiés entre les États membres de l’UE. Les quotas ne résolvent pas le problème, au contraire, ils l’approfondissent (personne n’a encore sérieusement considéré le côté pratique des choses, à savoir de maintenir les réfugiés dans un pays où ils ne souhaitent pas rester). Cependant, malgré un accord conclu par le groupe V4, le Premier ministre tchèque a changé radicalement d’opinion sous couvert de « prévenir une nouvelle escalade de la situation en Europe ». Il a changé son point de vue à l’instar de la Pologne qui, au lieu de défendre ses propres intérêts, a défendu les intérêts des États-Unis. Évidemment, tout cela aura un coût pour la Pologne. Il est impossible de ne pas se poser la question à propos des bénéfices attendus par le Premier ministre tchèque, à moins qu’il ne s’agisse d’une crainte de pressions américaines, d’écoutes et d’autres méthodes étranges utilisées par les États-Unis à l’égard de leurs soi-disant alliés.
Le jeune social-démocrate Radek Hlaváček affirme qu’une société saine est capable d’accueillir un nombre illimité de personnes, de n’importe quelle nationalité ou religion [2]. Que lui répondez-vous ?
M. Hlaváček a soit peu d’imagination soit peu d’expérience. Par exemple, on peut imaginer qu’une nation d’une dizaine de millions d’habitants, une société saine d’après M. Hlaváček, reçoive trente millions de réfugiés et devienne une minorité dans son propre pays. Je pense que cela apporterait des problèmes, des tensions entre les deux groupes. L’objectif du premier groupe serait de défendre ses droits historiques sur le pays, sa culture et sa religion, ou le droit de ne professer aucune religion, tandis que l’autre groupe pourrait commencer à faire valoir sa supériorité numérique, qui deviendrait un avantage dans la promotion de sa culture et de sa religion obligatoire. Pour revenir aux propos du jeune politicien, je me dois de rejeter de telles déclarations populistes. Nous, membres du Parti communiste, exigeons de trouver des solutions conceptuelles, construites principalement sur l’équilibre entre responsabilité et solidarité et sur l’élimination des causes des crises humanitaires. Il ne suffit pas juste d’en atténuer les conséquences, et les mots vides de sens ne résolvent rien du tout.
Dans les années 80, Georges Marchais mettait déjà en garde contre l’immigration [3]. Pensez-vous qu’il était visionnaire ?
Vous avez raison de faire un rappel historique parce que l’immigration n’est pas quelque chose de nouveau. Les gens se sont toujours déplacés au cours de l’histoire de l’humanité. Ce qui est important, cependant, ce sont les circonstances dans lesquelles le mouvement se produit, les motivations et les objectifs de ceux qui quittent leurs maisons pour s’installer ailleurs. Il est toutefois important d’avoir à l’esprit que même la situation chaotique actuelle ne justifie pas la propagation de la xénophobie. La déclaration de Marchais se fonde clairement sur la prise de conscience qu’une guerre entre pauvres est un moyen de détourner l’attention des véritables causes des catastrophes sociales et humanitaires qui provoquent des vagues migratoires. Et il faut aussi dire clairement qu’il est nécessaire de respecter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’article 1 stipule que chaque nation a le droit d’avoir son propre régime politique et d’exploiter ses ressources naturelles [4]. Cet engagement juridique international n’est toutefois pas respecté par « les exportateurs de la soi-disant démocratie de la civilisation euro-atlantiste qui n’existe pas ». À l’aide de la puissance militaire, ils imposent aux autres peuples leur mode de vie, qui est à son tour rejeté par la force et par d’autres méthodes par les résidents de ces pays désagrégés.
L’homogénéité de la société tchèque est notamment le résultat de 41 ans de régime communiste. Pensez-vous que la société tchèque en soit consciente ?
Je ne sais pas comment vous en arrivez à une telle conclusion ; je ne suis pas sûr de la véracité d’une telle déclaration. Depuis longtemps, notre société est à la croisée des intérêts de certains peuples en Europe, empreints par l’hégémonie. Le fait d’être à l’intersection de leurs intérêts nous a grandement affecté, c’est pourquoi je ne qualifierais pas la société tchèque d’homogène. Nous comptons un large éventail de minorités en République tchèque, des Slovaques, des Ukrainiens, des Vietnamiens, etc. Par ailleurs, le plus haut degré d’homogénéisation ne résulte pas de la décision d’un quelconque gouvernement tchèque ou tchécoslovaque, mais il est le résultat d’une décision des puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale lors de la Conférence de Potsdam.
Est-ce que le Parti communiste tchèque va s’allier avec d’autres partis politiques pour faire échouer le projet de quotas de migrants imposé par l’Union européenne ?
Notre position sur les quotas et en particulier sur l’obligation de s’attaquer au problème à la source est connue depuis le début de cette prétendue crise migratoire. La coopération destinée à mettre les choses en œuvre ne sera évidemment pas refusée. Nous agissons toujours en fonction des intérêts des citoyens de notre pays et résolvons ces questions fondamentales avec objectivité et pas en fonction de celui qui énonce une proposition.
D’après-vous enfin, quelles sont les responsabilités de la politique américaine dans la crise migratoire actuelle en Europe ?
La politique étrangère américaine déstabilise depuis longtemps les pays depuis lesquels partent les migrants vers l’Europe, à savoir La Libye, la Syrie, l’Iraq ou l’Afghanistan. Par conséquent, je ne considère pas la responsabilité des États-Unis comme un hasard mais comme une intention. Aux États-Unis prévaut encore l’idée selon laquelle la guerre doit se mener hors du territoire et qu’il ne reste plus qu’à faire du profit avec chaque conflit. Les événements de la dernière décennie prouvent cependant à quel point cette opinion est naïve et stupide. Il faut avoir conscience que la cause principale de la crise est la politique de la puissance impériale. L’aide au développement international devrait donc provenir principalement des pays qui ont perturbé l’équilibre et causé des désagrégations à l’aide d’actions militaires sans mandat de l’ONU.
Propos recueillis et traduits du tchèque pour E&R par Alimuddin Usmani, le 30 septembre 2015.