Notre Premier ministre prépare la sortie d’un recueil de ses discours pour le 6 janvier 2016, pile dans l’Épiphanie. S’il se voit déjà en roi, il ne peut s’agir que d’une coïncidence, tant le nervi du lobby a laissé les Femen souiller les églises impunément depuis deux ans. Le même jour, sort la satire politique de Patrick Rambaud sur Hollande – avec l’inoubliable marquise de Pompatweet –, dit François le Petit. Le Hollande bashing étant à la mode, la plume en or de Rambaud devrait trouver son public. Sous Sarkozy, il avait tranché la vie de la cour en plusieurs volumes, car il y avait de quoi : coucheries infernales, trahisons florentines, déconnades à la pelle, du bon gros matériau pour l’un de nos meilleurs romanciers. Ceux qui en douteraient, ou qui ignorent le pedigree, qu’ils lisent La Bataille. Ça tombe bien, les Corses ont remis l’Empereur à la mode.
On ne s’abaissera pas à lire les discours ronflants de Manu-la-Tremblote, prononcés à l’occasion des attentats de janvier et de novembre, pathétique coup d’édition dans l’eau. La République de Valls, on sait ce que ça veut dire, et ça ne nous concerne pas, comme 99% des Français. Guy Carlier et Stéphane Guillon nous avaient aussi resservi en livres leurs pitoyables chroniques radio. Paresse et bassesse sont bien les deux mamelles du showbiz politico-médiatique. La seule drôlerie chez Valls, c’est le titre : L’Exigence. Il y signera une préface, qu’on subodore époustouflante, et qui servira à faire revivre « l’esprit du 11 janvier », un truc suffisamment nébuleux pour faire rêver. Qui sait ce que ça représente. Peut-être les millions de Français qui s’étaient retrouvés dans la rue, pour conjurer le sort, faire revivre la mémoire des dessinateurs morts et des autres victimes moins connues, mais sûrement pas pour voter pour les escrocs récupérateurs, venus des quatre coins du monde.
Détestable image que celle de « nos » dirigeants, en grappe autour de Bibi, se tenant les coudes, venant jouir du besoin de sécurité d’un peuple sous le choc, et profiter de son besoin de fraternité… Écœurant jusqu’à la garde. Heureusement, Grasset nous apprend que les droits du livre seront intégralement versés aux « associations de soutien aux victimes ». Un beau geste du Premier ministre, qui ne lui coûtera qu’une préface, qui ne sera probablement même pas écrite par lui…
Quant à Hollande, le facile-à-railler, qui ne lit même pas, comment voulez-vous qu’il soit capable de vision et d’indépendance dans la politique extérieure française, et d’imagination à l’intérieur. Pas la peine d’insulter nos hommes politiques, la honte qu’ils nous font ressentir (c’est bien la nôtre) se suffit à elle-même. Nous avons globalement mérité ces guignols, et nous ne méritons visiblement pas mieux. Que les Français en recherche d’emploi qui écrivent par milliers à l’Elysée se ressaisissent : les services du président se torchent avec vos lettres. Prenez-vous en main, crédules que vous êtes. La seule chose à faire, si vous voulez être utiles, c’est d’envoyer du PQ à l’Élysée. Au moins se torcheront-ils vraiment avec vos missives dégoûtantes de soumission. Comment peut-on encore croire une seconde à ces employés ?
À ces hommes politiques complètement déculturés, et qui font semblant d’écrire, parce que vous voyez, Madame, en France, il faut écrire son livre. Cela ne changera pas le marché de l’édition, qui en 25 ans, a doublé son volume de production, sans augmenter le nombre de ses lecteurs. Les tirages moyens ont été divisés par deux, tout simplement. Et comme 1% seulement de la masse des manuscrits proposée est édité, il pourrait y avoir 100 fois plus de livres. Ce qui n’empêche pas les candidats aux prix littéraires (trafiqués) de s’auto-éditer, puisque sur le Net, tout est possible, jusqu’aux tirages à 20 exemplaires, pour la famille et les amis. Et pourquoi pas ? Tant que les Français liront et écriront, ils seront un peuple intelligent. Et on dit ça sans ironie. Mieux vaut désirer écrire, et passer à l’acte, plutôt que de faire semblant, comme Valls, d’être un intellectuel.
Selon BFM, ce sont plutôt des femmes, aisées et âgées, qui achètent les livres. Avis aux amateurs : si vous voulez percer, inventez une histoire qui fait rêver les bourgeoises (sexe, pouvoir et argent, à l’image des délicats brûlots de Rambaud). D’où le succès inespéré de 50 Nuances de gris, le roman de gare parfait pour branlothèque. Le vieillissement du lectorat cache une réalité, que les journalistes mainstream ne peuvent pas voir, estimant que le lectorat ne se renouvelle pas. Or, les jeunes lisent aujourd’hui sur Internet, car il y a du texte, et en fait, ils n’ont jamais autant lu. Cela n’empêche pas de regarder des films, des vidéos et des jeux. Mais d’éternels extraits sont là pour appâter le chaland, et le diriger vers les librairies en ligne. Kontre Kulture en est la preuve. Quand on ne prend pas le public pour des jambons, tout en s’attaquant à des sujets difficiles (l’économie mondialisée, la géopolitique du Moyen-Orient, la santé sociale, l’Histoire à l’endroit), on peut vendre des livres à des jeunes Français qui croyaient que l’édition était le pré carré d’un quarteron de barbants barbons.
Eh bien non : un livre ça peut être bon, voire grand, et ça peut changer une vie. Ça peut faire basculer dans un autre monde, celui de la conscience en construction. Quand on ne voit plus les choses de la même façon, on ne voit plus les mêmes personnes, ou plus de la même façon, et on change de comportement, puis de vie. Car on accède à un entourage – virtuel ou réel – intellectuellement plus exigeant. L’exigence, la vraie, pas celle de Manu-la-Tremblote du mouton du lobby, elle est là.