On ne doit jamais opposer deux artistes mais parfois, leurs destins se croisent. Ce matin, le Brassens antifasciste de service public qu’est Fromet se lance dans une oeuvre d’art sur les Corses et les mosquées, dénonçant la bêtise et la méchanceté, au lieu de rendre hommage au grand Lemmy Kilmister. Mystères de l’inspiration bobo...
Mais on sent bien que Frédo-la-Pétoche, fait dans la satire prudente : Corses et islamistes, pour lui, ça fait deux raisons de se faire exploser. Rien à voir avec Lemmy, son public de rascals et son explosivité à 70 ans passés. Toujours à la traîne, méconnaissant le public rock, les grands médias ne font pas de newsletter spéciale sur la mort de ce chanteur bassiste, un monument préhistorock venu du fond des âges, avec des passions un peu dérangeantes. À vrai dire, Lemmy c’est l’anti-Fromet, ou Fromet, c’est l’anti-Lemmy. À tous points de vue.
On ne fera pas d’étude morphopsychologique poussée, mais c’est pas Fromet qui va bonder les salles de concert du monde entier pendant 35 ans. Il est vrai que le doux bobo de France (?) Inter fait dans la délicatesse et la chanson à texte. Pas dans la ligne de basse saturée et mur de son pour amateurs de sensations fortes. Il voit des fascistes partout, et chante l’antifascisme comme personne, pour un public de gauche qui aime frémir dans la sécurité. Justement, il aurait pu – il va peut-être le faire, tant sa plume est féconde – écrire une chanson contre Lemmy, qui adorait faire le con en conducteur de char de la Wehrmacht, avec sa brûlante collection d’objets de la Seconde Guerre mondiale.
Motörhead fait partie de ces groupes, avec les Ramones, qui ont enchanté les amateurs de rock pur et dur, mais qui étaient barrés par les radios et télés. Pas assez présentables, pas assez toc, trop vrais. Avant même la fin du disque, ils vivaient de leurs concerts et tournées, qui les vidaient de leurs forces, mais qui entretenaient la légende, et les faisaient mourir jeunes. Étonnement, Lemmy a tenu 70 ans, ce qui, dans le monde quelque peu déphasé du rock authentique, est un authentique exploit. Les médecins devraient se pencher sur le miracle : comment, en faisant tout ce qu’il ne faut pas faire, disons l’inverse de la morale bourgeoise, ou de ce qu’on inculque aux enfants dès leur plus jeune âge, peut-on vivre de manière aussi intense aussi longtemps ? De bons gènes ?
Jugez plutôt : de la junk food, des clopes à un rythme hallucinant, des fleuves d’alcool, des drogues à un rythme hallucinogène, des femmes à un rythme assourdissant, une défonce totale à tous les niveaux, et au milieu de ça, un mec serein, qui philosophe à sa façon, qui ne fait pas de mal aux autres, mais qui envoie chier tous les donneurs de leçons. C’est pas que Lemmy aurait tapé sur Fromet avec sa guitare sèche, ou la lui aurait enfoncée dans le cul, mais on a affaire à un autre genre de moustique, un peu moins pur, qui camoufle sa fonction de dispensateur de moraline étriquée et de dénonciateur de malpensants derrière trois notes de guitare – toujours les mêmes –, son bouclier artistique et alibi.
Mais n’opposons pas les artistes : tout le monde a le droit de vivre, et le soleil brille sur les justes et les injustes. Fromet continuera à gratter ses droits d’auteurs sur la radio de service public qui dénonce les pense-pas-droit, tandis que les orphelins de Lemmy, ce miracle de la génétique, iront cracher leurs larmes sur la tombe du dernier dinosaure du Rock. Au fond, la seule différence notable entre Lemmy et Fromet, c’est que Fromet est le produit d’une époque, et que Lemmy, lui, a produit une époque.
Le dernier concert en France de Lemmy et Motörhead :
La dernière chronique chantée du Philippe Val du pauvre première époque – c’est dire –, Frédéric Fromet :