Un reportage au Rif
Partir à la rencontre des animateurs du Hirak, les artistes, les intellectuels, les pêcheurs, les montagnards et les citoyens de cette vaste région pour rendre compte des réalités socio-économiques et politiques de cette région frondeuse.
Raconter le combat de la population rifaine pour la liberté, la dignité et plus de justice sociale. Quand je propose cette idée aux responsables de mon journal, ils sont tout de suite enthousiasmés. « Tu connais bien le Maroc pour y avoir réalisé des reportages et tu y comptes beaucoup d’amis et de connaissances, donc tu es bien placé pour faire ce reportage. Vas-y », me dit-on.
Aéroport international de Casablanca, fin d’après-midi de jeudi 26 mai. Le policier de la PAF marocaine ne me pose qu’une seule question : « “El Watan”, c’est un quotidien ou un hebdo ? » Sur ma fiche de contrôle, j’avais coché « tourisme » quant aux motifs de ma visite pour éviter d’être prié de me rendre dans un bureau de la PAF pour m’expliquer longuement.
Les formalités expédiées, je m’achète une puce marocaine pour communiquer plus facilement avec les amis qui m’attendent et qui, justement, me demandent de venir directement à Rabat au lieu de séjourner à Casa, comme je l’avais prévu. « Prends le train directement de l’aéroport et viens sur Rabat. T’as une heure et demie de route », me dit-on. Décision est donc prise de prolonger vers Rabat.
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On me promet un rendez-vous avec Zefzafi, mais ce ne sera pas facile, car le makhzen et ses relais accusent ouvertement le mouvement d’être manipulé par Alger. S’afficher avec un Algérien, même journaliste indépendant, revient à s’exposer à cette redoutable accusation. Les militants me demandent d’être très prudent et décision est prise d’éviter les hôtels pour ne s’appuyer que sur les activistes, les amis et les connaissances.
La première nuit est passée chez Mounir Kejji, activiste et militant infatigable du mouvement amazigh. La vie de Mounir n’est qu’une suite de combats et sa maison un véritable musée où les livres, les journaux et les revues montent en piles imposantes jusqu’au plafond. Il possède des collections complètes d’œuvres de chanteurs, comme Matoub Lounes et Aït Menguellet, tous les livres d’histoire qui parlent des Berbères où qu’ils se trouvent. Après un bac anglais et des études de droit à l’université, l’enfant de Goulmima s’est engagé corps et âme dans un combat multiple. Journaliste amateur, il collabore à des publications périodiques et des livres et réalise des documentaires. Mounir est partout.
Justement, il est à Al Hoceima, ce 28 octobre 2016, lorsque le malheureux poissonnier Mohcine Fikri se fait écraser dans une benne à ordures pour avoir voulu récupérer une partie de la marchandise que la police lui avait confisquée avant de la jeter dans la poubelle. C’est le point de départ de la grande révolte du Rif qui dure jusqu’à ce jour.
Originaire d’Imzouren, à 18 kilomètres d’Al Hoceima, le papa de Mohcine est un militant du PJD, parti islamiste au pouvoir. Au père qui s’exprimait un peu trop dans les médias, au goût des autorités, le Premier ministre de l’époque, Abdelilah Benkirane, envoie un message verbal par des émissaires. « Enterre ton fils et tais-toi ! » Il lui fait comprendre que le Maroc qui préparait la COP 22, un événement mondial, devait se passer de toute mauvaise image qui pouvait écorner la belle image qu’il tentait soigneusement de donner.
« Il y a eu une grande marche de 18 kilomètres de la morgue d’Al Hoceima jusqu’au domicile de Mohcine Fikri. Au départ, on demandait que les responsables de cette tragédie soient jugés, puis, petit à petit, des revendications sociales sont venues se greffer sur cette demande et un noyau de dirigeants a émergé », raconte Mounir Kejji. Toutes les rancœurs et les frustrations longtemps contenues dans cette région berbérophone, qui rappelle à bien des égards la frondeuse Kabylie, se son réveillées.
D’Al Hoceima, la révolte s’est propagée dans tout le Rif. « Plutôt que de répondre aux revendications légitimes de la population par le dialogue et la concertation, le pouvoir accuse les membres du Hirak d’être des séparatistes, des sécessionnistes, d’être manipulés par des mains étrangères », poursuit Mounir. Le feu de la révolte des Rifains couvait toujours, même après sept mois d’un combat de rue pacifique et citoyen. Le makhzen, qui comptait sur un essoufflement à long terme, cherche à présent à rattraper le temps perdu en envoyant une flopée de ministres en visite dans le Rif. Leur visite sera un flop retentissant.
Dans l’après-midi du vendredi, le lendemain de mon arrivée, les choses se précipitent brutalement à Al Hoceima. L’incident de la grande prière qui a vu Zefzafi répondre à l’imam, qui avait passé l’essentiel de son prêche à vilipender le Hirak, met le feu aux poudres. La presse du makhzen s’en donne à cœur joie. Un journal va jusqu’à faire le parallèle entre Zefzafi et Al Baghdadi, l’émir de Daech, qui avait un jour proclamé le califat dans une mosquée de Mossoul. Les couteaux sont désormais tirés et l’ordre est lancé : il faut coûte que coûte en finir avec cet insurgé de Zefzafi et son mouvement qui défient les autorités.
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Dans la journée de dimanche, un appel est lancé pour un rassemblement sur la place publique à 22h après les prières du Tarawih. Pour moi, c’est l’occasion de voir enfin le Hirak sur le terrain. Je décide d’y aller et d’observer de loin. À l’heure convenue, les citoyens commencent à se rassembler. Quand ils deviennent assez nombreux, ils s’organisent très vite. On sort les mégaphones, les banderoles et les drapeaux. Hommes et femmes se donnent la main pour former une haie autour des animateurs qui évoluent dans un grand espace. L’ambiance monte très vite.
À tour de rôle, les animateurs lancent des slogans que la foule reprend en chœur. « Houria, karama, adala ijtimaâiya ! » (Liberté, dignité et justice sociale), « Nous sommes tous Zefzafi ! » scande la foule. Fustigé en termes acerbes, le makhzen en prend pour son grade. L’ambiance est tellement chaude que j’en oublie les consignes de sécurité que je m’étais fixées pour commettre une erreur de débutant. Je me dis que je n’aurais peut-être pas l’occasion de faire des photos de manifestation et il m’en fallait absolument quelques-unes pour illustrer mon reportage.
Au début, je demande à mon contact de me prendre quelques photos, mais il me dit : « Vas-y donc. N’aie pas peur. » Je prends deux ou trois photos avec mon téléphone, puis je sors carrément pour appareil photo et je fais quelques prises. Je n’arrive pas toujours à capter les slogans en derja marocaine et en tamazight du Rif, alors je fais deux ou trois courtes vidéos afin de décortiquer plus tard, tranquillement, ces fameux slogans.
C’est probablement à ce moment-là que les services me repèrent. Au bout d’une heure, le rassemblement se transforme en marche qui s’ébranle à travers les rues de la ville. Je décide de rentrer. Je regarde, de loin, la manif grossir, lorsque trois hommes en civil m’accostent pour me demander mes papiers avant de m’embarquer dans un fourgon. Direction le commissariat. Dans un minuscule bureau, ils sont quatre ou cinq policiers autour de moi...
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Au-delà aussi des esprits et des frontières fermées
Pour tous ceux qui me disent : « Ne remets jamais les pieds au Maroc », je dirais que je ne suis pas prêt de sacrifier ce magnifique pays frère pour les beaux yeux du makhzen. J’ai beaucoup de considération pour ce peuple et tous les peuples du monde qui luttent pour leur liberté et leur dignité et je retournerais là-bas à la première occasion. En demandant cette fois-ci une autorisation en bonne et due forme. On verra bien…
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À Sidi El Abed, des jeunes ont rompu la trêve du jour,
dans un air d’Intifada
Des jeunes de Sidi El Abed ont pour la première fois rompu la trêve du jour. Quelques heures avant la rupture du jeûne, ils ont pris d’assaut les forces de l’ordre à coups de pierres. Des blessés ont été dénombrés parmi les manifestants mais aussi dans les rangs des forces de l’ordre qui ont répliqué au gaz lacrymogène. Les sit-in ont repris la nuit à Al Hoceima, dans les localités environnantes et hors du Rif
- Pour la première fois ce jeudi 8 juin, des jeunes du quartier Sidi El Abed sont sorti caillasser les forces de l’ordre avant la rupture du jeûne
Des affrontements ont éclaté jeudi en fin de journée entre manifestants et policiers dans la ville d’Al Hoceima, épicentre d’un mouvement de contestation populaire qui secoue depuis sept mois cette région dans le nord du Maroc, ont constaté les journalistes présents, dont celui de l’AFP.
Des dizaines de jeunes affrontaient à coups de pierres les forces anti-émeute, qui ont répliqué en faisant usage notamment de gaz lacrymogène, dans les ruelles du quartier Sidi El Abed.
Des manifestations nocturnes quotidiennes se déroulaient depuis une douzaine de jours dans ce quartier, mais jusqu’à présent sans violence et après la rupture du jeûne du ramadan.
Ce jeudi, vers 17 heures locales, des groupes de jeunes se sont rassemblés par surprise dans les ruelles pour manifester. Ils ont été repoussés sans ménagement par les policiers vers un carrefour du quartier, où plusieurs d’entre eux ont alors lancé des pierres sur les forces de l’ordre.
La province d’Al Hoceima est secouée depuis sept mois par un mouvement de contestation revendiquant le développement du Rif, une région historiquement frondeuse et géographiquement enclavée que les protestataires jugent « marginalisée ». La quasi totalité des meneurs du mouvement ont été arrêtés ces dix derniers jours, et font face à de graves accusations de « crimes », notamment « atteinte à la sécurité intérieure de l’État ».